A l’ouverture des audiences sur les contentieux des candidatures à la présidentielle, vendredi 31 août 2018, Me Toussaint Ekombe, le chef de file des avocats commis par le Mouvement de Libération du Congo (MLC) pour défendre le dossier de Jean-Pierre Bemba Gombo, déclaré inéligible par la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI), a dû recourir à d’indéniables talents mélodramatiques pour faire valoir ses arguments. Reprochant à la CENI le recours à une infraction inexistante en droit pénal rd congolais, l’avocat bembiste a rapporté à conté devant la barre avoir demandé à sa fille de lire la décision d’invalidation de la centrale électorale après lui, pour s’assurer qu’il ne s’était pas trompé en lisant le terme « subornation de témoins » dans la décision d’invalidation de son candidat. Selon l’avocat, dont l’argumentaire a été totalement défait par la cour constitutionnelle lundi 3 septembre 2018, il était impensable que cette infraction figure sur une décision légalement arrêtée en RD Congo.
Problème de moralité publique
Au-delà des questions de droit discutées au cours des débats relatifs à la requête en contestation de la décision d’invalidation de la candidature de Jean-Pierre Bemba se posent de nombreuses interrogations. Si Toussaint Ekombe a, comme il l’a prétendu, recouru à la lecture d’une décision de la CENI par sa fille, l’avocat ne révèle rien de ce sa fille pense de la subornation de témoins. Ni, non plus, ce que lui-même aurait expliqué à sa progéniture sur cette notion, si la question lui était posée. A supposer que la CENI se soit trompée en considérant que la subornation de témoins était assimilable à la corruption, il n’en demeure pas moins que Jean-Pierre Bemba a bel et bien suborné les témoins au procès qui l’a opposé à la Procureure de la CPI dans l’affaire des crimes de guerre et crimes contre l’humanité. L’excellent avocat qu’est Me Toussaint Ekombe aurait enseigné à sa fille que suborner un témoin est un BA, une « Bonne Action », selon les classifications morales inculquées aux enfants dans les écoles en RD Congo ? La réponse à cette question permettrait de se rendre compte de la qualité de l’éducation de celles et ceux qui auront la charge des affaires publiques à l’avenir. Et de ramener à la surface l’aspect moral, fondamental mais occulté dans les débats sur cette infraction dont s’est rendu coupable un acteur politique qui se prédestine aux plus hautes charges étatiques dans son pays.
Acquittement-limite par 3/5 juges
Relaxé par la CPI début juin 2018 à la suite d’un « acquittement-limite » parce que 2 des 5 juges de la composition s’étaient prononcés contre le jugement à rendre, Jean-Pierre Bemba a plutôt miraculeusement et politiquement échappé à la prolongation de sa détention à Scheveningen, la prison de la Haye au Pays-Bas. Que le leader du MLC ne s’en précipite pas moins à Kinshasa pour postuler à la présidentielle prévue en décembre prochain un acte politique qui mérite que l’on s’y attarde. Même acquitté, pour des infractions pénales aussi graves que les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité contre l’humanité commises par les troupes du MLC en Centrafrique, le sénateur et ancien vice-président de la République rd congolais auraient dû, estiment certains observateurs, observer un temps d’arrêt et d’observation de la scène politique avant de s’y relancer. Déposée un mois seulement après sa relaxation de la CPI, la candidature de Jean-Pierre Bemba à la présidentielle était moralement inopportune. Et demeure politiquement problématique, pour son parti politique, le MLC, mais aussi pour son pays, la RD Congo.
Nul ne doit lever la tête au MLC
Par rapport au MLC, la candidature de l’ancien pensionnaire de Scheveningen est révélatrice de la tare dictatoriale propre à la majorité des partis politiques rd congolais, qui demeurent désespérément des propriétés personnelles et familiales. Au MLC, c’est Jean-Pierre Bemba ou rien. L’idée de désigner l’un ou l’autre cadre du parti à la présidentielle à sa place ne semble jamais avoir effleuré Jean-Pierre Bemba qui contraint les cadres de son parti à taire prudemment leurs ambitions politiques. Ceux parmi eux qui ont osé, les José Makila, François Mwamba, Jean-Lucien Bussa et autres Patrick Mayombe, ont dû faire leurs valises, affaiblissant dramatiquement la première force politique de l’opposition au parlement à l’issue des élections de 2006. Tout comme on doit aux instincts égocentriques du leader du MLC l’absence de chef de file de l’opposition en RD Congo, une fonction pourtant consacrée par la constitution en vigueur au pays. Même en détention durant de longues années, Jean-Pierre Bemba n’a jamais permis que quiconque au sein de son parti ou dans l’opposition se permettre de le remplacer à cette fonction assortie de nombreux avantages matériels, financiers et honorifiques légalement reconnus.
L’opposition sans chef de file depuis 2006
En présentant sa candidature à une présidentielle plus qu’hypothétique pour lui, le patron du MLC a compliqué la course laborieuse des forces politiques de l’opposition vers une candidature unique à faire valoir face au candidat de la majorité au pouvoir. C’est du MLC, par la bouche de Eve Bazaiba, sa secrétaire générale, qu’est venue l’idée de subordonner les discussions en vue de la désignation du candidat unique des opposants au dépôt des dossiers de candidature (moyennant une caution de 100.000 USD !) à la publication des listes définitives des candidats, le 19 septembre prochain. A cette date-là, les élections prévues le 23 décembre 2018 ne seront plus distantes que de … 3 mois. En fait, l’opposition politique rd congolaise aura que perdu un trimestre, depuis la libération sa libération début juin 2018, à attendre que le sort de Bemba se clarifie.
Relaxé pour « foutre le bordel » dans son pays
Quant à la RD Congo elle-même, le pays ne tire nullement profit de la relâchement-express de l’ancien chef-rebelle, relâché dans la nature pour « foutre le bordel » dans le processus d’auto-détermination des populations de son pays. Réagissant à la confirmation de l’invalidation de sa candidature prononcée lundi 3 septembre 2018 par la cour constitutionnelle, Jean-Pierre Bemba et le MLC s’en prennent pêle-mêle aussi bien à la CENI, à la plus haute instance judiciaire du pays, qu’à la CPI. Et menacent de se lancer dans des actions dites citoyennes (c’est l’expression utilisée en RD Congo pour désigner des troubles sociaux, en fait) visant à requalifier le processus électoral (à l’aide de lorgnettes de candidat invalidé !) et revoir la composition du bureau de la CENI (où un délégué du parti siège, pourtant). Contre les occidentaux qui l’ont enfermé à la prison de Scheveningen 10 années durant avant de s’aviser qu’il était innocent et de le faire acquitter in extremis, Bemba rien trouve rien à dire. Ses diatribes, c’est contre la justice de son pays qu’il les adresse.
En réalité, plutôt que de se désigner un dauphin, selon le terme consacré depuis que Joseph Kabila et sa famille politique ont innové en désignant un candidat remplaçant le Chef de l’Etat sortant, ou de soutenir une candidature de l’opposition dont ils se réclament, Bemba et le MLC préfèrent remettre en cause le processus électoral. Un plan ruminé par des puissances occidentales depuis de longues années.
J.N.