L’information occupe la une des journaux de Kinshasa depuis quelques jours, et elle est sur toutes les bouches : le président de la République, Félix-Antoine Tshilombo Tshisekedi, séjournera aux Etats-Unis d’Amérique du 3 au 5 avril 2019. Tous les officiels américains qui se sont trouvés aux approches d’un micro, d’une caméra de télévision ou d’un stylo de journaliste l’ont répété à satiété. A commencer par l’ambassadeur du pays de Donald Trump en RD Congo, Mike A. Hammer, qui n’a pas raté une seule occasion pour faire les yeux doux au nouveau chef de l’Etat rd congolais.
Aussitôt confirmé à son poste par le Sénat américain le 6 septembre dernier, Hammer avait rappliqué à Kinshasa où il a officiellement pris ses fonctions samedi 22 décembre 2018, une semaine et un jour avant la proclamation des résultats de la présidentielle du 30 décembre qui ont consacré la victoire de l’UDPS/T Félix-Antoine Tshilombo Tshisekedi. « Les Etats-Unis sont prêts à apporter leur soutien. Des élections crédibles et transparentes offriraient l’occasion d’ouvrir de nouvelles possibilités de coopération entre nos deux pays », déclarait-il à la presse, déjà.
Plutôt entreprenant, ainsi qu’on s’en rendra compte par la suite, le nouvel ambassadeur US à Kinshasa a fait fi de la polémiqué créée par des relais occidentaux en RD Congo autour de l’élection de l’héritier biologique et politique d’Etienne Tshisekedi wa Mulumba. Le 22 janvier, 48 heures avant la prestation de serment et donc l’entrée officielle en fonction du nouveau président de la République, Mike Hammer était reçu par Fatshi au Béatrice Hôtel de Kinshasa où il avait provisoirement installé ses quartiers.
L’entreprenant Mike Hammer
Les dispositions enthousiastes du nouveau représentant du gouvernement de Donald Trump à Kinshasa demeuraient au beau fixe, après la prestation de serment du Palais de la Nation le 24 janvier 2019. Mike Hammer saluait dans un commentaire sur son compte twitter « un jour historique pour la RDC » et « une toute première passation du pouvoir pacifique et démocratique ». « Les Etats-Unis soutiennent le peuple congolais et travailleront avec le président Tshisekedi et son gouvernement », ponctuait-il.
Même son de cloche à Washington où Robert Palladino, porte-parole adjoint du Département d’Etat, déclarait le 23 janvier que « nous sommes engagés à travailler avec le nouveau gouvernement de la RDC. Nous encourageons le gouvernement à mettre en place une large représentation des acteurs politiques congolais et à traiter les informations faisant état d’irrégularités électorales ».
C’est vers la fin du mois de février dernier que les informations autour d’un voyage officiel du chef de l’Etat de la RD Congo se sont mises à circuler. A la faveur des déclarations de l’Envoyé spécial de Donald Trump dans la région des Grands Lacs, notamment. Lundi 25 février, Peter Pham expliquait à la presse que « … le gouvernement des Etats-Unis est prêt à le (Fatshi, ndlr) lorsqu’il est disponible de se rendre à Washington et nous sommes prêts à travailler avec lui et son gouvernement pour créer un avenir plus pacifique et plus prospère pour le peuple congolais ».
Les sanctions du Département du Trésor
Seul couac, la visite du plénipotentiaire US à Kinshasa coïncidait quasiment avec une nouvelle charrette de sanctions ciblées du Trésor américain contre des responsables de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI), la même qui avait travaillé pour proclamer Félix Tshisekedi vainqueur de la présidentielle quelques semaines plus tôt. Pour « corruption et entraves au processus électoral », s’était entendue dire quelque peu médusée, l’opinion publique rd congolaise.
Le gouvernement US semble ainsi pratiquer une politique de la carotte et du bâton, qui semble jusque-là loin de gêner au sommet de l’Etat jusqu’à présent. En effet, sur ces décisions qui consacrent en fait une immixtion flagrante du pays de l’Oncle Sam dans les affaires intérieures rd congolaises et qu’aucun pays normalement constitué n’aurait toléré, c’était encore le mutisme absolu jusqu’au moment où nous mettions sous presse, jeudi 28 mars 2019, plusieurs semaines après ces sanctions de nature à souiller jusqu’à la victoire de Fatshi à la présidentielle de décembre dernier. Probablement parce que la bastonnade cinglante était assortie d’une offre de carotte sucrée. « Les sanctions visent à lutter contre la corruption telle que prônée par le président de la République, Félix Tshisekedi », avait lancé, pince sans rire, Peter Pham, un Américain d’origine asiatique désigné envoyé spécial de l’administration Trump pour la région des Grands Lacs. Autant du reste que l’ambassadeur Mike Hammer qui soutenait mercredi dernier encore que « la visite du président Tshisekedi offrira l’occasion d’examiner plus en détail notre intérêt commun à lutter contre la corruption, à respecter les droits de l’homme, à améliorer les services de santé et d’éducation pour le peuple congolais, à améliorer la sécurité et à créer plus d’emplois pour les Congolais en attirant plus d’investisseurs américains ». Avant de poursuivre sans sourciller : «Nous sommes impressionnés par les nombreuses mesures que le président Tshisekedi a déjà prises pour répondre au désir clair de changement du peuple congolais en luttant contre la corruption, en ouvrant l’espace démocratique et en améliorant le respect des droits de l’homme. Il est clair que le président Tshisekedi met le peuple à l’avant-plan, comme la foule le lui a demandé lors de son investiture». Le diplomate américain donnait de la sorte des véritables lettres de noblesse aux clameurs qui font le lit d’une « démocratie de la foule ». Peut-être dans la cynique perspective de disloquer la représentativité classique, parlementaire. Et de faire le lit de l’arbitraire qui semble acceptable à ses yeux dès lors qu’elle est estampillée « américaine ».
Pas de Donald Trump à l’agenda
Si le nouveau chef de l’Etat rd congolais impressionne favorablement les collaborateurs de Donald Trump, il n’est pas encore acquis que le chef de l’Etat US partage les mêmes sentiments. Le programme de la visite d’Etat de Fatshi aux Etats-Unis ne prévoyait aucune rencontre avec son homologue américain. C’est Mike Pompéo, le secrétaire d’Etat US qui recevra le président de la RD Congo à Washington, a précisé Robert Palladino dans un communiqué le 26 mars 2019. Donald Trump ne se dérangera pas pour ce faire.
Mais face à une superpuissance mondiale qui jusqu’à présent considérait que la sécurité du voisin rwandais passait avant celle de la RD Congo, et qui donc n’est pas étrangère à l’instabilité chronique qui sévit au pays depuis la fin des années ’90, Kinshasa n’a sans doute pas les moyens de faire la fine bouche. Pour Fatshi, c’est les Etats-Unis d’abord. Les autres après.
J.N.