La Cour Constitutionnelle de la RD Congo a ouvert à Kinshasa, vendredi 31 août 2018, les audiences publiques dans le cadre des procès en contentieux des candidatures à la présidentielle de décembre 2018. La plus haute instance juridictionnelle a ainsi entamé l’examen des recours en contestation introduits par 6 des 25 candidats au scrutin, invalidés par la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) dans la nuit du 24 au 25 août, 6 jours plus tôt. Entre autres, les dossiers de candidature du MLC Jean-Pierre Bemba, des PALU Antoine Gizenga et Adolphe Muzito (même si ce dernier s’est présenté sous le label d’une nouvelle plateforme politique, l’UREP), du Pasteur Moka, de Samy Badibanga, de Marie-Josée Ifoku …
Retransmises en direct sur les antennes de la Radio-Télévision Nationale du Congo (RTNC), les audiences du début du week-end dernier ont récolté un franc succès dans l’opinion et furent suivies … comme un match de football, quasiment. Sur les lieux de l’évènement, à la Cour Constitutionnelle dans la commune de la Gombe, les audiences ont été réparties dans deux salles avant d’être ramenées à une seule, la grande salle des audiences, en raison de l’affluence.
Au dehors, même topo : le Parti Lumumbiste Unifié (PALU) du patriarche Antoine Gizenga avait rameuté des militants venus vanter la gloire de leurs jokers devant la cour, et tenter d’influencer l’appréciation des juges. Le MLC de Jean-Pierre Bemba aussi, dont les militants sagement rangés n’en réclamaient pas moins un jugement en faveur de l’ancien détenu de Scheveningen au Pays-Bas. Ceux des militants du PALU interrogés par la presse sur le but de leur présence sur les lieux ont répondu, sans trop hésiter, qu’ils étaient là « … pour soutenir Antoine Gizenga et Adolphe Muzito ». Un défaut de discernement révélateur des enjeux qui discutaient à quelques mètres de là, dans la salle d’audience 2 où les dossiers de ces deux candidats mettaient aux prises avocats et experts de de la CENI et l’officier du ministère public.
Défaut de qualité et conflit d’intérêt avérés
A l’appui de l’invalidation du dossier de candidature du Patriarche Antoine Gizenga, la CENI avance l’argument du défaut de qualité du signataire de son dossier de candidature. En fait, c’est Gizenga Lugi, le fils de l’impétrant, qui avait signé au bas de certaines cases des formulaires de dépôt de candidature, alors que d’autres cases avaient été paraphées par Antoine Gizenga en personne. Selon la CENI, c’est Antoine Gizenga lui-même, en sa qualité de président de la plateforme PALU et Alliés, qui devait apposer sa signature au bas des cases concernées. L’affaire de la candidature du Patriarche, dont la rumeur kinoise assurait qu’il n’était pas au courant de la démarche entreprise par certains membres de son pré-carré, est d’autant plus mal partie que l’officier du ministère public intervenu sur le banc a lui aussi estimé que l’irrecevabilité devait être confirmée. On voit mal comment les juges pourraient rencontrer les arguments des avocats du PALU qui, acculés, ont eu recours vendredi dernier à ce qu’ils ont appelé « l’argument historique ». Quelque chose comme « tout le monde sait que c’est de Gizenga qu’il s’agit », qui devrait difficilement rencontrer l’assentiment de hauts magistrats rompus aux arcanes du droit.
L’autre dossier semi-Palu (la réaction des militants du parti interrogés est symptomatique à cet égard), celui d’Adolphe Muzito, paraît tout aussi mal engagé, à en juger par les échanges de vendredi dernier à la Cour Constitutionnelle. La CENI reproche à l’ancien 1er ministre PALU un conflit d’intérêt avec le parti gizengiste dont il est membre, même si sa candidature est portée par une autre plateforme, l’UREP du mobutiste Charles Bofassa Djema. Soutenant l’invalidation prononcée par la centrale électorale, le ministère public a révélé l’existence au dossier en discussion d’une correspondance de l’impétrant réitérant sa loyauté au Patriarche Antoine Gizenga, relevant au passage le fait qu’Adolphe Muzito n’avait jamais renié sa qualité de député du PALU à l’Assemblée Nationale.
