Invité lundi 6 mai 2019 par le Commissaire Général Adjoint en charge de la police judiciaire à se rendre au siège de ce service auxiliaire du parquet, Martin Fayulu n’a pas effectué le déplacement des bâtiments du Casier judiciaire dans la commune de la Gombe. Le week-end dernier, la direction générale avait prudemment rétropédalé, reportant l’audition du candidat malheureux à la présidentielle du 30 décembre 2018 à une date ultérieure. «C’est pour éviter que la sérénité de la population ne soit rompue », a expliqué aux médias le Colonel Pierrot Mwanamputu, le porte-parole des flics. Et aussi, parce que « certaines personnes ont donné à cette invitation un caractère politique. Ce qui risque d’exposer la population qui habite à proximité du lieu de l’audition à l’insécurité. Nous avons pratiquement quatre écoles maternelles, une école primaire et une école secondaire, quelques résidences des diplomates là-bas. L’instruction a été donnée pour décaler cette audition pour une date ultérieure. La notification lui a été faite à travers son avocat », a ajouté Pierrot Mwanamputu. Invitation judiciaire politisée
Parmi les personnes suspectées de donner un caractère politique à une invitation de la police, Martin Fayulu lui-même, sans nul doute. Le président de l’Ecidé s’était en effet déclaré prêt à répondre à l’invitation de la police judiciaire mais accompagné des militants de son parti et de la coalition Lamuka, reconvertie en plateforme politique depuis une dizaine de jours. Dans l’entourage de l’ancien candidat à la présidentielle, le MLC Babala Wandu, originaire de l’ex-province du Bandundu comme Fayulu Madidi, a lui aussi embrayé bruyamment sur l’appel au renfort des troupes lamukistes : «les 62 % d’électeurs qui ont voté le candidat de la plateforme (chiffres de Lamuka ndlr) l’accompagneront à l’immeuble du Casier judiciaire», a-t-il déclaré sur les antennes d’une radio qui a pignon sur rue à Kinshasa.
Si Martin Fayulu ne s’est pas rendu au “Casier judiciaire”, expliquant que ses avocats en avaient ainsi convenu avec la police, l’homme n’en a nullement dissuadé ses sympathisants invités à se rendre nombreux sur les lieux de son audition. Loin s’en faut. Au cours d’un point de presse lundi en milieu de journée, l’ancien challenger de Félix Tshisekedi a plutôt félicité « … tous les compatriotes qui se sont mobilisés à travers le pays derrière leur président élu pour montrer au monde entier que les Congolais ne laisseront pas passer la forfaiture et le vol de leur souveraineté ». « La volonté du peuple doit être respectée », promettant de rameuter ses troupes dès que « n’importe quelle autre instance judiciaire instrumentalisée » lui adresserait une nouvelle invitation. Un véritable pied de nez à la justice.
Plus d’écriteaux que de manifestants à Kinshasa
En fait de ‘‘volonté du peuple’’, lundi à Kinshasa, seulement quelques dizaines de manifestants avaient été aperçus devant le Faden House, l’établissement hôtelier qui sert à la fois de résidence et de bureau à Martin Fayulu. Les 62 % d’électeurs kinois vantés par Babala sont demeurés peu visibles, malgré le grand renfort d’écriteaux invitant à ne pas toucher à l’ancien candidat à la présidentielle. Et « la fameuse mobilisation à travers le pays » invoquée par le président de l’Ecidé ne semble avoir été enregistrée qu’à Kikwit dans le Kwilu, où quelques centaines de partisans d’Adolphe Muzito, un autre leader Lamuka, ont organisé une marche de soutien en sa faveur. Néanmoins, après les perturbations observées à l’occasion de son retour de Bruxelles le 28 avril 2019, au cours desquelles ses partisans ont brillé par des voies de fait et des propos haineux contre les luba, la tribu du nouveau président de la RD Congo, les services de police ont pris des précautions d’usage. Des points sensibles au centre-ville à la Gombe, particulièrement les abords de l’immeuble abritant les services du Casier judiciaire, étaient ceinturés par d’importants renforts de police. Un déploiement à titre préventif, selon le Colonel Mwanamputu parce que « certains veulent un bras de fer, mais nous voulons sécuriser la population », a-t-il ajouté.
Précédent fâcheux
Le 28 avril dernier, des militants Lamuka s’étaient affrontés à un groupe de jeunes énervés par les injures et quolibets déversés sur les ressortissants baluba à la hauteur du marché de la Liberté à Masina. Il s’agissait, selon des témoins, des sympathisants de l’UDPS/T et du nouveau président de la République. Dans les quartiers périphériques de l’Est de la capitale de la RD Congo, c’est à peine si des affrontements interethniques généralisés n’ont pas éclaté, dans les jours qui ont suivi la proclamation des résultats de la présidentielle de décembre dernier par la CENI, notamment. Des témoignages faisant état d’agressions de ressortissants luba par des casseurs recrutés parmi des originaires de l’ex-Bandundu du candidat malheureux à l’élection présidentielle ont été rapportés. Les propos injurieux ressassés à l’occasion des manifestations publiques de Lamuka ne sont pas de nature à favoriser la convivialité entre ces communautés, très nombreuses dans ces quartiers extrêmement populeux. De plus en plus d’observateurs estiment donc que Lamuka et son ancien candidat à la présidentielle entretiennent et réactivent des germes de conflictualité susceptibles d’embraser, outre Kinshasa la capitale, toute la partie Ouest de la RD Congo dans le cadre d’une sorte de révolution de couleur sous prétexte de revendication de la « vérité des urnes ».
Activation de conflits identitaires
De récentes révélations de chercheurs internationaux renseignent, en effet, que des puissances occidentales et américaines caressent des projets de déstabilisation à grande échelle de la RD Congo si elles ne parviennent pas à leurs fins, politiques et économiques. Qui consistent à réduire les exigences fiscales de l’Etat dans le domaine minier : « c’est plus sophistiqué que les interventions militaires étrangères de plus en plus décriées de nos jours », explique à nos rédactions un professeur de droit international de l’Université de Kinshasa. Selon ces analyses, confortées par les déclarations de leaders comme Adolphe Muzito qui n’a pas hésité à annoncer des perturbations sociales pour dissuader tout investisseur désireux de s’implanter en RD Congo, la coalition Lamuka apparaît de plus en plus comme un conglomérat de visages que devraient prendre les révolutions identitaires à travers certaines régions de la RD Congo. C’est cette sorte de conflit social que Martin Fayulu se charge de mettre en œuvre dans la partie Ouest du pays, selon ces analyses.
J.N.