Depuis le mois d’octobre 2019, la RDC a renoué formellement avec le FMI. Selon les partisans de cette solution qui a eu la préférence du président de la République, c’est la seule manière d’éviter une crise économique majeure. Pour rencontrer une des conditionnalités du Fonds, des mesures concrètes ont été prises pour contrôler le déficit du pays alors même que le président Félix Tshisekedi avait imposé au gouvernement l’adoption d’un avant-projet de loi budgétaire 2020 historiquement haut (11 milliards USD) qui a été voté tel quel par le parlement. Des rues de la capitale Kinshasa aux bureaux climatisés des ministères, on s’inquiète mezza voce en ce mois de janvier, premier anniversaire de l’avènement au pouvoir du président Tshisekedi. « L’argent ne circule plus. Les prix sont trop élevés, les gens ne sont pas payés. Vraiment, le pays va mal », murmure un agent de sécurité. Les fonctionnaires se plaignent de voir leurs maigres traites amputées suite à la rétention des 15% de l’IPR qui touche même leurs primes. «Sur le peu que le président Kabila nous a laissé, ils veulent retrancher 15%. Le président de la République promettait l’amélioration des conditions sociales des agents. Un an après, il ne nous a rien donné mais nous prend en plus ce qui nous revient », s’emporte un agent qui proteste avec quelques dizaines d’autres rassemblés pour un sit-in devant le vieux bâtiment du ministère de la Fonction publique. Son voisin détaille par le menu tout ce que l’État avait promis de payer aux fonctionnaires sans respecter ces engagements : allocations logement, transport et familiales, ainsi que les soins de santé. « Je constate avec regret que malgré un budget de 11 milliards USD et beaucoup d’autres promesses, on nous tue à petit feu » s’écrie-t-il. Enervé, il omet de reconnaître au président Tshisekedi la gratuité de l’enseignement primaire qui pèse tellement sur les dépenses publiques. Alors qu’un journaliste lui fait remarquer que les restrictions des dépenses publiques étaient une des mesures recommandées par le FMI dans le cadre d’un plan d’assainissement des finances publiques Il dénonce une politique suicidaire menée par « des agneaux devenus subitement des loups ».
770 milliards FC de déficit fin 2019
Le 27 janvier 2020, sur les antennes de RFI, le ministre des Finances, José Sele Yalaghuli a enfin livré une partie de l’explication en parlant d’une « politique d’austérité ». Sa déclaration a valeur de droit de réponse, le directeur de cabinet du président de la République Vital Kamerhe et d’autres membres de la plateforme CACH l’ayant accusé, lui et ses collègues du FCC au sein de l’exécutif, d’entraver malicieusement le changement promis par le nouveau chef de l’État. «Nous avons dû mener, à partir de septembre, une politique d’austérité parce que nous sommes aujourd’hui en programme avec le FMI», a justifié l’argentier national, assurant travailler sur pied des directives du président lui-même et de son premier ministre pour contenir le trop lourd déficit du pays. Quand, de la présidence aux ambassades de la RDC dans les pays les plus éloignés on se plaint d’arriérés de paiement, José Sele dément sèchement, assurant qu’à son niveau tout a été décaissé « même si c’est avec un peu de retard. Deux ou trois mois tout au plus ». Le 6 septembre 2019, après neuf mois de dures négociations entre le nouveau et l’ancien chef de l’État, un gouvernement de coalition avait été investi.
