Balloté dans la mélasse entre stagnation et déliquescence face à une absence quasi-totale de l’autorité de l’Etat, le Sankuru, province natale du Héros National Patrice-Emery Lumumba chancelle sous le poids des clichés surannés qui s’évertuent à l’éloigner de toute perspective d’un avenir meilleur promis par la classe politique issue des élections générales de 2018.
La chronique sankuroise oscille depuis juillet 2019 entre des « affaires » glauques et aussi scandaleuses les unes que les autres : bradage systématique des minerais (diamants), détournement de deniers publics, anarchie et cacophonie administratives à la limite du vaudeville, insécurité juridique des mandataires publics et agents de carrière de l’Etat, grogne sociale, criminalité exponentielle etc. L’alibi du renouvellement de la classe politique qui a sacrifié l’expérience au profit d’un amateurisme corrupteur et délétère a rapidement montré ses limites. « Notre province fait pire que du sur-place. Elle ne cesse de reculer », se plaint une jeune dame, médecin de son état dans une des institutions sanitaires publiques de la place qui ne cache pas son désespoir.
Le peuple se résigne alors que la valeur du travail et la méritocratie sont purement et simplement méprisées par Joseph Stéphane Mukumadi, gouverneur réputé démissionnaire qui, grâce à des complicités au sommet de l’Etat à Kinshasa continue comme si de rien n’était à exercer les fonctions de chef de l’exécutif provincial sans avoir déféré à la formalités constitutionnelles et légales de présentation et d’approbation préalables de son programme d’action devant l’Assemblée provinciale. Du fait de l’indifférence des plus hautes autorités du pays qui semblent plus soucieuses de se ménager des clientèles dans cette malheureuse province qu’à faire triompher la loi, le Sankuru pleure et s’enfonce dans les abysses des pratiques de patrimonialisation privée systématique et des tâtonnements qui creusent un grave fossé entre lui et la plupart des autres provinces de la RDC en termes de développement et de bonne gouvernance.
Face à cette situation ubuesque, «les faiseurs de roi » de juillet 2019 qui s’étaient naguère autoproclamés «héros» pour avoir eu le « courage » de fouler aux pieds le mot d’ordre de leur famille politique en échange d’espèces sonnantes et trébuchantes se terrent chacun dans son coin et pointent un index accusateur sur les complices de leurs turpitudes qu’ils avaient pourtant aidé à s’emparer par les moyens les plus immoraux des rênes de cette province aux dépens du mieux-être de millions d’hommes et de femmes qui ont en partage la province. Un auto-dédouanement qui ne convainc personne à tel point que le Sankuru ressemble de plus en plus à une zone de non-droit. La boulimie nauséabonde de ces élus et le cynisme de ceux qui ont jeté aux orties toutes les valeurs morales pour faire main basse sur cette pauvre province ne sont pas sans rappeler les protagonistes hideux du célèbre roman de l’immortel Amadou Hampaté Bâ «en attendant le vote des bêtes sauvages». Car à l’instar des pittoresques – et pitoyables – personnages de cet essai, le peuple du Sankuru vacille aujourd’hui entre strangulation, stagnation, désespoir et résignation.
Mukumadi, une éphémère illusion
J-S Mukumadi le numéro 1 en titre de la province a été imposé en pompe, par fait du prince, à la tête de l’exécutif de cette province en juillet 2019 suite à un scandaleux déni de droit au Conseil d’Etat et à une véritable fumigation des consciences de certains députés provinciaux corrompus qui n’ont pas tardé à être rattrapés par leur propre forfaiture. Moins d’un an après sa prétendue « élection », Mukumadi a fait perdre à plus d’un toute illusion. L’heure du désenchantement, du doute, de l’incertitude et des ratés à cause des errements infects et de la flétrissure a sonné. La conscience collective s’évanouie. Un rêve inabouti . De mauvaises langues affirment que JSM n’aurait été recruté que pour faire de la figuration à la tête du Sankuru afin que des mentors à partir de Kinshasa puissent s’en mettre plein les poches grâce aux ressources de cette province enclavée en la dirigeant par procuration. Mais l’ex-serveur dans un restaurant de Lille en France a pris de court la plupart de ses maîtres à penser et la quasi-totalité des députés provinciaux qui avaient vu en lui un fantoche manipulable à volo.
