Plus que la gratuité de l’enseignement de base dont il a réitéré l’effectivité au cours d’un rassemblement lundi 7 octobre à Bukavu, le rétablissement de la paix au Nord-Kivu, particulièrement dans les régions Nande de Beni-Butembo constitue la promesse électorale majeure et une priorité pour Félix Tshisekedi. En campagne électorale en décembre 2018, le futur président de la RDC avait promis de déménager le commandement des FARDC à Beni pour enrayer définitivement la rébellion ADF et les autres milices qui écument la région depuis plusieurs années. Devenu chef de l’Etat et commandant suprême des armées depuis le 20 janvier dernier, Fatshi n’a pas raté une seule occasion de revenir sur cet engagement. « Je ne me sentirai pas entièrement président de la République si la situation sécuritaire n’était pas revenue à l’Est de mon pays », confiait-il aux médias en Belgique, peu avant de se rendre à la dernière assemblée générale des Nations-Unies à Washington. Lundi 7 octobre dernier à Bukavu, il a enfoncé le clou devant des milliers de bukaviens venus l’écouter à la « Place de l’Indépendance » en se déclarant prêt à mourir pour le retour de la paix dans les territoires malmenés de l’Est rd congolais. C’est tout dire de la détermination du nouvel homme fort de Kinshasa à prendre à bras le corps l’épineux problème sécuritaire sur lequel son prédécesseur Joseph Kabila aura buté depuis quelques 18 années.
Défi sécuritaire : une nouvelle perception
Au sujet du défi sécuritaire rd congolais, force est de constater l’évolution de la perception que s’en fait l’ancien opposant radical après 8 mois d’exercice du pouvoir au sommet de l’Etat. Les rébellions FDLR, ADF et autres milices que l’on dénombre par centaines à l’Est du pays ne sont plus le fait du pouvoir de Joseph Kabila, l’ancien adversaire accusé de tous les péchés d’Israël comme autrefois. Lundi dernier à Bukavu, Félix Tshisekedi a déclaré sans hésiter que « nos mines sont à la base de beaucoup de nos malheurs. Aujourd’hui, sil’insécurité règne, c’est à cause de nos richesses. Tout le monde nous les envie et finalement nous les Congolais nous sommes les derniers à en profiter. C’est inacceptable ».
Ces propos présidentiels lèvent un pan de voile sur l’extrême complexité du dossier sécuritaire rd congolais. A Bukavu, où la région collinaire de Minembwe est en proie depuis de nombreuses années à des affrontements armés interethniques, Fatshi a présidé une réunion du conseil national de la défense élargi aux 5 gouverneurs des provinces de l’Est mercredi 9 octobre, qui a défini des assignations précises pour le rétablissement de la paix et de la sécurité, a rapporté le ministre de la Défense nationale, le PPRD Aimé Ngoy Mukena.
Beni : l’essaim d’abeilles
24 heures plus tard, le 10 octobre 2019, le chef de l’Etat s’est rendu à Beni au Nord-Kivu où il était ardemment attendu pour donner le coup d’envoi d’une vaste offensive contre les rebelles ougandais de l’ADF. Plus que leurs tristement célèbres homologues FDLR qui sévissent dans la même région depuis la fin du génocide rwandais de 1994, les ADF ont multiplié les exactions contre les populations civiles ces 5 dernières années, posant un défi sans nom aux autorités du pays. Un rapport conjoint Groupe d’Etudes sur le Congo (GEC) – Human Rights Watch (HRW) avance que cette « plus longue crise humanitaire de l’Afrique » a fait 1.897 victimes civiles et 723 victimes dans les rangs de l’armée loyaliste au cours de deux dernières décennies.
Rien que pour les deux dernières années, 3.015 incidents qui ont touché 6.655 personnes ont été documentés entre juin 2018 et juin 2019, selon ce rapport qui conclut que 8,38 civils pour 1000 habitants ont perdu la vie dans les Kivu en 2018, un taux de décès qui n’est comparable qu’à celui des régions nigérianes écumées par les terroristes de Boko Haram.
Dans la région de Beni et Beni rural, la violence armée était longtemps concentrée sur les hautes terres densément peuplées de l’extrême Est, à proximité des frontières ougandaise, rwandaise et burundaise, avant de redescendre vers la région d’Eringeti particulièrement, et de se rapprocher de plus en plus des agglomérations riveraines de la capitale administrative du Grand Nord Kivu Nande. 31 % des meurtres de civils ont été perpétrés dans le territoire de Beni, en raison de combats entre les forces de sécurité rd congolaises et les ADF. Les rebelles ougandais sont responsables de la mort d’au moins 272 civils entre juin 2018 et juin 2019, selon GEC-HRW. Mais ici, l’enfer dure depuis 5 ans et ne donne guère de signes de ralentissement.
