Le 26 octobre 2018 aura été un jour presque ordinaire à Kinshasa la capitale et dans les villes du pays où les radicaux de l’opposition avaient promis de se faire entendre à tout prix. Les marches organisées à l’appel d’un groupe de plus d’une vingtaine de partis politiques de ce qui est considérée comme la frange radicale de l’opposition se sont déroulées sans encombre, là où elles ont reçu le feu vert des autorités. A Lubumbashi dans la province du Haut-Katanga où la Mairie s’est opposée à la marche opposante, l’appel à l’observation d’une journée ville morte a été à peine observé. A Kananga, le chef-lieu de la province du Kasai Central, et à Mbujimayi au Kasai Oriental, les rapports des services de police indiquent qu’il n’y a pratiquement rien eu à signaler après que les autorités locales se furent prononcées contre l’organisation de la manifestation opposante pour des raisons d’ordre public.
Par contre, comme à Kinshasa la capitale, Goma, Butembo, Bukavu, Matadi, et Bandundu-Ville, on a assisté à des défilés d’opposants bruyants prétendant récuser la machine à voter et exiger un autre « nettoyage » du fichier électoral (sic !). Ce qui révèle à quel point les leaders des partis et regroupements politiques qui ne juraient jusque-là que par le rejet, prétendument partagé par la majorité des Congolais, de la machine à voter introduite dans le processus électoral par la centrale électorale bluffaient. A Goma, Butembo, Matadi, Bandundu-Ville, c’est à peine si quelques dizaines de manifestants encadrés par des éléments des forces de police parfois plus nombreux que les manifestants ont été aperçus en train d’arpenter les rues.
RAS à Goma, Butembo, Bukavu, Bandundu …
Dans la ville volcanique de Goma, la poignée des partis politiques de l’opposition et organisations dites de la société civile ont ponctué leur marche par un acte symbolique de violence, en incinérant une imprimante (sans doute hors d’usage) sur la chaussée, dans l’indifférence générale des populations du chef-lieu du Nord-Kivu occupées à vaquer à leurs occupations quotidiennes. A Bukavu, la marche partie de la Place Major Vangu jusqu’au secrétariat exécutif de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI), n’a pas réussi à rameuter plus d’une centaine de manifestants, selon la presse locale. A Bandundu-Ville, la trentaine de policiers déployés étaient plus nombreux, à première vue, que les manifestants dont au moins un arborait ostentatoirement un T-shirt à l’effigie de l’Ecidé de Martin Fayulu, à en juger par les images vidéo postées sur le site de la Police Nationale Congolaise.
Reste Kinshasa-la capitale, que l’on se plait à présenter comme le miroir de la RD Congo parce que la mégapole rd congolaise serait « acquise à l’opposition ». Mais ici non plus, les kinois non pas brillé par un engouement particulier à soutenir l’UNC de Vital Kamerhe, le MLC de Jean-Pierre Bemba Gombo, le G7 de Moïse Katumbi, l’Ecidé de Martin Fayulu, l’Envol de Delly Sessanga, le MLP de Franck Diongo, et tutti quanti. En tout et pour tout, ce sont quelque 4.000 manifestants, selon les chiffres livrés par la police et confirmés par des observateurs indépendants, qui ont marché durant 2 heures 30’, de la Place de l’Echangeur à Limete jusqu’au au Boulevard Triomphal en face du siège du MLC à Kasavubu. Une estimation plutôt optimiste, en réalité.
Parce que jusque 9 h 30’, seulement quelques centaines de manifestants étaient visibles sur le lieu du rassemblement (200, selon nos confrères d’Actualités.cd dont un reporter a couvert l’événement), malgré fanfares et autres types d’animations sonores et colorées rameutées par les organisateurs.
Seulement quelques centaines aperçus battant pavé
Même lorsque la procession s’ébranle sur une seule bande du boulevard Lumumba pour ne pas gêner la circulation, ils ne sont encore que quelques centaines tout au plus, en compagnie desquels Christophe Lutundula, Jean-Bertrand Ewanga, Claudel-André Lubaya, Martin Fayulu, Adolphe Muzito, Théodore Ngoy et Fidèle Babala à prendre le départ. Avant d’être rejoints par Vital Kamerhe et Mayo Mambeke, le secrétaire général de son parti politique. Ils ferment la procession, au lieu de la précéder, et cela surprend quelque peu les éléments de la Police nationale chargés de l’encadrement de la manifestation.
