Au siège de l’UDPS/T à Limete, dimanche 9 juin 2019, les combattants courroucés ne décoléraient pas contre les députés FCC. Certains ont décidé de leur faire payer le fait d’avoir osé critiquer vertement les ordonnances présidentielles nommant les dirigeants de la Gécamines et de la SNCC, deux des plus grandes entreprises étatiques du pays.
Cet après-midi dominical, une exhortation du nouveau secrétaire général du parti, Augustin Kabuya, les a appelés au calme en annonçant une communication officielle du parti. Une déclaration politique signée par le président du comité exécutif de l’UDPS/T, Ntini Bafikuele Hervé, a été rendue publique au terme d’une assemblée extraordinaire convoquée à cet effet. Elle dit avoir constaté avec « atterrement » que l’Assemblée nationale avait violé le principe de la séparation des pouvoirs ; en se rendant coupable d’usurpation ou abus de pouvoir assimilable à la haute trahison en jugeant les actes posés par le garant de l’Etat ; que la présidente de l’Assemblée nationale s’était rendue coupable de «négligence» en laissant les députés nationaux violer l’article 34 du règlement intérieur de la chambre sans user de son pouvoir d’assurer la police des débats ; que l’honorable Charles Nawej avait «outragé» le chef de l’Etat en le traitant d’inconscient.
Réparations exigées
En guise de réparation, l’UDPS/T exigeait des excuses formelles de la chambre basse du parlement, à prononcer par le rapporteur à l’adresse du président de la République ; ainsi qu’une note d’excuse de la présidente du bureau, Jeanine Mabunda, reconnaissant avoir méconnu les compétences de l’Assemblée nationale. Mais aussi, que le député national Charles Nawej soit traduit en justice pour outrage au président conformément aux lois et selon les procédures requises. Le groupe parlementaire UDPS/Alliés était aussi appelé à exiger de la plénière du lundi 10 juin 2019, la concrétisation de ces exigences. Mais rien n’y a fait.
Dès 10 heures, un groupe de combattants de l’UDPS/T surexcités se sont signalés au Palais du peuple, siège du parlement, exigeant la levée des immunités parlementaires de Nawej Mundele, et interdisant l’accès à l’hémicycle à certains députés FCC, qu’ils ont du reste molestés. Xavier Bonane Yangazi, élu FCC de Dungu, s’en est tiré de justesse mais les vitres de son véhicule ont été cassés par ces manifestants. Tandis que l’honorable Balamage, 2ème vice-président de la chambre basse du parlement, a été carrément molesté et blessé. Ce groupe déchaîné a même refusé d’obtempérer aux injonctions de Jean-Marc Kabund, le 1er vice-président de l’Assemblée nationale et président a.i de l’UDPS, venu leur demander de rentrer chez eux. La police appelée en renfort a dû user de grenades lacrymogènes pour les disperser, mais ils ne sont pas allés bien loin, érigeant un check-point non loin de l’hémicycle, pour en interdire l’accès aux députés FCC. Trop d’huile avait été versée sur le feu depuis vendredi dernier, à l’évidence.
L’ire des élus CACH
Dans une déclaration rendue publique le 8 juin 2019, les députés CACH (Cap sur le Changement), la plateforme du président Félix Tshisekedi, partenaire du FCC de Joseph Kabila, avaient en effet dénoncé à la fois le silence coupable du bureau de la chambre basse du parlement qui a laissé se dérouler un débat autour des ordonnances signées par le président de la République au cours de la plénière du 7 juin et le comportement de leurs collègues du FCC qu’ils ont présenté comme «un complot ourdi 24 avant la plénière qui a débouché sur une motion inopportune». Le week-end dernier, les rapports entre les deux plateformes politiques étaient donc au plus bas, à en juger par certaines déclarations d’élus nationaux CACH criant leur ras-le-bol de la coalition FCC-CACH devant les micros des journalistes.
«Les propos tenus par le FCC constituent un outrage non seulement envers M. le président de la République, mais aussi envers la Nation toute entière », déclarait ainsi Léon Ntumba, porte-parole de CACH, à la radio onusienne Okapi. Tandis que Crispin Mbindule, un boutefeux déjà connu pour avoir littéralement empoisonné son Butembo natal en décrétant que le virus à fièvre hémorragique Ebola était un mythe politique, menaçait de « … faire recours … à notre pouvoir d’introduire une pétition contre ce bureau pour qu’on le remplace. Parce que le bureau ne maitrise pas très bien son travail qui n’est pas de contrôler le chef de l’Etat ». Une pétition qui n’aurait que bien peu de chances d’aboutir au regard du poids numérique des forces en présence à l’Assemblée nationale.