L’enfer depuis 5 ans
Mercredi 9 octobre, alors que le président de la République séjournait à Bukavu avant de se rendre à Beni, une nouvelle incursion des ADF au PK 15 sur la route Mbau-Kamango a fait trois victimes parmi les habitants d’Oicha, malgré des opérations militaires en cours en prélude à la grande offensive annoncée par l’Etat-major général des FARDC. En effet, mardi 8 octobre à Beni, 4 heures de bouclage en forme d’opération porte-à-porte au quartier Mabakanga avaient débouché sur l’interpellation de 52 hors-la-loi (29 civils dont 7 femmes ainsi que des militaires) et la saisie de 9 armes de guerre AK47, des munitions et des effets militaires.
Dans la région de Beni-Butembo, l’insécurité n’est plus le seul fait des rebelles ougandais de l’ADF, selon plusieurs observateurs qui dénoncent l’implication de leaders locaux accusés d’entretenir milices et groupes armés pour préserver des zones d’influence. C’est l’une des raisons de l’extraordinaire résilience d’un groupe armé étranger dont l’objectif était d’affaiblir le pouvoir en place en Ouganda et non pas de massacrer des civils en RDC.
Parmi les leaders Nande cités, à tort ou à raison, dans les exactions contre les populations civiles, Antipas Mbusa Nyamwisi, ancien chef-rebelle, ancien ministre qui a régenté la région au début des années ‘2000. Le président du RCD-K-ML a intégré le gouvernement Kabila après les élections de 2006 avant de se brouiller avec le président de la République honoraire, qu’il a tenté de déstabiliser en s’associant à la rébellion du M23 selon des rapports onusiens (2012-2013) et de s’exiler en Tanzanie.
Responsabilités locales
Alors que les exactions contre les civils attribuées aux rebelles ADF atteignent un pic vertigineux au dernier trimestre 2014, Mbusa Nyamwisi en avait fait porter la responsabilité aux FARDC au cours d’une intervention sur RFI (novembre 2014). Il sera presqu’aussitôt contredit par un de ses anciens lieutenants, Julien Paluku Kahongya, devenu entre-temps gouverneur du Nord-Kivu, qui déclara sur les antennes de la radio onusienne Okapi que « l’insécurité à Beni n’est pas seulement l’œuvre des rebelles ougandais. Elle est facilitée par les enfants de Beni ». Au cours d’un meeting populaire, le 13 novembre 2014, Paluku a précisé que « Antipas Nyamwisi a fait tuer des civils afin de mettre sous pression les populations et venir ensuite se présenter comme libérateur avec sa rébellion en gestation ». Il fondait ses affirmations sur les aveux de deux anciens militaires de l’Armée de Libération du Peuple Congolais (ALPC), la branche armée du RCD-KML capturés par les FARDC.
Le moins que l’on puisse dire est que le défi sécuritaire dans les régions Nande du Nord-Kivu ne peut être efficacement relevé sans la participation des leaders locaux. Félix Tshisekedi en est conscient et s’est procuré quelques atouts. Notamment, une alliance avec Mbusa Nyamwisi, précisément. Le leader Nande a claqué la porte de l’opposition Lamuka en juin dernier, pour «se mettre à l’entière disposition du nouveau président de la République». Le 28 juin 2019, il a regagné son fief de Beni via Butembo, la capitale économique du Grand Nord-Kivu le 1er juillet 2019. Au sujet de l’insécurité provoquée par les rebelles ougandais de l’ADF qui avaient déjà fait quelques 3.755 victimes civiles et presqu’autant de kidnappés, selon la société civile de Beni, Mbusa a réitéré son soutien à Félix-Antoine Tshisekedi et promis de contribuer à l’éradication de la violence armée dans cette région qui compte plus de 130 groupes armés, selon l’inventaire GEC-HRW. «Nous étions des opposants, sachez maintenant qu’il y a un temps pour tout. L’heure est à la reconstruction. Nous étions de l’opposition, maintenant, stop. C’est fini », a lancé le patron du RCD-K-ML au cours de son meeting à Butembo.
Mbusa collabore ?
Mais encore faut-il que l’ancien maquisard de Beni-Butembo soit sincère et n’use pas de ruse avec son nouvel allié. Dans son terroir Nande, certains en doutent. Ceux qui n’ont pas oublié ces fidèles lieutenants rebelles du patron du RCD-K-ML, comme son homme à tout faire, le général autoproclamé Kakolele «Aigle blanc », ou encore Nyoro et Patanjila, deux de ses proches versés en son temps dans la rébellion du M23, qui, eux, n’ont pas encore refait surface. «Avec son nouvel allié comme avec Kabila, Mbusa se réserve toujours une seconde corde à son arc. C’est une seconde nature chez lui», témoigne un prêtre du diocèse de Beni-Butembo.
Dans le chaudron Nande, Fatshi touche du doigt un défi sécuritaire des plus complexes.
J.N.