Dieu seul sait, pourtant, si tout ce beau monde n’en attendait pas plus de Kamerhe et de Muzito. Le président de l’UNC était habituellement crédité de nombreux « combattants » acquis à sa cause depuis qu’il avait pris (de fait) la tête de l’opposition à l’occasion des marches contre la modification de la constitution au début de l’année 2015. Vendredi dernier, le T-shirt rouge porté sur un pantalon de couleur blanche, les couleurs de l’UNC, étaient plus visibles que les combattants du parti de l’ancien speaker de l’Assemblée Nationale pour le compte du PPRD. Quand à Adolphe Adolphe Muzito, l’ancien Premier ministre transfuge du PALU d’Antoine Gizenga, il avait bien mobilisé quelques dizaines de partisans de l’Est de la capitale. Mais l’affluence n’y était toujours pas, en comparaison avec les foules immenses habituellement drainées par le parti politique du nonagénaire demi-dieu des masses bandundoises qu’il prétendait avoir entraîné avec lui dans le front du refus de la machine à voter.
Les colonnes des manifestants demeurent désespérément clairsemées et encombrées de drapeaux et autres banderoles peints sur bâches, preuve que les moyens financiers n’ont manifestement pas fait défaut. Pas la peine de se leurrer, on était loin, très loin des chefs d’œuvres de mobilisation réussis à l’occasion du dernier retour à Kinshasa du défunt Etienne Tshisekedi wa Mulumba, en juin 2016. Tout autant que des rassemblements impressionnants observés à l’occasion du retour de bagne de Jean-Pierre Bemba Gombo au mois d’août 2018, ou à l’occasion du dernier meeting « œcuménique » de l’opposition le 29 septembre de la même année sur le boulevard Triomphal à Kinshasa.
Les combattants n’ont pas caché leur déception
Si les leaders de l’opposition radicale dissimulaient tant bien que mal l’échec patent de leur mobilisation en s’étirant laborieusement vendredi dernier tout le long de l’itinéraire de la marche, les combattants eux ne s’en cachaient nullement. Les rapports des unités du Commissariat provincial de la PNC chargées de l’encadrement de la manifestation ainsi que des témoignages d’observateurs indépendants assurent qu’à la hauteur de la 10ème rue Limete, en face du siège de l’UDPS/T., les manifestants ont marqué un arrêt qui a fait craindre le pire lorsqu’ils se sont mis à proférer des anathèmes contre le président de ce parti politique, Félix Tshilombo Tshisekedi, dont la formation politique s’étaient abstenue de participer à ce qu’elle considérait comme une mascarade de bas niveau. Attribuant carrément l’échec de la mobilisation à cette absence de l’UDPS de Tshilombo, la plupart des manifestants courroucés se sont mis à lancer des projectiles en direction de la permanence de son parti avant que la police ne parvienne à les calmer.
Marche contre l’UDPS, pas contre une quelconque machine
Vendredi dernier, faute du soutien populaire tant vanté, la marche contre la machine à voter et la présence d’électeurs sans empreintes digitales sur les listes électorales n’a donc ‘in fine’ atteint que l’objectif inouï de se transformer en marche contre un des partis politiques les plus représentatifs de l’opposition qui restent dans l’opposition radicalisée, l’UDPS/T.
Au point de chute en face du siège du MLC où une tribune avait été dressée, les quelques centaines de manifestants qui avaient perdu un peu de leur ferveur au départ de la marche quelques heures plus tôt, écoutaient sans grande conviction Vital Kamerhe et Martin Fayulu, deux candidats à la prochaine présidentielle. « Nous disons merci à la population d’avoir répondu à l’appel des leaders, comme convenu, un groupe de leaders de l’opposition vont maintenant déposer le mémo à la CENI. Nous remercions également la police pour l’encadrement », a expliqué un Kamerhe manifestement blasé. Avant que Martin Fayulu ne vienne tenter de remettre du baume dans les cœurs en déclarant que « nous voulons les élections, mais sans machine à voter. Le peuple est le représentant de Dieu. Nangaa a vu la démonstration du peuple. Personne n’utilisera cette machine à voter ».
Rien ne fut plus faux, vendredi dernier : si le peuple peut être présenté comme le représentant de Dieu, force a été de constater qu’il a été partout ce jour-là, sauf au rendez-vous des partisans du refus de la machine à voter et du bannissement des électeurs (et des candidats !) dont les empreintes digitales ne sont pas visibles. Parce que à Kinshasa, ce sont quelque 4 millions d’électeurs qui se sont enrôlés et se rendront aux urnes le 23 décembre 2018. Quatre mille électeurs-manifestants contre quatre millions, le rapport des forces penche de toute évidence en faveur de ceux qui ne se sont pas prononcés contre la machine à voter. Rien à faire.
J.N.