Multiplicité des plans de décaissements
De janvier à cette date, le pays était dirigé théoriquement par le gouvernement sortant de Bruno Tshibala. En fait, c’est la présidence de la République qui, en l’absence de légitimité du gouvernement Tshibala et de l’impossibilité de tout contrôle parlementaire, menait la barque. « Seuls maîtres à bord, M. Kamerhe et ses amis s’en sont mis plein les poches ainsi que le révèle l’affaire dite des 15 millions USD de remboursements dus aux pétroliers envolés dans des rétro-commissions », observe un membre de l’Inspection générale des finances parlant sous le sceau de l’anonymat. Même après la mise en place du gouvernement de coalition de Sylvestre Ilunga Ilunkamba le Trésor a continué à être saigné à blanc avec des dépenses publiques suivant deux plans de décaissement : l’un de la loi de finances 2019 et l’autre du programme des 100 jours du président. C’est à l’issue de cette période dite de transition que José Sele le nouveau ministre des Finances dit avoir « découvert un déficit de 770 milliards FC [plus de 450 millions USD ndlr] » dans les caisses de l’État. La Banque centrale du Congo (BCC) avait pourtant prévenu la présidence et le gouvernement de ce dérapage des finances publiques qui avait commencé à devenir inquiétant dès avril, un mois après le lancement des travaux du projet des 100 jours. « Même pour un néophyte, les documents publiés chaque semaine par l’institut d’émission attestaient d’une hausse croissante du déficit qui atteignait quelques 130 millions USD au 19 avril 2019. On pouvait lire dans l’un de ces bulletins hebdomadaires de la Banque Centrale que ces déficits étaient notamment dus au coût des ‘’mesures d’urgence’’ du projet de 100 jours qui, selon les experts de la BCC représentaient près d’un quart des dépenses publiques d’avril 2019. Sans aucun égard pour l’indépendance de la Banque Centrale, Le directeur du cabinet présidentiel et le porte-parole du nouveau chef de l’État étaient montés au créneau pour recadrer et savonner ce rapport peu flatteur dans les médias locaux et, le 30 avril, la BCC avait ‘’corrigé’’ ses chiffres et annoncé sans sourciller un excédent de 180 millions USD au compte général du Trésor. Un ‘’miracle’’ qui ne pouvait tromper que des naïfs », a remarqué un professeur des finances publiques de l’Université de Kinshasa.
Austérité depuis septembre ?
La RDC vit une « situation complexe et il faut que tout le monde en tienne compte car l’avenir du pays en dépend », aime à rappeler le lumumbiste Lambert Mende, talentueux porte-parole du gouvernement de Joseph Kabila. À l’issue d’élections très fortement contestées, Félix Tshisekedi, le fils de l’opposant historique Etienne Tshisekedi est devenu président de la République alors que toutes les assemblées législatives sont contrôlées par son prédécesseur. Un an plus tard, beaucoup de partisans du nouveau président et les détracteurs de Joseph Kabila à l’étranger piaffent d’impatience. A leur avis il n’y a que très peu ou pas de changement à la tête des services de défense et de sécurité, des cours et tribunaux, des entreprises publiques et même de la Banque centrale. Comme s’il s’agissait de technostructures propres au cabinet d’un chef d’Etat et non de services publics d’un Etat de droit. Au-delà de cette coalition au pouvoir pas aussi « étrange » qu’on l’a dit au regard des orientations idéologiques de ses deux composantes, les institutions, hier comme aujourd’hui pèsent lourdement sur le budget de l’État. L’Observatoire de la dépense publique (ODEP), une ONG congolaise, estime à plus d’un milliard USD leur coût et s’insurge comme il n’a cessé de le faire pendant les années Kabila contre ce qu’il considère comme un « partage du gâteau ». Aux yeux de la loi des finances 2020, la RDC a l’équivalent de deux exécutifs pléthoriques avec 66 ministres et vice-ministres au gouvernement et presque le même nombre de conseillers spéciaux à la présidence avec désormais rang de ministre.
Un pays, deux exécutifs
Interpellé sur le nombre excessif de conseillers spéciaux émargeant au budget de l’Etat, Vital Kamerhe a commencé par démentir avant d’assurer découvrir l’information grâce à RFI. Et d’invoquer « une erreur monumentale » dans la loi de finances 2020 alors que toutes les sources autorisées contactées au sein des services compétents du gouvernement dénoncent avec effroi l’ampleur des «recrutements politiques ». Devant la multiplication des petits et gros scandales chacun a ses bêtes noires. Un investisseur étranger s’emporte contre tous les sauts-de-mouton (viaducs sur les grands axes routiers) lancés dans la capitale « en même temps sur plusieurs sites à la fois et sans régie financière spécifique » qui créent près d’un an après, des embouteillages monstres. Un autre regrette la multiplication des scandales financiers. « Les chiffres volent très haut à un rythme accéléré. 15 millions USD ici, 128 millions à 200 millions là sans qu’aucune explication plausible ne soient fournies par les instances judiciaires manifestement atteintes par le virus de la politique politicienne ». Pour un spécialiste du ministère des Finances, « chaque dépense autre que contraignante, c’est-à-dire salaires et frais de fonctionnement, crée un effet d’éviction (car) l’État ne peut pas à la fois dépenser et investir de manière incontrôlée sur plusieurs fronts et régulièrement payer ses employés. Ses ressources sont trop limitées en raison de la corruption ». A l’instar de certaines organisations de la Société civile comme la Lucha, il indexe les trop nombreux voyages à l’étranger du chef de l’État. « Le président Tshisekedi a passé presque un tiers de son temps depuis son investiture à l’étranger. C’est un peu trop même si c’est pour redorer l’image du pays. Pire, contrairement à son prédécesseur, il se déplace avec de très nombreux collaborateurs qu’il faut bien loger et nourrir aux frais du Trésor ».
