Le président de la République, Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, a clôturé jeudi 18 avril 2019 une visite de quatre jours dans la province du Nord-Kivu. Le chef de l’Etat est arrivé dimanche 14 avril à Goma en provenance de Lubumbashi (Haut-Katanga). Mardi 16 avril, il s’est rendu à Beni où il a séjourné 48 heures avant de visiter Kalehe, dans le Sud-Kivu.
Séjour plein et lourd de sens pour le successeur de Joseph Kabila Kabange à la magistrature suprême. En campagne électorale en décembre dernier, le candidat de la coalition CACH avait quasiment promis le purgatoire, à défaut du paradis, à ses compatriotes de cette région dévastée par les conflits et le terrorisme. Ceux du Grand-Nord Kivu Nande particulièrement, en proie à une insécurité chronique marquée par les exactions des rebelles ougandais ADF, saupoudrées à la sauce locale, ces groupuscules mai mai qui, sous prétexte de défense de terres ancestrales écument eux aussi la région depuis plusieurs années.
Accompagné de Vital Kamerhe, son directeur de cabinet, Fatshi se rappelait ainsi à ceux à qui il avait promis d’installer son état-major à Beni pour en finir avec l’insécurité qui sévit dans la région, aussitôt qu’il serait élu.
Deux mois après l’entrée en fonction
Plus de deux mois après sa prestation de serment le 24 janvier 2019 à Kinshasa, le nouveau chef de l’Etat n’avait toujours pas honoré une promesse de campagne tombée en terres hostiles au ticket CACH à la dernière présidentielle. Les résultats provisoires des législatives nationales et provinciales publiés par la CENI il y a quelques jours l’attestent : à Beni et à Butembo, c’est la coalition Lamuka, opposition à la majorité FCC-CACH, qui a raflé la plupart des sièges électoraux.
En séjour les 25 et 26 mars 2019 à Kigali, le président de la République « réactualisait » sa promesse électorale nord-kivutienne : le haut-commandement de l’armée lui avait « déconseillé d’aller là-bas parce qu’il faut y arriver quand on est sûr d’avoir des résultats », a-t-il expliqué au cours d’un entretien avec des ressortissants rd congolais. Félix Tshisekedi avait néanmoins réitéré sa détermination à pacifier la région de Beni-Butembo : « J’avais promis à nos compatriotes de l’Est que je vais leur donner la paix et je n’ai jamais abandonné cette promesse. J’ai fait cette promesse et je la tiendrai », martelait-il.
Le voyage entamé dimanche dernier était donc déterminant et on peut considérer que le chef de l’Etat est assuré d’en recueillir des dividendes. La thérapie Fatshi pour le retour de la paix dans le Grand Nord-Kivu a été annoncée dès la première étape de son voyage en provinces, à Lubumbashi. Au terme d’une réunion du Conseil supérieur de la défense, le 13 avril 2019, le président a décidé la permutation progressive des officiers et la relève des troupes au sein des FARDC et de la PNC. La réactivation du processus de Désarmement, Démobilisation et Réinsertion (DDR) a également été décidée pendant que le Conseil supérieur de la défense mettait en garde toute personne, acteur politique, économique, religieux ou chef coutumier qui continuerait à entretenir un groupe armé sur l’ensemble du pays.
La thérapie Fatshi pour le Nord-Kivu
Au cours de la réunion du comité provincial de sécurité le 16 avril à Goma, le chef-lieu de la province du Nord-Kivu, le chef de l’Etat s’est voulu plus précis en appelant à la sensibilisation des groupes armés et des communautés locales à l’instauration d’une paix durable dans la région, selon le compte-rendu de la réunion. «A propos des difficultés éprouvées par les FARDC, le chef de l’Etat a promis d’y apporter une solution en termes de moyens, humains, matériels et financiers. C’est dans ce sens qu’il a décidé le relèvement des troupes ayant fait longtemps dans cette zone », lit-on encore dans ce texte. Un jour plus tôt, lundi 15 avril, Félix Tshisekedi avait adressé une mise en garde aux acteurs politiques qui entretiennent des groupes armés au cours d’un entretien avec les élus provinciaux du Nord-Kivu. Le même jour, il avait invité la Monusco à s’impliquer davantage dans le maintien de la paix dans cette partie du pays au cours d’un entretien avec David Gressly, le représentant spécial adjoint du Secrétaire Général de l’ONU chargé des opérations de maintien de la paix.
