Le dernier « exploit » de la force de la mission onusienne en RD Congo (MONUSCO) à Beni dans la partie Est du pays est relatif à un accident de véhicule blindé. Le 7 octobre 2018, dans un des quartiers de la ville du Grand Nord malmenée par les terroristes ADF, une auto-blindée de couleur blanche estampillé UN s’est malencontreusement, et miraculeusement, renversé, laissant se déverser son chargement sur la chaussée. D’abord prudente et effrayée, la population avoisinante qui a fini par s’approcher de l’engin s’est vite rendue compte que le contenu renversé ne présentait aucun danger pour personne au monde. Parce qu’il s’agissait de bacs de bière et de quelques sacs de couleurs verdâtres, du coltan, à première vue. Les images du véhicule gisant incliné, avec deux des quatre roues en l’air, font aussitôt le tour du monde via les réseaux sociaux. Scandaleux, mais pas vraiment surprenant, surtout pour tous ceux qui suivent de près la situation de la région et qui de la plus vieille (elle est en RD Congo depuis 1999) et se sont déjà fait une petite idée de la plus coûteuse expédition des casques bleus au monde (elle coûte 1 milliard USD/an). « Ce ne sont que des marchands des ressources naturelles congolaises, ces onusiens », murmure-t-on souvent au passage de leurs nombreux véhicules 4×4 aux antennes extérieures impressionnantes.
Successions d’attaques à Beni
Lorsque survient l’accident de blindé révélateur du 7 octobre dernier, Beni est en train de faire les frais d’attaques répétées et d’exactions de miliciens ADF ougandais et leurs supplétifs congolais depuis plusieurs jours. 15 jours auparavant, le 22 septembre, la ville avait subi son « samedi noir », lorsque les terroristes ont attaqué des positions des Forces Armées de la RDC à Païda, un quartier périphérique de la ville, provoquant la mort de nombreux civils et de quelques militaires. Aucun témoignage ne fait état de la participation des casques bleus, dont une des missions consiste pourtant en la protection des civils, aux combats qui se sont déroulés jusqu’aux petites heures du matin, lorsque les forces congolaises ont réussi à repousser les agresseurs hors de l’agglomération. C’est donc sans surprise pour l’opinion en RD Congo que Crispin Atama Tabe, le ministre de la Défense nationale, annonçait à la réunion extraordinaire du conseil des ministres du 2 octobre 2018 que « les FARDC mènent aujourd’hui seuls les combats contre tous les groupes armés sans l’appui de la MONUSCO ».
Interrogée sur l’accident de blindé de Beni, Florence Marshall, la porte-parole onusienne, s’est réfugiée derrière une langue de bois bureaucratique en promettant « une enquête ». Qui, de toute façon, ne démentira rien de ce que les habitants de Beni ont vu de leurs propres yeux : des bacs de boissons alcoolisées et des minerais dans un engin de combat onusien. « On voit beaucoup d’informations circuler dans les médias et à la suite de la publication des photos, le Commandant de la force a instruit qu’il y ait une enquête interne pour avoir la suite de cet accident », a-t-elle stoïquement réagit à une préoccupation de la presse avant d’ajouter, un brin cynique que « l’accident de blindé du quartier Païda à Beni ne doit pas donner l’impression que les actions onusiennes en RD Congo se réduisent à cet incident » et que la brigade de la Monusco « travaille à la neutralisation des groupes armés ».
Justifications administratives et bureaucratiques
Mais ce travail dure sans succès depuis près de 20 ans maintenant, et de plus en plus de Congolais doutent sérieusement de l’efficacité de flacons de bière, locale ou importée, et de la poudre de colombo-tantalite dans la répression de groupes armés de plus en plus virulents.
Les dernières attaques terroristes dans la région de Beni ont révélé que les assaillants, qui visent désormais carrément des positions militaires, ne se contentent plus d’armes blanches qui servaient depuis quelque 4 années à assassiner des civils innocents de Beni-rural. C’est d’échanges de tirs aux armes lourdes et légères qu’il est fait état ici, tous les deux ou trois jours. Même l’Etat-Major des FARDC dans la ville a fait l’objet d’une attaque en règle alors que des officiers s’y réunissaient pour étudier les voies et moyens de faire face à une situation de quasi-guerre asymétrique permanente.
Dans ces conditions, les promesses d’enquête onusienne annoncée par Florence Marshall convainquent peu. Tout autant que les promesses de renforcement des dispositifs sécuritaires dans la ville de Beni, évoquées par Evert Kets, un chef de bureau onusien à Beni-Lubero, le 12 octobre 2018. « La situation dans la commune de Ruwenzori est difficile et dramatique mais nous allons essayer de restaurer la confiance de la population. Nous allons renforcer notre dispositif dans l’Est de la ville avec des patrouilles renforcées … », a-t-il annoncé à la presse après qu’une trentaine de personnes, civils et militaires, aient perdu la vie au cours d’attaques armées ADF. Du saupoudrage sécuritaire dont transpire une propension chronique à l’accommodement et à la cohabitation avec les tueurs.