Narguant aussi bien ses sponsors que ses administrés, Mukumadi s’est très vite orienté vers un affairisme égocentré à nul autre pareil dans le trafic des diamants des alluvions du Sankuru et de la Lubefu. Quelques jours à peine après son « élection » et sans attendre l’investiture obligatoire de l’Assemblée provinciale, il a parsemé ces cours d’eau de la province de dragues de ses associés et maîtres pour une cueillette sans contrepartie au Trésor public de pierres précieuses vendues à l’étranger. Avec les revenus de son butin, il a commencé à carresser dans le sens du poil quelques têtes couronnées du pouvoir à Kinshasa. Pas assez pour neutraliser longtemps la vigilance de la meute de membres de l’Assemblée provinciale en quête eux aussi de prébendes ou d’absolution, certains d’entre eux ayant derechef présenté de plates excuses à leurs bases respectives quelques jours auparavant pour avoir porté un olibrius aussi invertébré que vorace à la tête de la province.
Invité à présenter son programme d’action devant la représentation provinciale pour recevoir l’investiture préalable à son entrée en fonction, le gaillard a préféré botter en touche et snober cette dernière avec la complicité du ministère de l’Intérieur du gouvernement central. Mis en accusation devant la Cour de cassation pour outrage à l’Assemblée provinciale et détournement de deniers publics dont il s’était emparé sans titre ni droit, Mukumadi, réputé démissionnaire, joue son va-tout et tente de tirer depuis un exil doré en France, son épingle du jeu notamment en exerçant un vil chantage sur Benoît Olamba, le président de l’organe délibérant par une rocambolesque affaire de « viol » visiblement cousue de fil blanc. Enlevé mardi 10 mars devant son hôtel à Kinshasa par des sbires des services spéciaux de la PNC sous le commandement du général Awashango, les mêmes qui s’en étaient pris naguère au député national Lambert Mende pour essayer d’extorquer leur production à des creuseurs de diamants de Lodja, le jeune speaker de l’Assemblée du Sankuru n’a été libéré qu’après que plusieurs autorités judiciaires alertées par ses proches aient ordonné que compte soit tenu de ses immunités…
Avant cet épisode tragi-comique, Mukumadi s’est amusé à faire place nette au Sankuru pour lui-même et ses sponsors. « Tout dans le comportement de ce gouverneur laisse croire que pour lui, cette province est une sorte de jouet dont il a hérité à titre personnel. Il s’y autorise toutes les excentricités, assuré de la protection de ses puissants ‘’parapluies’’ dans la capitale. C’est pire que dans les pires années du régime de la deuxième République de Mobutu », se plaint un jeune magistrat scandalisé par les interférences systématiques de Mukumadi et son vice-gouverneur Tchabylo N’Koto dans les procédures judiciaires en totale violation des principes de la séparation des pouvoirs et de l’indépendance du pouvoir judiciaire. « Il leur arrive très régulièrement d’enjoindre à des magistrats de condamner ou acquitter des prévenus, voire d’annuler des sanctions pénales prises à l’encontre de certains malfrats. Lorsqu’on leur fait remarquer que cela est contraire aux lois du pays, ils rétorquent en invoquant de prétendus ordres hiérarchiques ». Ces propos de l’homme des lois sont confirmés par un officier supérieur de la Police nationale congolaise en poste à Lusambo, le chef-lieu de la province qui témoigne : « Mes collègues et moi-même avons eu la surprise de recevoir du vice-gouverneur Tchyabilo l’ordre formel de ne plus exécuter les décisions du Tribunal de grande instance et de la Cour d’appel parce qu’il (vice-gouverneur) estimait que les juges étaient des subversifs qui ne veulent pas obéir aux autorités. Un commissaire supérieur de Lodja qui a suivi à la lettre ce mot d’ordre a irrité le procureur de la République qui lui a retiré son habilitation d’Officier de police judiciaire avant de le déférer devant l’auditorat près la Cour militaire supérieure de Mbuji-Mayi, sans que le vice-gouverneur ne lève le petit doigt pour lui éviter des ennuis », a-t-il précisé. Si les magistrats ont su résister sans grand dommage à cet arbitraire du duo placé à la tête de la province du Sankuru, il n’en va pas de même des autres catégories socio-professionnelles. Les