Herman Cohen, presque nonagénaire (88 ans), ex-sous secrétaire d’Etat américain que certains prennent pour le Nostradamus du continent noir africain depuis qu’il avait prédit l’implosion de la coalition FCC-CACH et qui avait fait début 2019 de l’effacement de la scène politique du quatrième président rd congolais Joseph Kabila, coupable à ses yeux d’indocilité envers la toute puissance de l’Occident a reconnu s’être trompé sur ce dernier. C’était la semaine dernière au cours d’un entretien avec le chroniqueur congolais Marius Muhunga : « J’ai sous-estimé Joseph Kabila », a reconnu piteusement ce monsieur Afrique de l’administration George Bush (père) il y a 30 ans, reconverti dans le lobbying à Washington DC au profit du mieux-disant depuis quelques décennies.
Ses propos avaient l’air d’un testament au moment même où les Etats-Unis d’Amérique, son pays, amorçaient avec la pandémie du Covid-19 leur descente du piédestal de première puissance mondiale face à une Chine pétillante après avoir vaincu l’hydre de ce virus global.
La fin d’une suprématie planétaire
On ne refera plus le monde tel qu’il était avant le Covid-19. Plus rien ne sera comme avant. Ni aux USA, ni en Chine, ni dans cette Afrique noire que d’aucuns avaient fini par réduire en simple caisse de résonnance des influences extérieures.
L’aveu de Cohen n’est pas banal, venant d’un des indécrottables ploutocrates qui, au sein de certains milieux nostalgiques existant encore dans l’hémisphère Nord du globe, prenaient obstinément pour argent comptant les prédiction enivrantes du politologue américain Francis Fukuyama assimilant la chute du Mur de Berlin et la suprématie subséquente de l’American way of life à «la fin de l’histoire».
Pour cette engeance impérialiste, des leaders politiques africains décomplexés vis-à-vis de l’Oncle Sam comme Joseph Kabila font partie des incongruités qu’il fallait à tout prix faire disparaître de la scène. La diplomatie de la canonnière n’étant plus de mise à cette fin, ces stratèges se consacrent désormais au développement d’une vigoureuse politique d’encerclement et de containment qui mettent à contribution des groupes ultraconservateurs comme Atlantic Council et les controverses politiques pouvant exister dans les pays ciblés du Sud parmi lesquels la RDC occupe une place centrale.
Imprévisible Kabila
Peter Pham qui est passé directement de son bureau cossu d’Atlantic Council à Washington DC au Département d’Etat en qualité d’envoyé spécial des Etats Unis pour l’Afrique des Grands Lacs avant d’être brusquement muté vers le Sahel en fait partie. Pas étonnant que dès son affectation dans les Grands Lacs, ce chaud partisan de la balkanisation de la RDC ait passionnément embouché la trompette de la désintégration de tout ce qui apparaissait comme idéologiquement proche des thèses unitaristes de Joseph Kabila particulièrement au sein des forces de défense et de sécurité. Trop passionnément peut-être au point d’être considéré, à tort ou à raison, comme responsable de la mort, jusqu’aujourd’hui suspecte, du général Delphin Kahimbi, respecté chef des renseignements militaires des FARDC au lendemain d’une banale enquête disciplinaire déclenchée contre ce jeune officier général. Le gouvernement américain qui n’en avait pas encore fini avec les conséquences de la bourde du président Trump d’ordonner l’assassinat du général Qassem Soleimani, chef des Gardiens de la Révolution iranien (qui a pratiquement réconcilié toutes les tendances irakiennes contre les USA) a décidé de muter le trop bouillant Dr. Pham au Sahel. Tant va la cruche à l’eau qu’elle finit par se briser…
Encerclement et containment
Il a fallu que la coalition FCC-CACH constituée au Congo-Kinshasa par l’ancien président Joseph Kabila et son successeur Félix Tshisekedi survive plus d’un an à ses intrigues et à sa malice pour qu’un Herman Cohen, plutôt désillusionné, sonne la fin de la partie. Sans se priver de revenir à l’habituel refrain du Congo bashing qui a toujours été le leitmotiv de cet ancien diplomate US furieux de l’obstination souverainiste de Joseph Kabila.
Considéré par d’aucuns comme un fin connaisseur de l’Afrique subsaharienne, Cohen, avait contribué à arracher des griffes de la CPI l’ancien chef de guerre Jean-Pierre Bemba, jugé plus apte à faire mordre la poussière à Kabila. Enhardi par ce premier succès, il s’était mis au service du tandem Katumbi – Fayulu – Muzito après que la Cour constitutionnelle congolaise eut déclaré Bemba inéligible suite à une condamnation mineure pour subornation de témoins. Mais là aussi, chou blanc : les électeurs congolais ont finalement donné la présidence à Tshisekedi qui venait de rompre avec Katumbi, Fayulu et Muzito à Genève pour constituer sa propre plateforme, Cap pour le changement (CACH), et la majorité parlementaire à Joseph Kabila et son Front commun pour le Congo (FCC). Un véritable pied de nez aux impérialistes.
