Il y a 30 ans, jour pour jour, le président Mobutu Sese Seko « octroyait » la démocratie à ses compatriotes du Zaïre (Congo-Kinshasa). Après 25 ans de règne sans partage, le maréchal-président-fondateur pressé de toutes parts et coincé par le vent de la pérestroïka provoqué par la chute du mur de Berlin et la fin subséquente de la guerre froide qui le rendit si utile aux occidentaux, avait en effet annoncé le 24 avril 1990 en versant une larme d’impuissante mélancolie la fin du parti-Etat, le Mouvement Populaire de la Révolution (MPR), pour laisser place au multipartisme. Devant les membres des corps constitués éberlués, le deuxième président de l’actuelle RDC en tenue d’apparat, déclara d’une voix entrecoupée d’émotion qu’il avait «de lui-même» résolu de tenter l’expérience du pluralisme politique avec à la base, le principe de la liberté pour chacun d’adhérer à la formation politique de son choix.
«Je vous annonce que je prends ce jour congé du Mouvement populaire de la révolution, pour lui permettre de se choisir un nouveau chef devant conduire… ». Ici, le léopard interrompt son allocution de quelques secondes. S’ensuit un silence lourd pendant qu’il balaie l’assistance d’un regard empli de désolation puis il lâche trois mots : «Comprenez mon émotion ». Ses yeux sont embués de larmes. Alors qu’il réajuste ses lunettes et sèche quelques gouttes lacrymales, la salle vient à sa rescousse par une standing ovation tonitruante. Un animateur du parti-Etat lance des slogans du MPR: « Nous avons confiance en notre guide. Qui est notre guide ? Mobutu Sese Seko Kuku Ngbendu wa Za Banga ! Libérateur ! Pacificateur ! Unificateur ! ». A l’évidence, les apparatchiks présents dans la salle n’étaient guère préparés à cette annonce choc.
Leurre ou véritable rupture avec le passé ? On verra par la suite le président tenter de reprendre de la main gauche ce qu’il accordait de la main droite. Pour Mobutu, qui devait sa longévité au pouvoir à la complaisance de l’Occident dans le contexte de la guerre froide, la fin de celle-ci tombait comme un couperet. C’était une expérience éprouvante mais le léopard de Kawele n’était pas homme à se laisser abattre par le premier vent. Il s’offrira une rallonge de 7 ans, tout un mandat présidentiel, en jouant sur l’incapacité de ses adversaires à constituer un front solide contre lui.
Colette Braeckman du quotidien belge Le Soir a qualifié cette époque de ‘’période pré-multipartisme’’ : « Sous la pression à la fois extérieure et intérieure, les régimes en place lâchent du lest et donnent des gages, dont le premier est le multipartisme. Mais […] les massacres et les grèves qui accompagnent l’ouverture décrétée au Zaïre […] démontrent que le multipartisme, pour être crédible, doit s’accompagner de la mise en place de contre-pouvoirs… »
Heurts et errements du parcours
Pour le maréchal et son pré-carré, ce n’était qu’un combat d’arrière-garde. Les oppositions à la dictature rongeront leur frein pendant sept longues années avant de le voir chassé du pouvoir par Laurent Désiré Kabila et son Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL). Alors que son avènement au pouvoir avait suscité beaucoup d’espoirs avec des projets intéressants, à l’image du service national, Mzee (le vieux) Kabila trop libre d’esprit et trop attaché aux Intérêts Nationaux de son peuple n’aura pas les faveurs des occidentaux «maîtres autoproclamés du monde» qui lui mettront les bâtons dans les roues. Il passera la plus grande partie de ses quatre ans au pouvoir à guerroyer contre ses anciens alliés rwandais et ougandais instrumentalisés par ceux qui dans l’hémisphère Nord de la planète ne se consolaient pas de le voir chausser les bottes du leader indépendantiste Patrice Lumumba assassiné en 1961 pour faire place nette à… Mobutu et ses semblables ! Il avait néanmoins réussi à forger parmi ses concitoyens un sentiment patriotique en insufflant chez beaucoup d’entre eux la philosophie de l’auto-prise en charge et en relançant la production nationale tout en améliorant les conditions socio-professionnelles des fonctionnaires sans recourir aux programmes avec les institutions de Breton Woods. Le succès fut fulgurant !