révocations en cascade dans la fonction publique provinciale, parmi les membres des deux gouvernements (l’un investi et l’autre non investi mais tous deux opérationnels!) et même au sein des services déconcentrés relevant pourtant du gouvernement central en sont quelques illustrations. Même les chefs traditionnels n’échappent pas à la furie mégalomaniaque de Mukumadi et Tchyabylo. Il existe bien une législation spécifique qui met les chefs traditionnels à l’abri des caprices et de l’arbitraire des autorités politico-administratives centrales, provinciales ou locales en quête permanente d’une clientèle soumise mais les deux nouveaux « propriétaires » du Sankuru n’en ont cure. Une quinzaine de chefs coutumiers impliqués dans des conflits de succession sont ainsi tombés dans leurs filets. « Notre gouverneur et son vice-gouverneur agissent envers nous avec une légèreté déconcertante », déclare R.D. une de leurs victimes. « Mon cousin qui me disputait le trône de notre oncle défunt les a soudoyés et du jour au lendemain j’ai reçu une lettre de ‘’révocation’’ comme si j’étais un conseiller du gouverneur ! Sans aucune procédure ni auprès de notre famille régnante ni devant la Commission de conciliation des conflits coutumiers instituée par la loi congolaise. Grâce à mes avocats, j’ai attaqué cette décision devant la chambre administrative de la Cour d’appel du Sankuru. J’ai eu gain de cause… ». La Cour d’appel du Sankuru a également annulé plusieurs autres décisions, ce qui a valu à quelques magistrats des menaces physiques du duo dans le pur style des années du régime nazi allemand. Le feuilleton politico-judiciaire de la malheureuse province du Sankuru a pris un tour singulier sur fond de polémiques, d’invectives et de coups bas. Ainsi, le gouverneur ad intérim Tchyabylo aurait, dans une correspondance au vice premier ministre, ministre de l’Intérieur, demandé à ce dernier sa confirmation comme patron du gouvernement provincial « étant donné que le gouverneur Mukumadi s’en est allé à l’étranger et qu’il ne saurait répondre devant la justice au regard de la gravité et de l’évidence des preuves accumulées contre lui ». Dans une lettre ouverte datée du 7 mars adressée au gouverneur démissionnaire du Sankuru, son secrétaire particulier et disciple de la première heure Patrick Lokala, a, ni plus ni moins, exigé … la démission de Mukumadi qui devient une urgence pour le salut du Sankuru. Ce plus proche collaborateur de Mukumadi n’a pas lésiné avec les mots : «Depuis votre élection, la plupart de vos choix ont mis à mal l’unité et la cohésion des fils et filles du Sankuru. C’est le cas notamment de votre gouvernement provincial qui n’a pas respecté l’équilibre géostratégique. Les missions de services ne bénéficient qu’aux ressortissants d’un seul coin et s’inscrivent dans cette même logique du déséquilibre (…). Certains de vos amis sans aucune fonction officielle engagent avec votre complicité la province auprès des institutions nationales et internationales sans que ces contacts soient utilisés à bon escient pour servir la population sankuroise (…) Le népotisme est revenu au galop avec les membres de votre famille biologique qui se substituent aux institutions provinciales : votre oncle maternel bombardé directeur de cabinet, vos cousins et cousines usurpant de vos pouvoirs au point de retirer des fonds destinés à la province dans les institutions bancaires … ». A quelques jours de la rentrée de l’Assemblée provinciale, le peuple du Sankuru continue à se morfondre dans l’incertitude et à interpeller les autorités exécutives et législatives nationales sur le destin injuste qui est le sien. La lenteur de la procédure judiciaire engagée en vue de sanctionner les violations des lois par ceux qui sont censés les faire respecter au Sankuru ne fait qu’empirer une situation déjà précaire. Maître Benoît Dandja, président de la Société civile-Forces vives du Sankuru demande avec insistance à la Cour de cassation de se prononcer rapidement sur le dossier de mise en accusation du gouverneur Mukumadi par l’Assemblée provinciale afin que la province du Sankuru renoue avec une gestion orthodoxe et que ses habitants soient en mesure de vaquer normalement et librement à leurs activités quotidiennes.
Alfred Mote
et Le Maximum