« Nous supportons mal la déclaration de Bemba sur RFI, faisant croire que Kabila n’a gardé que de petits acteurs dans la compétition électorale. Ce mépris et cette méconnaissance de la réalité sont une provocation. Elle révulse et révolte», réagit Abraham Lwakabwanga
C’est à Esdras Ndikumana que la rédaction de Rfi a confié la charge de recueillir l’interview la plus importante de Jean-Pierre Bemba après son acquittement par la Cour Pénale Internationale (CPI) le 8 juin dernier. Le sujet de l’entretien a porté essentiellement sur l’invalidation de sa candidature à la présidentielle déposée avec pompe le 2 août 2018 au Brtc domicilié au siège de la CENI (Commission Electorale Nationale Indépendante), à Kinshasa. En introduction à cet entretien, mercredi 5 septembre 2018, la RFI note que : «En République démocratique du Congo (RDC), Jean-Pierre Bemba, qui a été définitivement exclu de la course à la présidentielle du 23 décembre lundi par la Cour constitutionnelle de son pays, assure qu’il va continuer de lutter pour ses droits légalement. Il dénonce également un processus électoral biaisé qui conduit tout droit la RDC vers le chaos».
Invité à réagir à cette invalidation prononcée par la Cour constitutionnelle dont les arrêts, aux termes de l’article 168, «ne sont susceptibles d’aucun recours et sont immédiatement exécutoires» d’autant plus qu’«Ils sont obligatoires et s’imposent aux pouvoirs publics, à toutes les autorités administratives et juridictionnelles, civiles et militaires ainsi qu’aux particuliers», Jean-Pierre Bemba s’est contenté de soutenir la thèse de l’inféodation des institutions impliquées. «Je dirais que malheureusement, c’est sans surprise parce que, que ce soit la Cour constitutionnelle, que ce soit la Commission électorale indépendante (CENI), les deux sont inféodées et vraiment aux ordres du pouvoir à Kinshasa»…
Comme pour prouver que le présidentiable de 2006 et de 2018 a une mauvaise lecture des lois de son propre pays, Jean-Pierre Bemba commet et confirme la gaffe en répondant à la deuxième question. Lorsque Rfi lui demande s’il va se contenter de mener d’autres actions en justice puisque toutes les voies de recours pour sa candidature sont épuisées, il soutient que : «Bien sûr, il y a toujours moyen de mener d’autres actions en justice, et ce sera fait d’ailleurs». Devant quelle chambre espère-t-il le faire ? Il répond : «Vous pouvez toujours aller au niveau de l’Union africaine, les chambres qui tranchent ces questions également, puis bien sûr la procédure au niveau de la CPI [Cour pénale internationale] n’est pas terminée».
Ainsi, le candidat du MLC remet en cause les arrêts de la première institution judiciaire de son pays. «Ce que nous regrettons, c’est qu’on va vers une phase d’élection qui n’est ni démocratique, ni transparente et qui, avec la question de la machine à voter électronique contestée par tant la communauté internationale que nationale, et les six millions d’électeurs fictifs font que malheureusement ces élections s’annoncent comme des élections qui veulent directement déterminer qui est le candidat qui doit gagner les élections demain».
Lorsque Rfi veut savoir pourquoi n’appelle-t-il pas ses militants à manifester ou encore pourquoi son parti ne s’exclut pas carrément du processus électoral, il botte calmement en touche. «Cela fait partie de toutes les discussions qu’il y a à l’heure actuelle et donc ce sont les actions communes. C’est justement ça, les actions communes, qui vont être prises. Et bien sûr, la population a le droit de pouvoir défendre ses intérêts d’une manière pacifique et correspondant aux lois de ce pays», dit-il.
En réalité, l’homme est conscient de ne pouvoir mettre les gens dans la rue étant donné que s’il y a débordement, il portera sur lui une responsabilité des incidents pouvant (ré) intéresser Fatou Bensouda.
S’agissant du retrait éventuel du processus électoral, il se limite à relever des griefs. Dont celui d’une CENI «sourde à tout appel et recommandation de l’opposition», avant d’affirmer dans la phrase suivante, sous forme de menace : «A un moment donné, il est question quand même que nous prenions des décisions. Je ne veux pas anticiper là-dessus. Ceci dépendra également des autres partenaires et des réunions qu’il y a aura justement avec les autres partenaires».
…le moment venu, l’Opposition ne répondra plus de rien !
Or, justement, parmi ses partenaires, il y a Félix Antoine Tshilombo Tshisekedi de l’Udps, Vital Kamerhe pour l’Unc, Martin Fayulu pour l’Ecide-Dynamique de l’Opposition, Freddy Matungulu pour Congo Na Biso, Noël Tshiani, etc.