Le fondateur de ‘Kabila Désir’ aussi
Les pourfendeurs du bureau de la chambre basse du parlement et des députés FCC ne font pas défaut depuis vendredi 7 juin 2019. Tryphon Kin Kiey, président d’un petit parti politique dont il fut l’unique élu en 2006 et en 2011, avant de créer une plateforme dénommée « Kabila Désir », a lui aussi donné de la voix sur le sujet. L’ancien ministre des Relations avec le parlement a confié à des confrères en ligne que « l’Assemblée nationale a intentionnellement et littéralement outrepassé ses pouvoirs et, du coup, violé la constitution». Candidat indépendant à la présidentielle de décembre 2018 avant de se désister en faveur de Félix Tshisekedi à un mois de l’échéance, Kin Kiey avance que « notre constitution érige un principe absolu : celui de la séparation des pouvoirs » et que « l’Assemblée nationale n’a aucune compétence pour traiter en plénière d’une matière liée à l’institution président de la République, sauf à enclencher la procédure de destitution réglée par les articles 164 à 167 dans des matières précises et dans le cadre du Congrès qui réunit les deux chambres. Ce qui est loin d’être le cas ».
Droits et libertés des élus
Pourtant, Jeanine Mabunda, la flegmatique présidente PPRD/FCC du bureau de la chambre basse avait livré un point de vue très équilibré sur cette question en faisant état de la liberté et des droits des élus du peuple que sont les députés nationaux. Réagissant à l’intervention du député Lamuka Christophe Lutundula, qui relevait que l’Assemblée nationale n’avait pas qualité pour statuer sur les actes du président de la République, Mme Mabunda avait en effet expliqué qu’« il ne s’agit pas ici du président de la République. (…) Nous parlons de la constitution, des lois et des actes réglementaires qui gouvernent les secteurs des transports et du portefeuille. C’est dans ce cadre que des collègues ont souhaité s’exprimer », ajoutant que « si la perception d’un député au nom de sa liberté démocratique est que les lois ne sont pas respectées, il a le droit de s’exprimer ».
La speaker avait en outre obligé et obtenu du député Nawej le retrait et des excuses, pour avoir dit que le président de la République avait «signé ces ordonnances inconsciemment». Avant de conclure que « c’est le défaut ou l’absence du gouvernement qui est à la base de cette discussion sans interface responsable. D’où l’urgence de former rapidement un gouvernement ».
Les nominations contestées intervenues dans des secteurs d’activités où la compétence du présidentielle est «liée» à celle du gouvernement, répondant devant l’Assemblée nationale ont manifestement péché contre la constitution et la loi, selon des experts. Les premières ordonnances portaient en effet le contreseing du directeur du cabinet présidentiel, Vital Kamerhe, à en croire le porte-parole du président. C’est ce qui a soulevé un tollé dans l’opinion, avant de gagner l’hémicycle du Palais du peuple vendredi dernier.
Nominations inconstitutionnelles et illégales
Face à l’ampleur, et sans doute à la pertinence de la contestation, deux nouvelles versions de ces ordonnances contresignées cette fois-là par Bruno Tshibala Zenzhe, le 1er ministre démissionnaire, ont été publiées par la présidence. Il y a donc eu double méprise dans ses services juridiques qui ont ainsi alimenté les accusations de violation de l’article 81 de la constitution qui conditionne la validité des actes de nomination par le président au contreseing d’un 1er ministre de plein exercice.
Bruno Tshibala, qui, après sa démission acceptée expédiait les affaires courantes, n’avait plus qualité pour engager le gouvernement qui, dans le cas d’espèce, aurait dû préalablement délibérer sur ces nominations.
Au cours de la plénière de l’Assemblée nationale, vendredi 7 juin 2019, c’est le député Léon Mondole, élu de Lisala sur la liste Arc-en-ciel du Congo de la plateforme Lamuka qui a présenté la motion querellée et non le FCC. Même si certains de ses collègues de cette plateforme majoritaire alliée à CACH s’en sont fait l’écho. Mondole avait proposé à la plénière de recommander au président de la République de rapporter ces ordonnances « parce que ne respectant pas les prescrits de la constitution et des lois de la République ».
S’adressant à la presse après la plénière, l’honorable Mondole n’y est pas allé par le dos de la cuillère : «Le Chef de l’État a violé la Constitution. C’est un fâcheux précédent. C’est pour cela que j’ai éveillé la conscience et la vigilance de l’Assemblée pour que, désormais, on tienne à l’oeil les responsables des institutions pour que tout le monde soit soumis à la loi », a-t-il martelé.
Dans la foulée, le député ACC avait asséné de vifs reproches à la coalition FCC-CACH qui, selon lui, « a prouvé son incapacité à évoluer ensemble pour donner un gouvernement au pays ». Des propos prémonitoires, qui incitent certains analystes à mieux subodorer le rôle et les motivations cachées de l’élu Lamuka. « Il aurait voulu faire voler en éclats la coalition FCC-CACH qu’il ne se serait pas comporté autrement », déclare au Maximum un universitaire kinois.
A l’instar de bien d’autres observateurs qui se demandent si Mondole ne visait pas ce clash entre le FCC et CACH que provoque sa fameuse motion ‘‘incidentielle’’.
D. MBOKANDJA
Correspondant au parlement