MLC : pressions extrajudiciaires à la limite du chantage
Semble également tout aussi mal engagé, le dossier de candidature du MLC Jean-Pierre Bemba, malgré les pressions extrajudiciaires déployées par ses partisans. Outre la présence voulue persuasive des militants du parti bembiste devant la Cour constitutionnelle vendredi dernier, le MLC a rendu public un communiqué accusant la CENI d’avoir obtempéré aux injonctions du gouvernement qui lui avait fait parvenir une correspondance contenant des éléments de preuve de la condamnation de Jean-Pierre Bemba dans le procès pour subornation de témoins à la Cour Pénale Internationale (CPI). «Le MLC appelle la Cour Constitutionnelle à protéger le fondement de notre système pénal qui fonctionne sur base de la légalité et de stricte interprétation en évitant des analogies, des confusions malveillantes et des raccordements frauduleux entre infractions. En tout état de cause, le MLC met la Haute Cour devant sa responsabilité historique de gardienne des valeurs démocratiques et d’un Etat de droit », indique le communiqué publié samedi 1er septembre 2018, un jour après les joutes publiques devant les hauts magistrats.
En RD Congo, certains observateurs estiment que les gesticulations des partisans de Jean-Pierre Bemba loin de la barre où se discutent les arguments de droit trahissent la fragilité du dossier de leur joker. Vendredi 31 août, la CENI avait justifié l’invalidation du dossier Bemba du fait de sa condamnation par la CPI pour subornation de témoins, conformément à la loi électorale. Qui stipule que « les personnes condamnées par un jugement irrévocable du chef de viol, d’exploitation illégale des ressources naturelles, de corruption, de détournement de deniers publics, d’assassinat, de tortures, de banqueroute et les faillis.» «La plénière de la CENI a été saisie par une voie formelle normale d’une correspondance lui notifiant un arrêt définitif de la chambre d’appel de la Cour pénale internationale du 8 mars 2018, lequel arrêt a apporté des éléments nouveaux de travail à la CENI », a expliqué Jean-Ronsard Malonda, l’expert de la centrale électorale qui justifiait ainsi le réexamen d’un dossier de candidature déclaré recevable au niveau du bureau de réception et de traitement des candidatures.
Répliquant à l’argumentaire de la CENI, la défende de Jean-Pierre Bemba conduite par l’excellent Me Toussaint Ekombe a soutenu que la condamnation du président du MLC n’était pas encore irrévocable et que la subornation de témoins ne signifiait pas corruption. « La question de la culpabilité n’est pas tranchée parce qu’au regard de l’article 81, nous revenons sur le tout. Et c’est d’ailleurs ce que dit le certificat. La question a été renvoyée à la chambre de première instance pour une nouvelle décision. Pour que la condamnation de Bemba soit irrévocable, il faut qu’il ait épuisé la voie de la révision qui est une voie de recours extraordinaire. Et la définition d’irrévocable, c’est lorsque la décision n’est plus susceptible d’être attaquée par une voie de recours », ont avancé les avocats bembistes, reprochant à la CENI l’interprétation par analogie des infractions, strictement prohibée en droit pénal, selon leur entendement. Ce à quoi la centrale électorale a rétorqué que la loi électorale n’était pas régie par le droit pénal. « La CENI s’appuie sur les faits (ici de corruption) reprochés à Jean-Pierre Bemba », a souligné Jean-Ronsart Malonda.
L’estocade de l’organe de la loi
Les protagonistes dans le dossier de candidature du président du MLC semblaient se renvoyer dos-à-dos lorsque l’intervention sur le banc de l’officier du ministère public a fait pencher la balance en faveur de la CENI. Pour l’organe de la loi, la subornation de témoins est assimilable à la corruption qui, au terme de la loi électorale, prive son auteur d’éligibilité. Le dossier de candidature à la présidentielle de Jean-Pierre Bemba doit dont être invalidé, cette partie au procès.
La candidature de l’homme de Dieu et professeur d’universités, Jean-Paul Moka, n’est pas non plus logée à la meilleure enseigne, quoiqu’en veuillent tous les dieux du ciel. La CENI lui reproche le défaut de preuve de paiement de la caution estimée à 100.000 USD. Vendredi dernier, il n’a pas été possible de prouver que l’homme de science avait versé les sommes dues dans les délais requis, ni même simplement versé les fameuses sommes. Le candidat à la magistrature suprême semble même avoir, plutôt, tenté de rouler l’administration électorale en introduisant une note de perception de la DGRAD non conforme : la mention d’encaisse des 100.000 USD faisait défaut. « C’est le document qui donne droit au requérant d’aller verser l’argent à la Banque qui a été présenté et non pas la preuve que l’argent a été perçu », a expliqué la CENI. Sans contredit.
La défense, étonnamment molle de Jean-Paul Moka, a tenté de faire valoir que la caution aurait été transférée d’une banque belge directement à la Banque Centrale sans en informer la DGRAD. Un transfert qui n’a pas été formellement attesté, non plus.
J.N.