En RD Congo, les évêques de la Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO) sont loin d’émettre tous sur la même longueur d’ondes, particulièrement sur les questions politiques qui, pourtant, ont accaparé l’essentiel de leurs préoccupations ces dernières années.
Les élections présidentielle, législatives nationales et provinciales organisées fin décembre dernier auront dramatiquement révélé des dissensions politiques cléricales qui confinent à l’éclatement de fait de l’assemblée des évêques entre ceux de l’Est, du Centre et de l’Ouest.
Après les évêques de la région du Kasai dont le nouveau président de la RD Congo est originaire, qui avaient pris le contre-pied de la position affichée par leurs collègues de la commission permanente de la CENCO, ceux du (Grand) Kivu font à leur tour entendre un nouveau son de cloche.
A contrario de la thèse de la « vérité des urnes » soutenue par le groupe d’évêques de l’Ouest emmené par le duo Monsengwo-Ambongo, qui avait tôt fait de dénoncer des résultats électoraux non conformes à ceux de la mission d’observation de la CENCO, les évêques kasaïens saluaient, le 27 janvier 2019, «les temps nouveaux qui s’ouvrent dans l’histoire de la (RDC) à la suite des élections du 30 décembre 2018 », tout en louant l’Eternel pour cette « … première alternance au sommet de l’Etat par la voie des urnes ».
Après les évêques du Kasai
4 mois plus tard, les évêques du Grand Kivu, réunis à Bukavu du 27 mai au 2 juin 2019, produisent à leur tour une intéressante « analyse des causes profondes de stagnation observée dans notre marche vers plus de sécurité, de démocratie, de croissance économique, d’attention pour l’environnement, de solidarité et de dignité humaine ». Elle vaut son pesant d’or, manifestement parce qu’elle est délestée de tout parti pris politicien.
Pour Mgrs François-Xavier Marroy (archevêque de Bukavu), Melchisédech Sikuli (évêque de Beni-Butembo), Willy Ngumbi (évêque de Goma, administrateur apostolique de Kindu), Sébastien Muyengo (évêque d’Uvira), Placide Lubamba (évêque de Kasongo), point de vérité des urnes à revendiquer.
Pour les prélats de l’Est, certes, « la sensation qui persiste selon laquelle il y a eu des arrangements occultes entre formations politiques sur les élections supplante ainsi la volonté populaire directement exprimée par les urnes (…) dans ces conditions, le processus pose un problème de légitimité et de crédibilité à tous les niveaux ». Mais ils s’abstiennent prudemment de convertir cette « sensation » en certitude, préférant rendre grâce à Dieu «du climat globalement pacifique qui a entouré les élections générales ainsi que l’alternance qui s’en est suivie au sommet de l’Etat car de manière providentielle, nous avons évité les violences tant redoutées autour des élections», soutiennent ces pasteurs et meneurs de brebis des régions les plus affectées par les violences en RD Congo, de tous les temps.
Violences évitées
Les prélats catholiques réunis à Bukavu ne s’arrêtent pas en si bon chemin. « Nous avons sauvegardé une certaine liberté d’expression», reconnaissent-ils encore, ponctuant que « nous voulons nous en servir pour raviver notre sens de dignité, d’égalité, d’équité, de solidarité, de communion chrétienne et de réconciliation ». Selon eux, « ce qui est en jeu, c’est véritablement de rebâtir l’homme blessé, de transformer la société de l’intérieur, de refonder l’Etat sur des bases nouvelles, c’est-à-dire les valeurs humaines, chrétiennes et républicaines ».
Dans ces régions orientales meurtries et déchirées depuis plusieurs décennies par les tueries consécutives aux affrontements armés, les princes de l’église catholique se montrent manifestement plus circonspects que leurs collègues de l’Ouest. Mgr Marroy et ses collègues se félicitent ainsi de « la maturité grandissante du peuple congolais », avant d’émettre ce qu’ils présentent comme des inquiétudes, plutôt qu’une revendication de vérité.
Déchéance de l’Etat
«Sur le plan de la gouvernance, le retard dans la mise en place du nouveau gouvernement prolonge l’incurie dans la gestion de la chose publique et la décadence largement répandue continue à gangrener la vie publique par rapport à la paix, la sécurité, la vie économique et sociale, l’environnement », se plaignent-ils. Et de dénoncer, au plan sécuritaire, la «déchéance de l’Etat ». «Nos pensées vont particulièrement aux populations de Beni et de Butembo, qui méritent une attention spéciale. Des massacres aveugles y sont attribués aux ADF-NALU, d’autres au nébuleux Etat Islamique revendiquant ses exploits sur son site officiel; l’invasion des terres communautaires se poursuit par des bandes aux provenances obscures ». C’est tout sauf une analyse complaisante ou politiquement intéressée.
Ci-après, le texte intégral du message des évêques membres de l’ASSEB (Assemblée provinciale épiscopale de Bukavu).
J.N.
MESSAGE ASSEPB 2019