La mission civilisatrice qui a servi de prétexte à la colonisation de l’Afrique par l’Occident n’a fait que le lit de la conception connue de tous de l’occident sur base des idées reçues : parangon du meilleur modèle de la démocratie, champion des “droits de l’homme” qui convoque toujours ses vertus supposées à l’appui de ses prétentions hégémoniques. C’est ce qui fait dire au député national, écrivain et ancien ministre de la communication et médias en RDC, Lambert Mende (in: ‘‘Congo-Kinshasa, Au de-là de l’urgence humanitaire’’): «l’engagement des urgentistes humanitaires en Afrique au cours des deux dernières décennies a tout d’une croisade qui a tendance à passer par pertes et profits la dignité humaine et le respect de l’autre. En ne considérant les africains que sous le prisme de leurs propres normes érigées en référentiel absolu, les initiateurs de cette croisade compromettent les chances d’une rencontre harmonieuse des cultures qui seule peut rendre possible une universalisation librement consentie de ces valeurs».
C’est ainsi que l’Occident participe et parfois même avec le mandat des Nations unies à l’atomisation de pays étrangers à des fins “démocratiques” ou au nom de la recherche de la «Paix», de préférence dans les contrées riches en hydrocarbures ou en ressources minières. L’activisme des groupuscules armées à l’Est de la RDC, le bombardement de la Libye sous Mouammar Kadhafi, le coup de force de la France en côte d’ivoire pour placer au pouvoir Ouattara en lieu et place de Laurent Gbagbo, la balkanisation du Soudan sont des exemples éloquents qui conjuguent la foi du charbonnier et la rapacité du capitaliste. Il s’agit surtout selon l’auteur de ‘’Congo Kinshasa, au de-là de l’urgence humanitaire’’ de puissants groupes mercantilistes qui se sont spécialisés depuis des années dans « la spoliation des ressources naturelles africaines, quitte à susciter et entretenir des guerres régionales ou civiles artificielles dont le but final est de créer de toutes pièces des espaces de non-droit ouverts à la prédation ».
Depuis l’avènement de Félix Tshisekedi à la tête de la République démocratique du Congo, l’activisme des États-Unis d’Amérique et de l’Europe pressés de prendre sous leur coupe les nouveaux dirigeants de la RDC n’est plus un secret. Les Occidentaux ne font pas mystère de leur volonté de rattraper ce qu’ils considèrent comme un retard accumulé dans leurs projets en RDC du fait de l’indocilité de l’ancien président Joseph Kabila.
En RDC comme un peu partout dans le monde on n’est plus dupe, mais peu importe. L’Occident a toujours raison car il est du côté du Bien, et il ne risque pas la contradiction aussi longtemps qu’il est le plus fort c’est du moins ce qu’il a cru. La barbarie congénitale qu’il attribue aux autres est un peu comme le reflet du miroir du monopole autoproclamé de «la» civilisation dont il prétend être la vivante incarnation.
Auréolé du sacro-saint “droit d’ingérence”, ce mariage réussi du sac de sable et du sac de riz selon la métaphore de Bernard Kouchner, l’Occident vassalisé par Washington s’imagine sans doute qu’il sauve le monde en le soumettant chaque jour à l’impitoyable razzia des vautours de la finance et des multinationales de l’armement. Qui n’a pas compris pourquoi Peter Pham, l’ancien envoyé américain pour les Grands Lacs hantait les Palais de la République à Kinshasa pendant son éphémère mandat jusque fin février ?
Porté par sa longueur d’avance technologique, le monde occidental s’est lancé depuis les années de l’esclavagisme en passant par le colonialisme et le néo-colonialisme à la conquête de l’Afrique. Patiemment, il s’est approprié ce monde des autres, l’a façonné à son image, le contraignant à penser comme lui, à lui obéir et à l’imiter, éliminant au passage tous ceux qui osait s’y opposer. Patrice Lumumba et Mzee Kabila en furent quelques victimes emblématiques. Comme Ruben Um Nyobé le Camerounais, Rwagasore le Burundais ou Sankara le Burkinabè.
Les sacrifices de ces héros africains n’ont en rien altéré la détermination des Africains à s’affranchir de cet assujettissement. Aujourd’hui encore, les « maîtres autoproclamés du monde» continuent désespérément à faire tomber des « sanctions ciblées » sur ceux qui résistent à leur domination. Comprenne qui pourra.
Ces pressions multiformes que l’on adapte toujours à l’ère du temps prouvent que l’Occident s’évertue à se considérer comme une métaphore du monde. Alors qu’il n’en est qu’une partie il prétend en être le tout. De la même façon que des pays représentant moins de 10 % de la population mondiale, aujourd’hui, affirment constituer à eux seuls «la Communauté internationale».
Si plusieurs observateurs s’accordent sur le fait que le projet de domination planétaire fut mis en échec par la révolte généralisée des peuples colonisés d’Afrique au 20ème siècle, beaucoup d’autres sont d’avis que celui-ci a connu un second souffle avec l’excroissance Nord-américaine. Ce nouveau monde dévoilé par Christophe Colomb à la recherche de l’extrême-Orient, a hérité de l’Europe une ambition conquérante et une rapacité commerciale vorace. Convertissant leur absence de passé en promesse d’avenir, ces “Etats-Unis” surgis du néant dans l’atmosphère du puritanisme anglo-saxon ont magnifié cette ambition tout en l’unifiant à leur profit. Au prix du génocide des Amérindiens, “l’Amérique” est alors devenue la nouvelle métaphore du monde. Peut-être plus pour longtemps encore.