C’est cette thérapie de choc que Félix Tshisekedi a proposé à ses compatriotes de Beni, venu nombreux l’accueillir et l’écouter à la faveur d’un meeting populaire devant la Mairie. «Ça ne sert plus à rien que nos propres citoyens qui n’ont pas de formation militaire forment des groupes armés pour tuer et créer de l’insécurité dans notre pays. Ceci est une invitation patriotique. Si vous refusez cette invitation, l’armée s’occupera de vous, partout où vous serez car il y aura une action pour défendre la patrie », a expliqué le chef de l’Etat. Réitérant sa mise en garde à l’égard des acteurs politiques locaux : «Depuis Goma, j’ai donné l’avertissement à tous ces acteurs politiques. La loi va s’appliquer à eux dans toute sa rigueur. Celui qui sera arrêté, qu’il soit député national ou provincial, il n’y aura pas d’immunité. Il sera traduit devant la justice et sera condamné pour complicité d’assassinat», a-t-il menacé. Sans pour autant se limiter à ces solutions internes à l’insécurité qui sévit dans cette partie du pays. Les chefs d’Etat des pays voisins de la RD Congo, l’Ougandais Yoweri Kaguta Museveni et le Rwandais Paul Kagame sont favorables au rétablissement de la paix dans notre pays, a annoncé Fatshi le 16 avril aux bénitiens. Tout simplement. «En ce qui concerne la paix, j’ai commencé d’abord par me rencontrer avec les chefs de l’Etat des pays voisins (Ouganda et Rwanda). J’ai dit à ces deux présidents que si nous sommes vraiment frères, que nous laissions de nous entretuer. Le moment est venu pour que nous donnions à nos peuples ce dont ils ont besoin entre autres la paix et le bonheur. Nous devons tout faire pour les leur garantir. Ils m’ont dit qu’ils sont disposés à rétablir la paix en RDC », a-t-il expliqué devant des milliers de personnes.
Un air de déjà entendu
A Beni, Félix Tshisekedi a suscité de réels espoirs, ainsi qu’en atteste la ferveur de l’accueil que la population locale lui a réservé. Tout le contraire de son dernier séjour dans la région, lorsque, ‘candidat unique’ de la coalition CACH, il avait été quasiment interdit de séjour à Butembo, la capitale économique du pays Nande largement acquise à ses frères ennemis de l’opposition Lamuka de Martin Fayulu, alors soutenu par des leaders politiques et d’opinion locaux. La thérapie de choc proposée par le nouveau président de la République pour guérir les maux qui asphyxient la région y est certainement pour quelque chose. Notamment en ce qui concerne la permutation et le relèvement des troupes qui ont passé trop de temps dans une zone opérationnelle de combats. De nombreuses recommandations d’observateurs autant que d’activistes la société civile locale appellent depuis des lustres au relèvement de ces troupes, surtout celles qui sont accusées, à tort ou à raison, d’exactions sur les populations voire, de complicité et de commerce en tous genres avec les forces négatives.
Le relèvement des troupes
Parmi les troupes FARDC en opération dans cette partie du pays, on compte de nombreux éléments issus d’opérations de brassages des troupes rebelles (RCD-Goma, CNDPNkunda), souvent accusées de tous les péchés d’Israël par la clameur publique dans la région. Leur relèvement pourrait ramener la confiance des populations locales dans l’armée nationale, et davantage de collaboration pour espérer vaincre des forces rebelles qui se sont incrustées dans le tissu socio-économique et culturel local, estiment certains observateurs.
