48 heures après l’incendie qui a ravagé un de ces entrepôts à Kinshasa, causant la perte de 8.000 parmi les 10.368 machines à voter destinées aux 24 communes de la capitale rd congolaise, la centrale électorale est de nouveau visée. Cette fois-ci, c’est à Beni au Nord-Kivu que son entrepôt situé le boulevard Nyamwisi en face de la résidence officielle du Chef de l’Etat, en plein centre des affaires donc, a été attaqué. Par une horde mai-mai, selon des sources militaires confirmées par l’antenne locale de la CENI. Des témoins locaux rapportent des échanges de tirs qui ont duré une à deux heures entre les éléments des forces de sécurité affectés à la sécurité des installations qui ont réussi à repousser l’attaque.
A la différence de l’entrepôt de Kinshasa ravagé par un incendie manifestement criminel (du point de vue des autorités à Kinshasa), à Beni le matériel électoral n’a pas été touché par les assaillants mis en débandade et le processus électoral n’est pas menacé. Pas encore. Même si, de l’avis des observateurs, c’est dans cette partie du pays que le processus électoral est le plus exposé aux actes de sabotage.
Terrain préparé par Fayulu
C’est à Beni, le 5 décembre 2018, que Martin Fayulu Madidi, le candidat des candidats invalidés à la présidentielle prévue dans la huitaine s’est montré le plus virulent contre le processus électoral et les machines à voter, en exhortant les populations à aller jusqu’à s’opposer à leur présence. Le ton ainsi donné dans cette contrée Nande, fief des Nyamwisi, dont Antipas Mbusa également membre de Lamuka est plus hostile aux élections sous quelque forme que ce soit, la mèche incendiaire était allumée. Quelques instants après le meeting Fayulu à Beni, des hordes de voyous incendiaient toutes les affiches électorales, notamment celle du candidat FCC, Emmanuel Ramazani Shadary.
De là à conclure que le coup manqué de Beni contre la CENI est signé Lamuka, il n’y a qu’un pas, qu’on peut franchir avec force arguments.
A commencer par cette révélation du tandem Félix Tshilombo Tshisekedi-Vital Kamerhe, empêché de se rendre à Butembo à partir de Beni pour éviter une embuscade mai-mai-Lamuka dont il avait été prévenu. «D’après les renseignements militaires, nos amis qui sont supposés être de l’opposition ont posté des Mai-Mai le long de la route pour abattre Félix Tshisekedi et moi (Kamerhe) puisqu’ils sont à la recherche d’un incident. Ils ne veulent pas qu’on arrive aux élections. Si Tshisekedi et Kamerhe arrivent à mourir ici (Beni), les gens vont se soulever à Kinshasa, au Kasaï, dans le grand Kivu et ça va être la fin de l’histoire. Les gens sont en train de se train de se tromper de cible », s’était plaint Vital Kamerhe, le 12 décembre 2018.
Le moins qu’on puisse inférer est qu’il existe des mai-mai dans la région de Beni, acquis à la cause d’acteurs politiques locaux hostiles au processus électoral et proches de la nébuleuse Lamuka.
Muhindo Nzangi, Crispin Mbindule : penchants mai-mai
Ce n’est peut-être pas un hasard si, dans le comité provincial Lamuka dans la région trône un certain Muhindo Nzangi, son coordonnateur provincial, connu pour ses penchants mai-mai. L’élu de Goma a fait partie du comité d’accueil de Martin Fayulu aussi bien à Beni qu’à Butembo, avant d’accompagner le « candidat de Genève » à Goma. Ses sympathies avec les mai-mai, Muhindo Nzangi ne les a jamais dissimulés. Dans une correspondance adressée au vice-premier et ministre de la Défense Nationale, le 25 septembre 2018, il avait proposé « le recyclage des miliciens mai-mai pour combattre les ADF aux côtés des FARDC parce que plusieurs milices locales ont comme ennemi commun la rébellion ougandaise ADF ». Un pis-aller en fait, que cette proposition plus que loufoque aux yeux d’experts dans l’art de la guerre. D’autant plus qu’à la faveur de la signature des Accords de Sun City fin ‘2002, comme les autres groupes armés bélligérants, les mai-mai avaient bénéficié de la formation et de l’intégration au sein des Fardc. Avant de plier bagages les uns après les autres et de retourner en brousse se remettre « aux services de leurs ».
Dans la région de Beni-Butembo-Lubero, on ne peut pas parler ni de mai-mai, ni quelque mouvement rebelle que ce soit, l’ADF incluse, sans évoquer les Nyamwisi et Antipas Mbusa, ce leader Nande qui a poussé l’art et le commerce de la mort par armes à feu à son sommet régional en devenant le chef d’un mouvement rebelle, le RCD-K-ML et roitelet local entre 1999 et 2003.
Antipas Mbusa : commerçant de la mort
Son opposition viscérale à Joseph Kabila et au processus électoral enclenché depuis juillet 2017, Antipas Mbusa ne s’en cache pas. Autant, du reste, que sa prédilection pour la reprise d’affrontements armés qui l’avaient placé à la tête des régions commerçantes et affairistes Nande. «Ce Monsieur ne nous laisse pas le choix ! On doit se prendre en charge. L’article 64 de la Constitution est là pour nous pousser à réagir. On ne peut laisser un homme s’approprier le pays», confiait-il le 7 août 2018 à Hubert Leclercq de La Libre Afrique. Surfant sur l’embrasement du pays par une révolte populaire, Antipas Mbusa poursuivait dans les mêmes colonnes : «Pourquoi pas. Regardez la foule dans la rue à Kinshasa pour le retour de Bemba. Regardez la mobilisation à Lubumbashi et Kasumbalesa pour Katumbi. Un mouvement peut naître à la suite d’événements comme ceux-ci. Regardez aussi le ras-le-bol généralisé dans le nord-est du pays où les gens sont confrontés quotidiennement aux massacres depuis de longues années. Ici aussi, on peut aussi voir des mouvements naître face à ces tueries ou aux excès de pouvoir du régime. Et croyez-moi, ces mouvements vont aller en s’intensifiant au fil des semaines. Quand les Congolais comprendront qu’ils n’ont rien à espérer de ce passage par les urnes, la situation va devenir très critique. La moindre étincelle pourra mettre le feu aux poudres dans n’importe quel coin du pays». Il y a donc toutes les raisons du monde de croire que du côté de Beni, Lamuka allume les étincelles en prélude à une mise à feu généralisée.
J.N.