La présomption d’innocence de Vital Kamerhe, directeur de cabinet du président de la République, s’ammenuise comme peau de chagrin à mesure que se poursuivent les procédures engagées contre lui par le tribunal de grande instance de Kinshasa-Gombe. Difficile de s’attendre à une issue heureuse pour la célébrité politique du Sud-Kivu au regard de ce qui apparaît comme un manque criant de traçabilité des fonds publics sur lesquels il avait la haute main dans l’exécution du programme des cent jours. Convoqué pour un banal entretien au parquet de Kinshasa-Matete qui pilotait les enquêtes sur les irrégularités constatées dans l’exécution de ces travaux, Kamerhe avait lui-même éveillé les soupçons en rameutant ses amis de l’UNC qui s’étaient fendus d’un communiqué au vitriol confinant à un réquisitoire contre la justice et à une levée de bouclier contre ses partenaires politiques au sein de la plate-forme CACH au pouvoir. Après avoir feint de jouer au sapeur-pompier en appelant ses troupes au calme, Vital Kamerhe ne s’était pas empêché de défier de nouveau la justice en débarquant au siège du parquet mercredi 8 mars 2020 escorté par des partisans chauffés à blanc. Ce qui a manifestement déplu au ministère public représenté par le procureur général Adler Kisula qui émettra quelques heures plus tard un mandat d’arrêt provisoire (MAP) à la charge de VK sur qui pesaient des «indices sérieux de culpabilité». Depuis lors, le tout puissant dircab du chef de l’Etat est devenu un pensionnaire comme un autre du CPRK, la prison centrale de Makala où s’est ouvert son procès le lundi 11 mai dernier. Après le réquisitoire lu par le représentant du ministère public devant le TGI de Kinshasa-Gombe, cette première audience publique s’est limitée à la vérification des identités de Vital Kamerhe et ses coaccusés ainsi que de la corréité des faits retenus à leur charge. Une troisième demande de mise en liberté provisoire a été introduite séance tenante par les avocats des prévenus mais elle n’a pas rencontré l’assentiment des juges dont la méfiance et la suspicion affichées à l’égard du principal prévenu qui a brillé par sa suffisance n’a pas été prise à défaut par les arguments de la partie défenderesse.
La coalition FCC-CACH doit se rendre à l’évidence, à son corps défendant, qu’elle devra sans doute bientôt se passer des services de cet acteur majeur des accords de Naïrobi ayant donné naissance au CACH. L’UDPS Désiré Casimir Kolongele Eberande, adjoint de Kamerhe au cabinet du président a été le premier à devoir s’adapter à cette nouvelle donne, le chef de l’État ayant, selon son porte-parole Kasongo Mwema, pris acte de l’«indisponibilité prolongée du directeur de cabinet» et désigné le juriste directeur de cabinet ad interim. Pour mémoire, Eberande, un professeur de droit qui avait déjà été annoncé comme directeur de cabinet de Fatshi en janvier 2019, avait été par la suite coiffé sur le fil par Vital Kamerhe dès la cérémonie de remise et reprise entre les présidents sortant et entrant. La confirmation de son intérim le 12 mai préfigure probablement une nouvelle configuration de la coalition au pouvoir du fait d’une ‘‘indisponibilité’’ définitive de Vital Kamerhe.
FCC-CACH sans Kamerhe
Selon le chroniqueur politique d’un tabloïd de la place, «la méfiance et le désamour qui avaient élu domicile au sein de CACH entre sociétaires de l’UDPS d’une part, et de l’UNC d’autre part, a atteint son point le plus culminant avec l’ouverture du procès à charge de Vital Kamerhe. Le divorce tant redouté est déjà dans tous les esprits. Il ne reste plus qu’à sauver les apparences en expurgeant les kamerhistes purs et durs au profit des plus modérés. Car si le certificat de décès de CACH est établi, cela risque de donner l’impression qu’il est dans la nature de Félix Tshisekedi de renier ses engagements. Le terme est peut-être un peu ringard, mais il faudra s’attendre à un dédoublement dans les faits de l’UNC». Déjà des rumeurs parvenues à nos rédactions font état d’une «distanciation sociale» entre VK et son fidèle secrétaire général et ex-beau-frère Aimé Boji Sangara. L’éphémère ministre du commerce extérieur du gouvernement Samy Badibanga avait conduit auprès du président de la République une délégation du bureau politique de l’UNC pendant que Vital Kamerhe croupissait en prison le 8 avril 2020. Le compte rendu de l’audience fait avec le sourire par Boji pendant que le calvaire de Vital Kamerhe venait de commencer n’était pas de nature à rassurer ce dernier qui le convoqua dès le lendemain et publia un communiqué obligeant ses lieutenants à soumettre à son visa préalable le moindre de leurs actes. Ce recadrage n’empêcha pas le secrétaire général a.i de l’UNC de conduire à nouveau une autre délégation de la gent féminine de l’UNC auprès du président de la République. Il appert de plus en plus clairement que l’après Kamerhe semble ne pas avoir pris de court grand-monde au sein du CACH.