Mais encore faut-il espérer que cette opération ne se heurte pas à l’hostilité au relèvement des troupes issues des brassages, qui ne s’en cachent pas beaucoup, du reste. Arguant des accords conclus avec le gouvernement le 23 mars 2009, les éléments de l’ex-CNDP (Congrès National pour la Défense du Peuple) de Laurent Nkunda s’opposent depuis longtemps à toute permutation vers d’autres provinces du pays comme l’atteste une correspondance adressée au président sortant Joseph Kabila. Certes, des permutations d’officiers et de troupes ont été effectuées dans la région à l’occasion de différentes opérations de traque des rebelles ougandais de l’ADF. Sans pour autant parvenir à dissiper la psychose qui règne parmi les populations, parfois entretenue par des leaders politiques ou religieux, voire par l’élite intellectuelle locale.
Dans la région, une conviction est en effet profondément ancrée dans les esprits, selon laquelle l’ennemi public n° 1 c’est aussi bien le rebelle ADF que ‘‘le pouvoir central de Kinshasa’’ ici représenté par les FARDC. Par ailleurs, de récentes attaques ADF à Beni et dans sa périphérie ont révélé des complicités au sein du commandement des troupes loyalistes qui renforcent les convictions sur la nécessité d’affecter dans la région de nouvelles unités combattantes. A l’instar de l’attaque d’assaillants lourdement armés vêtus de treillis FARDC qui avaient visé l’Etat-Major de l’opération Sukola 1 le 4 octobre 2018 au quartier Païda, en pleine ville de Beni. Et de nombreuses autres attaques dans la périphérie de la capitale administrative du Grand-Nord Nande, perpétrées par des assaillants également vêtus de treillis FARDC qui sèment la confusion dans les rapports armée-populations.
Leaders locaux et groupes armés
Les solutions Fatshi pour régler les problèmes sécuritaires du Grand Nord Kivu dépendent aussi de la collaboration des leaders locaux (politiques, religieux) qui, c’est de notoriété publique, entretiennent des groupes armés ou collaborent avec les rebelles ADF qui écument la région et massacrent allègrement les populations civiles locales. De nombreux rapports d’ONG mais aussi des Nations-Unies font état de leurs responsabilités dans l’insécurité à Beni et Butembo. Mais une espèce de loi du silence règne sur le sujet, probablement parce que ces potentats locaux se présentent comme les défenseurs des terres ancestrales menacées d’occupation étrangère.
Un rapport du groupe d’experts des Nations-Unies du mois d’octobre 2012, par exemple, cite nommément Antipas Mbusa Nyamwisi, un ancien ministre, leader politico-militaire Nande qui avait rejoint la rébellion anti-Kabila en 2011 parmi les créateurs de groupes armés qui ont participé à la rébellion du M23. L’ex-chef de la rébellion RCD-K-ML agissant à travers la Force Œcuménique pour la Libé- ration du Congo (FOLC), un groupe armé initialement dirigé par Bana Sultani Selly, un chef mai-mai de son obédience. « En juin 2012, la FOLC s’est alliée au M23 dans le territoire de Beni, avec le soutien de Antipas Mbusa Nyamwisi. Selon des membres de groupes armés, des officiers des forces armées congolaises et des dirigeants locaux, le commandant Hilaire Kombi, qui a déserté des forces armées congolaises en juin 2012, a récupéré des dizaines d’armes chez M. Nyamwisi, dans la ville de Beni, avant de rejoindre Selly dans la vallée du Semiliki. Plusieurs semaines plus tard, le lieutenant-colonel Jacques Nyoro Tahanga a rejoint les rangs de la FOLC sur instructions de M. Nyamwisi, afin d’en assumer la direction politique. M. Nyamwisi a également recruté des politiciens d’ethnie Nande pour le compte à la fois de la FOLC et du M23. Le 3 août 2012, une petite unité de la FOLC a attaqué sans succès la ville frontière de Kasindi, espérant y récupérer des armes », peut-on lire sur ce rapport jamais contesté, dont la publication a coïncidé avec le départ en exil de l’ancien ministre des Affaires étrangères sous le gouvernement de transition 1+4.