« Je vous donne rendez-vous dans un an. Cette coalition aura cessé d’exister et Kabila sera oublié », avait déclaré Herman Cohen à la Voice of America d’un ton ironique quelques jours après la constitution de la coalition FCC-CACH.
Rendez-vous dans un an
Un an après, le diplomate retraité, visiblement dépité est allé à Canossa en déclarant placidement que le président Tshisekedi et son prédécesseur Kabila étaient «condamnés à travailler ensemble». Mais toujours arcbouté sur ses convictions impérialistes, il n’a pas manqué de déplorer que d’anciens responsables du régime Kabila collaborent avec Félix Tshisekedi, ce qui, à son avis « n’est pas une bonne chose ». On se demande pourquoi la cohabitation pacifique et la collaboration harmonieuse entre les acteurs des deux plateformes politiques qui ont eu les faveurs de l’électorat dans leur pays devrait autant gêner.
L’entêtement du vieillard rancunier est aux antipodes des aspirations des Congolaises et des Congolais qui ont décidé de rompre avec la conflictualité récurrente qui a compromis toute possibilité de développement et d’émergence du pays depuis son indépendance et de promouvoir des solutions endogènes à leurs problèmes internes en privilégiant l’intérêt supérieur de la nation et la paix.
Cohen et ses semblables prétendent s’inscrire dans la promotion de la démocratie et de la lutte contre la corruption. Il n’en est rien. Leur seul objectif est de satisfaire les projets dominateurs d’une Amérique impériale qui ne visent ici que des intérêts économiques et géostratégiques. Pas mal d’études démontrent que loin de rechercher une gestion démocratique des pays naguère colonisés comme ils le prétendent, ils mettent tout en œuvre pour renforcer leur hégémonie.
Puissance militaire, économique et technologique sans rival jusqu’à il y a peu, l’omnipotence des USA est en passe d’être battue en brèche par une forte concurrence, notamment de la Chine. Les dysfonctionnements et les fissures qui les minent et qui se sont révélés au grand jour avec le Covid-19 donnent des insomnies à tous ceux qui s’y évertuent à demeurer ad vitam aeternam les parrains du continent africain et du monde entier.
Prépotence menacée
Les équilibres post Covid-19 laissent entrevoir une nouvelle configuration de l’ordre mondial. Plus d’Est ou d’Ouest: c’est la fin de la guerre froide. Plus de Nord, plus de Sud : le non-alignement est considéré dorénavant comme un concept ringard. Mais pour quelques nostalgiques à l’instar de Cohen qui hantent les faiseurs d’opinion à Washington, Paris ou Bruxelles, n’en déplaise à Lumumba et à Mzee Kabila, le Congo-Kinshasa reste toujours une chasse gardée.
S’il y a un service que Félix Tshisekedi et Joseph Kabila peuvent rendre à leur peuple, c’est de faire mentir ces méprisantes anticipations impérialistes. Au risque de faire marcher à reculons le train de l’Histoire, ils doivent s’affranchir des instigateurs qui n’ont de cesse de glisser des peaux de banane sous leurs pieds au mieux des intérêts de quelques multinationales en quête de ressources naturelles de la RDC.
Herman Cohen aura été peut-être le dernier à comprendre que le flegmatique Joseph Kabila est plus fin stratège que lui.
Faire mentir les néo-cons
De l’analyse de ses dires et de ses actes politiques ainsi que des témoignages de quelques-uns de ses collaborateurs, on en arrive à la conclusion que Kabila fait de la souveraineté de la RDC sa «forteresse impénétrable». Alors qu’il était occupé à mobiliser la très isolationniste administration Trump contre Joseph Kabila qui, selon lui allait violer la constitution de son pays afin de briguer un troisième mandat, Kabila a surpris en présentant Emmanuel Shadary comme dauphin et malgré l’échec de ce dernier à la présidentielle, il a accepté en toute bonne foi de passer la main à Félix Tshisekedi, leader de l’opposition radicale.
Déjà très jeune, l’ancien président rd Congolais qui a fait ses classes aux côtés de son défunt père, un digne héritier de Lumumba, a appris cette dure réalité selon laquelle la plupart des pays occidentaux n’ont à l’idée que de contrôler des États considérés faibles à leurs yeux, avec en toile de fond une main mise sur leurs richesses. Derrière le visage humaniste qu’ils véhiculent avec des acteurs comme Cohen, se cache, en réalité, un autre, plus trivial : la sauvegarde de leurs intérêts et ceux de leur peuple au détriment des autochtones desdits Etats faibles, même au prix du sang. Les guerres d’invasion, imposées à la RDC depuis 1998 et qui se transforment aujourd’hui en «guerres asymétriques» de type terroriste, en sont les parfaites illustrations.
AM