Une semaine de réserves de change
Austérité ou pas, la RDC a bel et bien frôlé le pire et la BCC a joué un grand rôle dans cette situation. C’est le FMI qui l’explique depuis Washington. Les réserves de change à l’internationale avaient fondu au point d’atteindre le niveau critique « d’une seule semaine d’importations à la fin du mois d’octobre 2019 ». La timidité de la politique monétaire de la BCC a rendu le pays très vulnérable, notamment aux spirales dépréciation-inflation, selon cette institution de Breton Woods. Si le FMI a octroyé à l’État congolais un prêt d’urgence de plus de 368 millions USD, c’est bien pour l’aider à maintenir la tête hors de l’eau et « compléter les efforts entrepris enfin pour reconstituer ses réserves de change qui se sont singulièrement amoindries » selon un chroniqueur financier proche du dossier. A en croire cette source, cet argent n’a été placé en décembre dernier dans un compte du Trésor de la RDC en Suisse pour stabiliser le taux de change et les prix qu’à « la stricte condition que les autorités congolaises s’engagent formellement à dépenser dorénavant à la hauteur de leurs moyens propres en caisse ».
Le rapport du FMI daté du 4 décembre 2019 livre plus de détails sur les « avances et garanties » fournies par la BCC qui ont déstabilisé la balance des paiements. Pour financer la gratuité de l’enseignement primaire et le programme de 100 jours du nouveau chef de l’État, écrivent les experts du FMI, elle avait avancé 603 milliards FC (0,7% du PIB) à l’État, une pratique pourtant interdite par la loi congolaise relative aux finances publiques. Elle avait également garanti pour 372 milliards FC (soit 0,4% du PIB) supplémentaires de prêts des institutions publiques dans les banques commerciales. Pour cela, elle y avait rapatrié une partie de ses réserves en devises, violant toutes les recommandations internationales en la matière. « Ce n’est donc pas que l’argent ne circule plus, c’est que l’argent qui circulait avant n’existait plus et cela se traduit par une forte inflation qui est une sorte d’impôt des pauvres », explique encore l’homme d’affaires étranger. « Tout ça, c’est du passé, l’important, c’est qu’on soit tous aujourd’hui engagés dans le respect de l’orthodoxie financière », essaye de rassurer un haut responsable de la BCC qui ne nie rien et promet de se contenter d’émettre des bons au Trésor, seule « pratique saine » de financement de la dette intérieure.
Hausse des prix de certaines denrées entre décembre et janvier
Malgré l’assistance du FMI, la spirale inflationniste ne s’est pas arrêtée. À Kinshasa, en janvier 2020, certaines denrées ont vu leur prix grimper. La faute n’incombe pas qu’à la BCC et à l’usage de la planche à billets. L’économie de la RDC est si fragile qu’elle reste sensible à n’importe quel choc externe. Pour déséquilibrer les prix, il suffit qu’une route entre une entité productrice de denrées d’usage courant et ses exutoires commerciaux soit tellement endommagée (exemple : entre Bunia et le grand carrefour qu’est Kisangani), que les transporteurs mettent vingt jours de plus pour les rallier ; ou que l’OFAC américain mette sous sanction un homme d’affaires comme le Libanais Saleh Assi propriétaire des industries Pain Victoire et MinoCongo, cruciales pour la distribution du pain et du poulet dans la capitale.