Antipas Mbusa Nyamwisi
Les liens entre la famille Nyamwisi, dont Antipas Mbusa est le cadet des garçons, avec des milieux terroristes, sont plus ou moins avérés eux aussi. «Qui sont les tueurs de Beni ?», un rapport d’enquête publié en mars 2016 par le GEC (Groupe d’Etudes sur le Congo), pourtant soupçonné de parti-pris en faveur de l’opposition politique rd congolaise, l’affirme noir sur blanc. Retraçant l’historique de l’établissement des rebelles ougandais sur le territoire de la RD Congo, Jason Stearns, le patron du GEC, assure que « à partir de 1995, les ADF s’étaient implantées dans la partie congolaise du massif du Ruwenzori. Pendant cette période, le groupe s’était allié de manière formelle à l’Armée nationale de libération de l’Ouganda (NALU), un groupe motivé par les revendications de la communauté Konjo en Ouganda. Ce groupe s’étant installé dans cette zone depuis 1988, il avait tissé des relations étroites avec les autorités locales, notamment avec Enoch Muvingi Nyamwisi, le frère aîné de Mbusa Nyamwisi. À partir de ce moment-là, et ce jusqu’à environ 2007, le soutien du gouvernement de Kinshasa aux ADF – qui s’exerçait déjà entre 1995 et 1996 sous Mobutu, et entre 1998 et 2003 sous Laurent-Désiré Kabila et Joseph Kabila – s’est presque toujours manifesté par l’intermédiaire de la famille Nyamwisi et des Nalu ».
Chez les Nyamwisi, les aptitudes au négoce et au marchandage propres aux Nande semblent assises sur le trafic de la mort. C’est de la même enquête du GEC, qui pourtant exonère largement Mbusa Nyamwisi des crimes commis dans la région de Beni, que jaillit cette autre révélation : « les liens (des rebelles ADF, ndlr) se sont renforcés avec le groupe rebelle RCD/K-ML, qui a été créé en 1999, suite aux tensions nées au sein du Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD) et entre ses parrains rwandais et ougandais. Sous la direction de son président, Mbusa Nyamwisi, le RCD/KML installe son état-major à Beni en 1999 avec le soutien militaire du gouvernement ougandais. Mbusa Nyamwisi joue à ce moment-là un jeu délicat puisqu’il continue à entretenir des relations clandestines avec les ADF-Nalu alors que l’armée ougandaise maintient le déploiement de ses forces à Beni. Cette situation change en 2002, quand le RCD/KML noue une alliance avec le gouvernement de Kinshasa. Cette nouvelle configuration permet encore une fois aux ADF de renforcer leurs liens avec le RCD/K-ML au point d’aboutir à la formation d’un gouvernement de transition et à l’intégration des troupes du RCD/K-ML au sein de la nouvelle armée nationale entre 2003 et 2006. Depuis cette intégration, un groupe d’anciens soldats de l’Armée Patriotique Congolaise (APC), la branche militaire du RCD/K-ML, est resté « en réserve » dans les forêts de la Vallée de la Semuliki, et a gardé des relations étroites avec les ADF-Nalu ». C’est tout dire.
Mercredi 26 septembre dernier, un internaute de Beni pouvait ainsi carrément accuser celui que l’on surnomme « Mzee Predator » des derniers massacres déplorés dans la région : « Les hommes de Mbusa ont encore frappé à Beni », titrait-il son posting.
A Beni-Butembo, pas de pacification possible sans la neutralisation (ou la collaboration) de ces leaders locaux qui entretiennent les groupes armés, donc. Une collaboration qui se traduit parfois par la cession de tout ou partie du pouvoir sur la région. Tout dépendra de la fermeté ou des concessions que le nouveau président de la République est disposé à consentir, contrairement à son prédécesseur qui s’y était manifestement opposé. Ce n’est pas un hasard si, aux mises en garde ex- primées par le président de la République contre les leaders du Nord-Kivu, c’est le RDC-K-ML d’Antipas Mbusa qui a été le seul à réagir avec promptitude. « Le président a parlé de certains politiciens qui sont derrière les milices mai-mai et d’autres porteurs d’armes. C’est une fausse accusation, peut-être qu’on lui a soufflé dans les oreilles », a déclaré à la presse, Evariste Malyakwanza, le président du RCD-K-ML de la ville de Beni. L’ancien chef-rebelle et ses hommes se veulent toujours incontournables.
J.N.