Nouvel épisode sanglant, mercredi 8 mai 2019 à Butembo, l’épicentre têtu de l’épidémie de fièvre hémorragique à virus Ebola qui ravage le grand Nord-Kivu Nande depuis bientôt un an. Vers 5 h 30, ce matin-là, des maï-maï ont lancé des attaques simultanées sur la ville, visant particulièrement les installations de la coordination de la lutte contre l’épidémie, après que des tracts eurent été largués sur la ville la veille, menaçant le personnel chargé de la riposte à l’épidémie de pires calamités s’il ne quittait pas la région. Bilan: 9 morts dont 8 des terroristes finalement repoussés par les FARDC (ou 10, selon des sources), et un officier de police. Les miliciens maï-maï ont été mis en déroute à la hauteur du rond-point Soficom au centreville de Butembo, alors qu’ils tentaient de prendre d’assaut la Mairie de la ville, quelques encablures plus loin. Jusque tard au milieu de la journée, des corps d’assaillants tués au combat gisaient encore sur les lieux, ont rapporté des témoins.
Le même mercredi, 14 décès communautaires/hospitaliers ont été enregistrés dans cette seule région de Butembo, de l’épidémie d’Ebola cette fois-ci. Le rapport épidémiologique journalier publié par le ministère de la Santé Publique précise que parmi ces décès, 4 sont survenus à Kalunguta, 4 à Mabalako, 1 à Katwa et 1 autre à Musienene. Ce qui porte le total des victimes de l’épidémie à 1.069 décès, dont 1003 confirmés et 66 probables, contre seulement 442 guérisons.
24 morts mercredi à Butembo
Alors qu’au moins 24 personnes trouvaient la mort le même jour du côté de Butembo, par armes à feu et par maladie à virus Ebola, 267 nouveaux cas suspects étaient en cours d’investigation. 15 nouveaux cas de personnes atteintes du virus étaient confirmés à Katwa (5), à Kulunguta (4), à Mabalako (4), à Mandina (1), et à Musienene (1). Des statistiques minimales, somme toute, parce que les équipes chargées de la riposte envisagent avec appréhension une recrudescence de l’épidémie en raison de cette situation sécuritaire perturbée. Depuis le début de ce mois de mai, l’attaque de mercredi dernier était la 5ème consécutive perpétrée contre la riposte à l’épidémie. Ses équipes avaient limité leurs mouvements dans la ville, par prudence. «Seul un service minimum était effectué» ce mercredi de la mort, lit-on sur le rapport journalier du ministère de la Santé, c’est-à-dire, pas de recherche de nouveaux cas de maladie, pas de vaccination, et pire, pas d’enterrements dignes et sécurisés. Mardi 7 mai 2019, 24 heures plus tôt donc, le triage du centre de santé de Masiki dans la zone de santé de Katwa avait été incendié par des «inconnus», selon l’expression commune. Avant que dans la nuit du 7 au 8 mai, un agent de l’équipe des enterrements dignes et sécurisés, c’est-à-dire ces inhumations qui tentent de concilier le respect dû aux morts d’Ebola aux impératifs de protection de survivants de toute contagion, ne soit assassiné à Vuhovi.
En fait, c’est la mort accidentelle d’un taxi-moto qui a déclenché l’hallali contre le personnel de la riposte mardi dernier, après qu’un véhicule d’une équipe de lutte contre Ebola l’eût heurté mortellement. Ses collègues taxi-man, très nombreux dans la capitale économique du grand Nord-Kivu, ont lapidé tout ce qui bougeait sur le passage du cortège emmenant l’accidenté à la morgue. « Toutes les activités dans la ville de Butembo ont été paralysées à cause de cet accident d’un motocycliste et un véhicule de la riposte contre Ebola», rapportait pour sa part le chef de la police de Butembo à la presse. Pas la peine de creuser bien loin pour mettre à nu les ressorts de l’ire collective des bubolais (les habitants de Butembo) contre la riposte à une épidémie qui pourtant décime à la pelle.
Le cap de 1000 morts dépassé
Dans la ville extrêmement hostile à tout ce qui est étranger aux Nande, il se raconte que mêmes les activités commerciales très développées et courantes ici, se déclinent en termes d’appartenance tribale. «L’étranger ne vend que lorsque la même marchandise est épuisée chez le commerçant Nande. Et les prix d’achat communiqués à l’acheteur varient, selon que l’on est fils du terroir ou non», explique à nos rédactions un vieil homme d’affaires qui avait dû migrer vers le Haut-Uélé il y a une dizaine d’années. Faute de pouvoir écouler sa marchandise.Manifestement, la riposte à l’épidémie d’Ebola se heurte au même schéma mental, assaisonné d’un zeste de tribalisme politicien.