Manipulé un jour… Manipulé pour toujours?
A l’heure du Coronavirus et tandis que plusieurs analystes parient sur une reconfiguration du nouvel ordre mondial, l’Amérique de Trump panique et s’affole. Payant à ce jour le plus lourd tribut au monde dû au covid-19 avec plus de 40.000 décès en l’espace d’un mois, les USA ont coupé les subventions financières à l’Organisation mondiale de la santé (OMS), coupable de n’avoir pas craché sur un de ses membres les plus importants, la Chine, principal concurrent des USA, dans la gestion de la crise. La Chine où par ailleurs l’épidémie du covid-19 est en train d’être vaincue avec comme conséquence la reprise de la production et une relance fulgurante de l’économie pour une puissance émergente dont la centralité dans l’avenir de l’humanité est de plus en plus prévisible.
Voulant à tout prix sauver l’économie américaine de la décadence, Donald Trump plaide pour un dé-confinement au mépris des règles d’hygiène et de l’opposition des gouverneurs de certains États contre lesquels il mobilise lui-même des foules. Il se distingue depuis des semaines par un autoritarisme patenté allant jusqu’à la menace inédite dans l’histoire de suspension du Congrès. Il représente à ce titre une Amérique paniquée et prête à fouler aux pieds les principes démocratiques et des droits de l’homme qui constituent le socle référentiel du vivre ensemble de sa société et qu’elle n’a eu de cesse de vanter à tout bout de champ. Finie la sacro-sainte dérégulation économique. Le plan de relance intègre le «dumping» d’entreprises US à coup de plus de milliers de milliards de dollars. Historique. Une démarche que l’Amérique ultra-libérale a refusé aux Africains et aux Congolais…
On se connaît bien maintenant. En 60 ans depuis son d’indépendance, malgré les aides internationales au développement, la RDC n’a fait que du sur place. C’est de toute évidence le rôle assigné à ces ‘‘aides au développement’’ qui paralysent et annihilent les maigres efforts nationaux de progrès par une cohorte de conditionnalités. Il a fallu attendre 2006, puis 2011 et les programmes d’actions politiques de Joseph Kabila (Cinq chantiers, Révolution de la modernité) pour voir sortir de terre quelques infrastructures de grande envergure dont le Congo avait besoin pour espérer tutoyer un jour l’émergence. Quoi qu’on en ait pensé, les bases jetées par Kabila servent aujourd’hui de repères. On le doit aux «contrats chinois», aux antipodes des engagements léonins que l’occident avait imposés à la RDC. On connaît la ruse de ce partenaire «traditionnel», sa malice, son modus operandi et ses multiples canaux. De Google, Microsoft aux drônes de combat, des médias globaux à la manipulation. Du casque blanc de l’administrateur colonial européen à l’écran digital de la cybernétique militaire US, une révolution a eu lieu. Elle a substitué à une domination abrupte, liquidée au cours d’une décolonisation cosmétique, une entreprise hégémonique multiforme.
Les ONG made in USA comme Human Rights watch, Crisis group etc . ont remplacé les “missionnaires” chrétiens, les “marchands” sont devenus des multinationales et les “militaires” sont désormais bardés de haute technologie. L’Empire américain projette aujourd’hui sur le monde son manichéisme lourd et méprisant. Les yeux ouverts, il rêve d’un partage définitif entre les bons et les méchants, pilier inébranlable d’un ethnocentrisme décomplexé. Le droit est forcément de son côté, puisqu’il incarne les valeurs cardinales de la “démocratie libérale”, des “droits de l’homme” et de “l’économie de marché”. C’est à l’évidence une idéologie du plus fort, masque hideux des intérêts les plus sordides. Elle est efficace car si elle ne l’était pas, peu de monde croirait que les USA ont gagné seuls la Seconde Guerre Mondiale (sans l’armée rouge), que le capitalisme est le nec plus ultra des systèmes socioéconomiques, que Cuba est un goulag tropical, qu’Assad est pire qu’Hitler, que Maduro est une menace pour le Venezuela et que la Corée du Nord menace le monde.
A Washington, la croisade contre « les barbares » sert invariablement de cache-sexe à la cupidité sans limite du complexe militaro-industriel et à l’emprise séculaire de l’Etat yankee. De Harry Truman à Trump en passant par Barack Obama, de la Corée à la Syrie en passant par le Vietnam, l’Indonésie, l’Angola, le Mozambique, le Salvador, le Nicaragua, le Chili, l’Afrique du Sud, la Serbie, l’Afghanistan, le Soudan, la Somalie, l’Irak et la Libye, on administre la mort, directement ou par “proxies”, à tous ceux qui s’opposent au règne du démiurge.
Pour mener à bonne fin ses basses besognes, l’occident a toujours recouru à la sous-traitance par une main d’œuvre locale. Mobutu au Zaïre, Bokassa en Centre Afrique, Franco en Espagne, Somoza au Nicaragua, Marcos en Indonésie… la liste est longue de ces satrapes usés jusqu’à la corde puis jetés dans la poubelle de l’histoire comme des kleenex usés.
Alfred Mote,
Analyste politique
TRIBUNE L’Occident et la RDC : Paradigmes pour un partenariat win-win