En affirmant que «pour l’instant en tout cas, ce processus n’est ni équitable, ni transparent et ni démocratique» et qu’il ne peut que «soutenir et aller vers les élections pour autant que ce processus montre une clarté» – ce dont il doute – pendant que sur ces entrefaites l’Udps lance l’Opération 1 USD pour le financement de la campagne électorale, il lance en réalité un message clair à l’opinion avertie : lui éliminé, aucun des opposants que se «choisit» Joseph Kabila ne doit compter sur son soutien.
Un avertissement qui, du reste, a le mérité de la clarté. «Je pense que, à l’heure où nous parlons, ces élections risquent vraiment d’être contestées au lendemain du vote puisque les élections, c’est fait pour que la population puisse choisir les dirigeants. Mais lorsque vous avez un pouvoir qui décide de qui sera voté au préalable, cela pose un sérieux problème de crédibilité des élections», dit-il.
Ainsi, les présidentiables de l’opposition sont-ils prévenus : ils n’obtiendront pas la caution politique ni morale du MLC tant que Chairman n’est pas réintégré dans le processus
A la question de savoir ce que «peut faire la population dans ces conditions», Jean-Pierre Bemba exprime courageusement sa pensée en déclarant que : «Tout est fait pour mettre et amener le chaos dans le pays au lendemain des élections. Il est évident que dans l’état actuel de la situation, avec ces machines à voter qui sont contestées mais qui ont été mises et faites à dessein, et ensuite les 6 millions d’électeurs qui n’ont aucune empreinte digitale, tout ceci est fait en sorte pour pouvoir amener des élections tronquées. Ce que je veux dire simplement là-dessus, c’est que le pouvoir a peur, c’est pour cela que toutes ces manœuvres ont été mises en place et le contrôle de toutes les institutions de ce pays aux ordres du pouvoir font que voilà vers quelle situation on se tend. Mais nous allons continuer à défendre les intérêts de la population».
Cependant, c’est à l’avant-dernière et à la dernière question que s’illustre l’adage selon lequel «le venin est dans la queue». Voici la formulation de la première : «Quel est l’avenir de la RDC au regard de la manière dont le processus électoral est mené jusqu’ici ?». Réponse : «Le pouvoir a peur d’abandonner ses privilèges, de pouvoir aller aux urnes et du verdict populaire. Voilà pourquoi tout ce qui est mené aujourd’hui est en vue de pouvoir distraire la population. La population doit rester vigilante et nous allons rester très vigilants et donner à la population toutes les informations en temps voulu».
Et voici la formulation de la seconde : «L’opposition congolaise semble avoir privilégié jusqu’ici la voie légale. Est-ce que cela va continuer ainsi ?». Réponse : «Les choses ne peuvent aller que dans les voies légales dans lesquelles l’opposition s’insère et continuera à s’insérer, dans cette voie légale, jusqu’au moment où elle va revendiquer ses droits et faire en sorte qu’il y ait des élections crédibles dans ce pays. Bien sûr».
En d’autres mots, le moment venu, sous son leadership, l’opposition ne répondra de rien !
Un vrai faux pas !
Au fait, de l’analyse des réponses du président MLC à RFI, il ressort d’un côté la volonté affichée de se ruer à la manière de l’éléphant dans un magasin de porcelaine (quitte à faire voler en éclats le processus électoral), mais, de l’autre, la peur de porter une responsabilité qu’il ne veut nullement assumer en cas de dérapage.
Seulement voilà : il n’épargne pas ses propres partenaires politiques de l’opposition. D’où dans la réplique d’Abraham Lwakabuanga : «Que M. Bemba se ravise, et contrôle très bien son langage. L’UDPS compatit et condamne l’injustice dont il est victime. Mais, notre compassion, qu’il n’aurait jamais eue si c’est nous qui étions frappés – l’histoire le démontre – ne doit pas être perçue comme une faiblesse».
Pour peu qu’il soit réellement sage, ainsi qu’il l’a proclammé à sa sortie de la prison de la CPI, Bemba aurait dû s’abstenir de répondre à la question-piège d’Esdras Ndikumana relative au soutien éventuel à Fatshi. Après tout, même s’il a continué de diriger le MLC à partir de sa cellule de Scheveningen (probablement comme ses troupes en expédition à Bangui à partir de son Q.G. de Gbadolite ou de Gemena), il était physiquement absent de la scène politique lorsque l’opposition battait le pavé à Kinshasa.
S’il lui est demandé de citer les militants de son parti qui auraient «affronté» les forces de l’ordre au cours de ces cinq dernières années, il ne saurait en aligner une demi-douzaine.
Sur les antennes de RFI, Jean-Pierre Bemba a lancé un mauvais signal à ses collègues de l’opposition: c’est lui, et lui seul, et non un autre qui doit être le candidat commun valable.
Un gros faux pas !
Omer Nsongo die Lema avec Le Maximum