Le face-à-face entre les leaders de l’opposition politique et leurs sympathisants le 29 septembre 2018 à Kinshasa n’a pas seulement révélé la dépendance des Pierre Lumbi, Martin Fayulu, Vital Kamerhe, Adolphe Muzito et autres de l’UDPS/T. Félix Tshilombo. Elle a également mis un terme à la rageuse campagne de révélations autour des titres académiques de l’hériter Etienne Tshisekedi wa Mulumba. Même si de concert avec ses collègues de l’opposition ce samedi-là sur les bords du boulevard Triomphal, Fatshi, comme on le surnomme, s’est engagé à ne pas distendre les rangs de une opposition qui s’est dite rangée et unie contre la machine à voter et les enrôlés sans empreintes digitales, il n’en parait pas moins entièrement préoccupé à conforter son image de patron des opposants. Comme son défunt père, Etienne Tshisekedi wa Mulumba, connu pour avoir investi ses dernières énergies dans une opposition systématique à tout ce qui ne l’implique pas personnellement.
Real politik
Le fils, lui, semble faire preuve d’un peu plus de réalisme. En réintégrant un certain nombre d’élus sur les listes du parti en 2011, que Tshisekedi-Père avait intempestivement exclu du parti pour désobéissance à l’injonction de ne pas siéger à l’Assemblée nationale, Félix Tshilombo Tshisekedi a étalé ce qu’il pense désormais de la politique de la chaise vide pratiquée durant des décennies par son géniteur à la tête de l’UDPS. Elle aura fait perdre au parti, jadis considérée comme la « fille aînée de l’opposition », le groupe parlementaire le plus important de l’opposition politique au parlement de la législature 2011. Qui de surcroit, a produit au moins 1 premier ministre, de nombreux ministres du gouvernement central et un rapporteur général de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) que l’UDPS/Limete tente désespérément et sans succès de remplacer. « Aucun parti politique de l’opposition en RD Congo n’a autant perdu de ses cadres, qui ont traversé la rue les uns après les autres depuis la transition mobutiste », analyse ce professeur de droit kinois. Ce n’est pas tout à fait erroné.
Samedi 29 septembre dernier, Fatshi a laissé transparaître ses états d’âme réels en se déclarant capable de remporter la présidentielle de décembre 2018 « même avec la machine à voter ». La déclaration a plutôt énervé ses collègues de l’opposition, les katumbistes de la plateforme Ensemble pour le Changement particulièrement, qui comptaient sans doute encore sur l’accompagnement des combattants de l’UDPS/Limete dans leur campagne de boycott des prochains scrutins. Mais rien n’est moins sûr, désormais. Certes, l’UDPS/Limete s’efforce encore de faire bonne figure de concert avec les partis politiques qui cachent mal leur préférence pour un dialogue politique de plus qui leur permettrait d’accéder au pouvoir sans passer par les urnes. Mais le cœur n’y est manifestement plus : « nous avons combattu dans l’opposition durant plus de trente ans », déclare, comme s’il se justifiait à ce sujet, un vieux combattant du parti de Limete entre deux séances de cotisations express des weewa (les conducteurs de taxi-motos) en faveur de la candidature de Félix Tshilombo à la présidentielle.
En avant toutes pour les élections
Délaissant à ses collègues de l’opposition la tâche de prétexter de la machine à voter, le président de l’UDPS/Limete s’en est allé en périple diplomatique. Au cours d’une escale à Kampala, cet acteur politique qui venait d’être qualifié pour la seconde fois en moins d’un mois d’unique opposant à Joseph Kabila dans une interview publiée par Jeune-Afrique, s’est fait recevoir par le Chef de l’Etat Ougandais, Yoweri Kaguta Museveni. Si le contenu des échanges entre les deux personnalités n’a pas vraiment filtré, les images présentant le candidat de l’UDPS/Limete à la présidentielle de décembre 2018 ont fait le tour des réseaux sociaux. Parmi les leaders de l’opposition, on ne s’en cache plus : il faut sortir la grande artillerie contre cet opposant « qui croit pouvoir gagner les élections tout seul », selon ce commentaire d’un ancien membre du cabinet du président de la République passé au G7 de Katumbi.
L’artillerie lourde contre Fatshi, ce n’est plus cette vulgaire affaire de faux diplôme. L’heure est à la dénonciation des ambitions supposées de Félix Tshilombo pour la primature, plus précisément, pour une « cohabitation politique avec Kabila (sic !) ou son successeur » après les élections prochaines. « Fatshi et l’UDPS veulent aller aux urnes pour se placer en position de négocier la primature en 2019 », accuse-t-on, carrément. D’autres, ici, assurent que « Fasthi, c’est l’autre dauphin de Joseph Kabila ». Accusation d’autant difficilement parable que la perspective d’une participation à un gouvernement issu des prochaines élections est tout à fait logique. « Pour tout parti politique sérieux, en fait, c’est-à-dire qui aspire à gouverner un jour », explique ce professeur de sciences politiques de l’Université de Kinshasa. Mais chez les opposants le projet supposé est présenté comme une trahison… de la foi d’opposant politique radicalisé. « Il faut sanctionner quiconque trahira vous trahira », avait décrété Moïse Katumbi Chapwe au cours de sa communication téléphonique aux combattants de l’opposition le 29 décembre dernier au boulevard Triomphal. Mais, ils sont très peu nombreux, les observateurs qui croient que le dernier gouverneur du Katanga sera entendu. « Nous savons que Katumbi est responsable de la campagne de dénigrement de notre leader », déclare, sûr de son lui, le vieux combattant rencontré sur 10ème rue Limete à Kinshasa.
Artillerie lourde contre Fatshi
Des considérations anti-électorales, on n’en a cure à l’UDPS/Limete, désormais. « On nous a trompé pendant des années, cela suffit », poursuit l’interlocuteur du Maximum, faisant sans doute allusion à l’extraordinaire lot de 1ers ministres et ministres issus des rangs du parti. Mais s’il ne le déclare pas formellement, il est clair que pour ce combattant de la première heure, et sans doute pour beaucoup de ses semblables aussi, l’heure a sonné de passer à table, pas de s’affairer éternellement à la cuisine.
A Kinshasa et dans les représentations provinciales du parti tshisekediste, formations et préparations se succèdent. Le parti de Limete envisage de placer au moins 3 témoins par bureau de vote en décembre prochain. Parce que l’UDPS/Limete, c’est, en plus de la candidature de son président à la présidentielle, 380 candidats aux législatives nationales et 420 autres aux législatives provinciales.
Dans la province du Sud-Kivu, fief de principe de l’UNC de Vital Kamerhe pour le compte de l’opposition, le parti de la 10ème rue Limete multiplie les activités préparatoires aux prochains scrutins. Le week-end dernier, l’UDPS a soumis ses 69 candidats aux députations nationales et provinciales à un séminaire idéologique en bonne et due forme. Ici, « pas question de compter sur un allié, surtout pas un allié qui se nomme Vital Kamerhe », murmure-t-on. Le 6 octobre, le parti avait lancé la campagne de collecte de fonds pour soutenir la candidature de Félix Tshilombo à la présidentielle : le Sud-Kivu entend mobiliser au bas mot 44.000 USD d’ici décembre prochain. Et le 9 octobre, 3 jours plus tard, une campagne de présentation du programme du candidat du parti à la présidentielle du 23 décembre 2018 a été lancée sans attendre quelque entente que ce soit au sujet d’une plus qu’hypothétique candidature commune de l’opposition face au camp présidentiel. Ce sont des considérations dont il sied de se passer lorsqu’on envisage de passer à table, comme tout le monde.
J.N.