Le revers de la gratuité de l’enseignement primaire
« Il ne faut pas tomber dans le piège de blâmer Félix Tshisekedi. Il hérite d’infrastructures moribondes, d’entreprises publiques en faillite et d’un appareil d’État, qui faute d’être bien payé est corrompu», commente un proche du nouveau président. « Il faut reconnaître aussi que la coalition et la gratuité coûtent cher, mais elles ne sont pas négociables, les bailleurs de fonds doivent nous aider », ajoute-t-il. L’une des mesures les plus soutenues du président Tshisekedi, à l’intérieur du pays, comme à l’étranger, c’est justement la gratuité de l’enseignement primaire qui coûte à elle seule 1,2 milliard USD par an. Elle inclut le paiement de centaines de milliers d’instituteurs congolais qui n’avaient jamais été payés par l’État, l’amélioration des salaires et des frais de fonctionnement jusqu’ici modiques. 80% du coût de l’enseignement primaire étaient jusqu’ici assumés par les seuls parents. La Banque Mondiale propose de contribuer à cette mesure historique à hauteur d’un milliard USD sur trois ans, l’essentiel sera donc assumé par l’État congolais lui-même qui devra prouver à chaque étape que l’argent des bailleurs est bien utilisé. Depuis son investiture, le nouveau chef de l’État a également promis d’assurer la gratuité des soins primaires de santé et de sortir en cinq ans un quart de la population congolaise de l’extrême pauvreté. Alors même qu’il multipliait les voyages à Washington pour concrétiser l’accord avec le FMI, lui-même conditionné par un contrôle strict des dépenses, il avait poussé son gouvernement et le parlement à adopter un budget de 11 milliards USD plus de deux fois supérieur à ce que la RDC a été capable de décaisser en 2019, une année au cours de laquelle grâce à la mine de Mutanda, l’un des principaux contributeurs de l’impôt sur les bénéfices qui vient de suspendre ses activités pour deux ans, avait versé plus de 600 millions USD à l’État. Ce budget a été qualifié par le représentant du FMI à Kinshasa d’irréaliste, au grand dam des partisans du nouveau président. On attend depuis fin janvier 2020 un ajustement sous forme d’un plan de trésorerie, Kinshasa ayant admis que « les projections du budget 2020 étaient trop ambitieuses ». Il devrait être basé sur des « projections réalistes des recettes et de financement et compatible avec un déficit de 0,4% du PIB pour 2020 [200 millions USD]» et exclut tout recours à la planche à billets. Plus que la loi de finances promulguée depuis par Félix Tshisekedi, ce document devrait « guider l’exécution des dépenses budgétaires en évitant les arriérés ».
Mobilisation des recettes tous azimuts
La RDC est parmi les mauvais élèves de l’Afrique subsaharienne en matière de mobilisation de recettes et elle va devoir réaliser l’impossible. Dans son discours à la nation, le président Tshisekedi a fait de cette mobilisation une «priorité nationale impérative». La réussite de son programme en dépend. Le vice-premier ministre en charge du budget et proche de son directeur de cabinet Vital Kamerhe, Me Jean-Baudouin Mayo, défend le bilan de son gouvernement: « Nous avons réussi à observer les contraintes du FMI, c’est pour ça qu’il nous a appuyés avec 368 millions USD. Si la revue n’était pas performante, on n’aurait pas accédé à ce crédit-là », passant sous silence les exigences du Fonds, en plus du contrôle des dépenses publiques et de l’apurement des dettes, attend plusieurs réformes structurelles, dont certaines qui, bien que très ambitieuses, ne permettront sans doute pas, au moins à court terme, de générer plus d’un milliard USD de recettes supplémentaires. Une de ces premières réformes porte sur la généralisation de l’impôt professionnel sur le revenu à tous les agents de l’État. Mais le gouvernement en a pratiquement raboté les retombées en promettant sous la pression des syndicats de payer toutes les allocations prévues par la loi congolaise. La TVA devrait être rétablie, mais les arriérés de paiement de son remboursement aux entreprises sont si nombreux qu’ils représentent plus de 350 millions USD (0,7% de son PIB). Kinshasa s’est aussi engagé à rationaliser le paiement de taxes à diverses entités gouvernementales aux postes-frontière car 60 à 80% des marchandises qui pénètrent en RDC le font de manière frauduleuse. Les recettes douanières restent modiques et ne sont que peu reversées aux comptes du Trésor. Ceux qui en bénéficient sont autant d’intérêts que la coalition au pouvoir devra avoir le courage de bousculer. A ce jour, beaucoup de Congolais, y compris au sein de l’élite, n’ont aucune idée de l’ampleur des défis, aveuglés qu’ils sont par les discours politiques dont ils s’abreuvent. Les variations du taux de change, la hausse de prix et l’impression que l’argent ne circule plus, tout s’explique par l’état des finances de la RDC. Le vice-Premier ministre en charge du Budget se refuse à tout commentaire politique et dément un quelconque déficit de communication du gouvernement sur la réalité de la situation économique du pays. Pour Jean-Baudouin Mayo, le président Tshisekedi a tout expliqué dans son premier discours à la nation. La dépréciation et l’inflation ne seraient que le résultat d’une politique ambitieuse. « On ne peut pas faire d’omelettes sans casser des œufs », a déclaré Mayo pour qui, «c’est le prix à payer et après si jamais on le réussissait, nous pourrons accéder aux facilités élargies de crédit du FMI, la Banque mondiale va nous appuyer. Et le pays sera crédible sur le plan financier à l’internationale ».
J.N.