Nombreux sont ceux au sein de la coalition FCC-CACH qui minimisent le poids réel de l’UNC et son président dans la balance. Le président d’un groupe parlementaire de cette coalition a déclaré agacé que «l’UNC n’a que 16 députés nationaux et tout le monde sait que son poids politique était tiré par les cheveux. Qu’un parti qui n’a que 16 députés puisse avoir huit postes au gouvernement alors que le ratio était de 10 députés pour un poste ne faisait pas que la joie de tout le monde au sein de la coalition. Le temps est venu pour l’UDPS de s’assumer en prenant carrément sous ses ailes les modérés de l’UNC. N’oublions pas qu’il ne reste plus beaucoup de temps au premier mandat du chef de l’État déjà perturbé par les scandales des travaux des cent jours et la pandémie Covid-19». Reste cette inconnue sur la perte éventuelle de la «base» de Kamerhe au Sud-Kivu. D’aucuns assurent que les dommages causés par la perte de VK ne seraient pas mortels pour l’UDPS et le FCC auxquels leur maillage sur terrain permet de disposer d’une cohésion nationale à toute épreuve. Un professeur des sciences politiques de l’université de Kinshasa estime que «la popularité de Kamerhe à l’Est du pays a souvent été exagérée. En réalité l’homme n’est influent qu’au sein de la communauté Shi de Kabare et Walungu fortement représentée à Bukavu. Si le fils de l’ancien gouverneur Boji, actuel numéro 2 de l’UNC, qui provient de cette communauté venait s’ajouter aux caciques du FCC et de l’UDPS qui en sont ressortissants, le choc causé par la chute de Kamerhe serait amorti. Le simulacre d’immolation par le feu d’un jeune homme de 25 ans au rond point Mgr Munzihirwa à Bukavu le jour de l’ouverture du procès de Kamerhe n’a d’ailleurs pas réussi à susciter le soulèvement escompté».
Dissocier la politique de la justice
Dans un sens comme dans un autre, la coalition au pouvoir a intérêt à ne pas politiser le feuilleton judiciaire de Vital Kamerhe, même si ses implications dans les équilibres en présence sont évidentes.
Ce serait la meilleure façon de donner du grain à moudre à un prévenu qui a beau jeu de se poser en victime comme le révèle sa décision de refuser tout traitement de faveur à Makala où il a choisi de vivre dans la promiscuité inconfortable d’une cellule-dortoire. L’enfant terrible de Bukavu a déjà survécu à maintes épreuves fatales. Nul doute qu’il saura se servir de la moindre erreur d’appréciation de ses futurs anciens partenaires pour rebondir à leurs dépens.
Même des mousquetaires de l’UDPS comme l’«activiste des droits de l’homme» Georges Kapiamba semble l’avoir compris. Présenté comme un conseiller occulte à la présidence de la République, il s’est lancé dans une campagne tonitruante pour vouer aux milles diables Vital Kamerhe l’allié d’hier, provoquant l’ire des partisans de ce dernier. L’avocat Rubens Makonero l’un de ceux-ci a dénoncé à ce sujet le fait que «la présidence le laisse faire.
Surtout dans le dossier Kamerhe où il répercute ce qu’il reçoit comme orientations. Nous UNC, on va porter plainte contre ce monsieur qui cherche un poste dans l’une des institutions d’appui à la démocratie. Dès aujourd’hui, nous appelons nos militants et cadres et toute personne de bonne foi de surveiller Kapiamba dans ses faits et gestes et tirer toutes les conséquences politiques et de droit».
JBD