Alors que la fièvre hémorragique à virus Ebola dépassait le cap de 1000 morts depuis plusieurs jours, un artiste bubolais s’est cru bien inspiré en larguant dans l’opinion une chanson appelant pratiquement au lynchage des équipes de riposte. L’œuvre, qui qualifie la 10ème épidémie du genre en RD Congo de «Ebola Business», accuse les équipes de riposte de faire durer la maladie pour des raisons commerciales. Une idée largement répandue dans l’opinion à la suite de campagnes d’intoxication entreprise par des acteurs politiques locaux connus, reconnus et impunis, qui furent les premiers à dénoncer une épidémie inventée par le pouvoir central à Kinshasa pour sanctionner le peuple Nande. Et à présenter le vaccin comme un poison mortel conçu pour décimer le même peuple et accaparer ses terres ancestrales. «L’inaction des autorités du pouvoir provincial à Goma et national à Kinshasa qui semblent préférer gérer ces outrances avec une complaisance politiquement motivée risque d’être à la base d’une véritable hécatombe dont on ne mesure pas encore la véritable étendue», se lamente un jeune prêtre diocésain local.
Nationalisme ethnique étriqué
Sur les terres Nande du grand Nord-Kivu, leaders locaux et acteurs politiques de tous bords ont en effet impulsé une sorte de nationalisme ethnique hostile à tout ce qui n’est pas typiquement local, qui met des populations extrêmement crédules à la merci de vendeurs d’illusions autonomistes aussi collectivement suicidaires que la résistance à la riposte contre une épidémie ou la multiplication de milices nationales et étrangères qui tuent au nom de la protection des terres ancestrales menacées. Dans la région de Beni-Butembo-Lubero, il n’est pas de leader qui n’entretienne ses propres maï-maï dont les patrons se recrutent même parmi les confessions religieuses locales. C’est à la fois peu et tout dire du climat sécuritaire délétère qui sévit dans la région, cyniquement entretenu par une grande partie de l’élite, qui se charge de la mobilisation des esprits contre tout pouvoir qui ne relèverait pas d’autorités ethniques et régionales.
Le renforcement de la riposte contre l’épidémie d’Ebola décidée par le président de la République Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo avec la création d’un comité multisectoriel national en fait ainsi les frais dans les colonnes d’un journal en ligne de la région: «L’Ebola a fait son éruption à Beni-Butembo sous le gouvernement du premier Ministre Bruno Tshibala. Ce dossier a été constamment géré par le ministre de la Santé docteur Oly Ilunga Kalenga, par l’entremise du docteur Ndjoloko Tambwe Bathé dit responsable national de la direction de lutte contre la maladie. L’évaluation et le bilan de leur gestion commune ne révèle de nos jours qu’une réalité catastrophique, en se mêlant visiblement dans des manoeuvres opportunistes portées à repousser au plus loin possible les efforts déployés dans le souci de maîtriser la maladie. Continuer à les confiner dans le monopole de gestion de la riposte contre l’Ebola est synonyme de clouer les populations victimes de cette maladie cruelle dans le désespoir total; car les mêmes personnes qui ont entretenu la pérennisation de cette épidémie par des stratégies variées (isolement de la communauté locale dans la gestion de riposte, attaques pour décourager les experts internationaux de l’OMS, la “politisation” des informations autour de ladite maladie etc.) jusqu’à ces jours, ne peuvent aucun cas prétendre être en même temps des personnes bienveillantes déterminées à éradiquer la maladie », peut-on lire dans les colonnes de Beniluberoonline.
Le nœud de la résistance contre la riposte à l’épidémie d’Ebola dans le grand Nord, c’est la gestion des fonds mis à disposition par les autorités nommées par Kinshasa. Entre autres. Le président de la République et son équipe de riposte feraient oeuvre utile en intervenant aussi en amont pour étouffer dans l’oeuf de telles saillies aussi irresponsables que criminelles qui tuent de la même manière que le kalachnikov et les machettes des ADF et le terrible virus Ebola. Car il est temps de comprendre que la liberté des uns doit s’arrêter là où commencent la vie et la sécurité du plus grand nombre.
J.N