Promesses d’enquêtes
« Nous allons faire un déplacement sur place afin de regarder quelques points chauds, points difficiles et ça devrait nous aider à mieux ajuster notre dispositif afin de sécuriser cette commune. J’espère comme ça, de façon graduelle, nous pouvons restaurer la confiance de la population et elle peut retourner chez elle », a énoncé l’Onusien. Qui n’a fait état d’aucun plan concret d’éradication de ces fameuses forces négatives qui ont introduit la terreur en pleine ville de Beni. Evert Kets estime, en effet, qu’il n’y a point de rébellion dans la région de Beni aussi longtemps qu’un communiqué officiel n’en revendiquera pas l’existence. En attendant, les allégations sur les attaques perpétrées par les ADF relèvent, selon lui, de la pure spéculation. Comprenne qui pourra.
Dans tous les cas d’espèce, dans les territoires de l’Est rd congolais comme un peu partout à travers le pays, les forces onusiennes sont de plus en plus perçues comme des véritables forces d’occupation. Le 25 septembre 2018 devant l’Assemblée générale des Nations-Unies à New York, le Président de la République Démocratique du Congo a formellement exigé le retrait des 16.000 casques bleus onusiens du territoire de son pays. Joseph Kabila Kabange a réitéré la même exigence devant une délégation du conseil de sécurité forte de l’ensemble de ses 15 membres qui a séjourné à Kinshasa du 15 au 16 octobre 2018. Seule une frange de leaders de l’opposition politique, qui voit dans la présence une occasion de fragiliser le pouvoir en place, soutient encore la présence onusienne en RD Congo. Mais le subterfuge « statuquoïste » qui se dissimule derrière l’impressionnante mais néanmoins inutile présence onusienne ne tient plus la route.
Stratégies de fragilisation de l’Etat
Depuis près de 20 ans, la mission onusienne (MONUC, puis MONUSCO) s’est illustrée par des stratégies de fragilisation systématique des jeunes institutions nationales de la RD Congo qu’elle place délibérément sur le même pied d’égalité que des organisations informelles voire, carrément anarchistes, rebelles et/ou terroristes. Sous prétexte de principes démocratiques et de respect des droits de l’homme ou des libertés, comme si on pouvait sérieusement promouvoir la « liberté » » de tuer des Congolais ou de soutenir ceux qui le font…
Les dénonciations à répétitions d’atteintes aux droits de l’homme, ainsi placées sur le même pied d’égalité que les forces armées et les mouvements terroristes qui écument certaines régions du pays s’inscrivent dans le cadre de cette politique de sape, estiment aujourd’hui de plus en plus d’observateurs. Qui soulignent le fait qu’en RD Congo, la mission onusienne s’est dotée d’un puissant outil d’information, Radio Okapi, pompeusement surnommé la « radio de la paix », mais qui n’en poursuit pas les mêmes objectifs de sape et de fragilisation des institutions du jeune Etat congolais. « La quasi-totalité des décisions gouvernementale est malmenée à travers de pseudo-émissions proactives qui, en réalité, ne poursuivent que l’objectif inavoué d’en relativiser aussi bien la pertinence que la portée », analyse ce professeur de journalisme de l’Institut Facultaire Sciences de l’Information et de la Communication (IFASIC) de Kinshasa-Gombe. Tout comme cette étude scientifique qui se demande « comment admettre qu’une station qui se veut (…) « station de la paix » ne consacre dans sa grille de programmes que 1,6 % de productions pour la paix, le reste étant destiné à nourrir des polémiques souvent stériles opposant les Congolais entre eux ? ».
De l’instauration de la paix, la MONUSCO ne veut sans doute guère, parce qu’elle impliquerait la fin de sa présence en RD Congo, ainsi que celles d’activités mercantiles comme celles que le blindé accidenté de Beni a révélé le 7 octobre dernier.
Ici, l’opinion a toujours en mémoire de cette répartie attribuée à un responsable anglophone de la mission à qui on reprochait le peu d’entrain montré par les casques bleus à mettre hors d’état de nuire la rébellion de Laurent Nkundabatware au Nord-Kivu : « No Nkunda, no Job ! », aurait-il sèchement répondu à son interlocuteur.
Quatre mots simples qui se répètent manifestement à Beni (« No ADF, no Job » et qui expliquent tout.
J.N.