En janvier 2001, Mzee Laurent-Désiré Kabila sera assassiné lâchement dans son bureau du Palais de Marbre. Son fils, le général-major Joseph Kabila, commandant des forces terrestres de l’armée sera désigné par le parlement de transition pour prendre les rênes du pays. A son actif, on peut inscrire une véritable expérience démocratique sérieuse avec la création de plus de 600 partis politiques à l’issue du Dialogue Inter congolais de Sun City. Il a doté le pays d’une constitution en 2006 et organisé les premières élections libres, transparentes et démocratiques auxquelles tout le monde a participé en 2006, 2011 et 2018.
Soupçonné de vouloir tripatouiller la constitution pour se maintenir au pouvoir après l’expiration de son deuxième et dernier mandat constitutionnel, Joseph Kabila, fort de l’accord dit de la Saint Sylvestre a organisé finalement les élections en décembre 2018, auxquelles il ne s’est pas présenté. Mieux, il acceptera avec fair-play la défaite de son dauphin. Véritable thermomètre pour la démocratie, cette attitude républicaine a fait de lui le véritable père de la démocratie en RDC.
En janvier 2019, Félix Tshisekedi, fils de l’opposant radical à Mobutu et aux Kabila, père et fils, Étienne Tshisekedi, était investi président de la République à l’issue de l’élection présidentielle de décembre 2018 et faisait une remise-reprise en bonne et due forme avec Joseph Kabila. Une première passation pacifique et civilisée du pouvoir entre un président entrant en vie et un président sortant en vie qui a fait mentir toutes les prédictions apocalyptiques.
Lueur d’espoir
Obéissant à la volonté du souverain primaire, Joseph Kabila et son successeur Félix Tshisekedi ont coalisé leurs forces pour gérer ensemble le gouvernement au sein d’une majorité CACH-FCC. Voulant consolider les acquis de son prédécesseur, Félix Tshisekedi tente tant bien que mal d’asseoir un État de droit basé sur l’indépendance de la justice, la lutte contre l’impunité. Cerise sur le gâteau, les droits et libertés, notamment la liberté des manifestations, la liberté de la presse et de l’opposition sont au rendez-vous. La RDC gagne des places. Une ère de normalisation s’ouvre.
60 ans après l’indépendance, le bilan démocratique de la RDC reste quelque peu mitigé. Le chemin à parcourir est long… Les enjeux fondamentaux restent la démocratie comme valeur référentielle de la nation, les valeurs républicaines que sont la hiérarchie des normes, la séparation des pouvoirs, la primauté du droit, bref, l’État de droit. Tous ces principes concourent à faire en sorte que le pouvoir soit limité par le pouvoir pour récuser l’arbitraire car la fin ne justifie pas tous les moyens. Ce qui est en jeu au-delà de l’alternance au pouvoir, c’est la culture démocratique avec son esprit. Car l’individualisme qui, poussé l’extrême, débouche sur l’hédonisme qui engendre bien de faux démocrates instrumentalise la symbolique démocratique du pouvoir pour permettre à certains de «se servir» au lieu de « servir » la communauté.
C’est une certaine conception de la RDC et de son modèle de démocratie qui est aujourd’hui en question. Les élections libres, transparentes et crédibles constituent un pilier de la démocratie. Elles sont un mécanisme pertinent pour concilier harmonieusement l’expression de choix collectifs sur des thèmes concrets, la viabilité et la continuité de l’État. La démocratie en RDC est appelée à être représentative et participative, et les élections doivent en constituer l’élément pivot. On ne peut analyser le fonctionnement des institutions dans une démocratie sans procéder à l’examen du mécanisme permettant la légitimation du pouvoir qu’est le système électoral, lequel doit rester cyclique, transparent et libre de toute corruption.
La démocratie sert malheureusement souvent encore comme facteur de brouillage ou mode d’ajustement politique d’un pouvoir arbitraire ou encore comme instrument d’organisation politique d’anciens contestataires piaffant d’impatience d’accéder eux aussi à la « mangeoire », selon une expression chère au professeur Auguste Mampuya de l’Université de Kinshasa. Autrement, la démocratie et les élections qui en sont le soubassement seront toujours des facteurs de crise politique par la non acceptation des résultats électoraux et le manque de fair-play.
AM
IL Y A 30 ANS, LE MULTIPARTISME La démocratie en RDC : Leurre, heurts et malheurs
