« C’est à bon droit que la CENI a décidé de l’inéligibilité de Jean-Pierre Bemba en raison de sa condamnation irrévocable dans l’affaire de subornation de témoins ». Ainsi a conclu, lundi 3 septembre 2018 tard dans la soirée, la chambre II de la Cour Constitutionnelle siégeant en matière de contentieux de candidature à l’élection présidentielle. Le candidat du Mouvement de Libération du Congo (MLC) libéré à la hâte début juin par la Cour Pénale Internationale (CPI) et acquitté dans le dossier des crimes de guerre et crimes contre l’humanité qui lui avait pourtant valu 10 années de détention à la prison de Scheveningen au Pays-Bas, ne participera pas à la présidentielle rd congolaise du 23 décembre 2018.
Dans la cause enregistrée sous RCE 002 portant sur la requête en contestation de la décision d’invalidation de la candidature de Jean-Pierre Bemba, le MLC a invoqué un moyen unique subdivisé en deux parties : la décision de la CENI violait l’article 10 de la loi électorale en ce qu’elle assimilait la subornation de témoins à la corruption.
La défense de Jean-Pierre Bemba reprochait ainsi à la CENI d’avoir ajouté l’infraction de subornation de témoins à l’énumération limitative que le Code pénal rd congolais donne de l’infraction de corruption.
De même que la centrale électorale péchait par la méconnaissance du caractère révocable de la condamnation de Jean-Pierre Bemba dans l’affaire de subornation de témoins. Se fondant sur le certificat de détention délivré par la CPI le 8 août 2018, qui fait état de l’annulation de la peine prononcée à l’encontre du sénateur rd congolais et du renvoi de la cause à la Chambre I de la CPI, la partie demanderesse a soutenu que le dossier de subornation de témoin demeure révisable jusqu’à épuisement de toutes les voies de recours.
La réplique de la CENI
En réplique aux arguments de la défense de Jean-Pierre Bemba, la CENI reconnaît qu’à l’étape de l’enregistrement des candidatures, le dossier de candidature à la présidentielle du président du MLC a été déclaré conforme. Mais l’administration électorale, saisie par une correspondance du ministère de la justice datée du 13 août 2018 lui transmettant, notamment, l’arrêt définitif rendu par la CPI le 8 mars 2018 dans l’affaire Procureur c/ Jean-Pierre Bemba et csrts, a été contrainte de statuer de nouveau sur le dossier, ainsi que l’y obligent les textes légaux en vigueur.
Il ressort des documents judiciaires reçus que Jean-Pierre Bemba et Cie ont été formellement reconnus coupables d’actes de subornation de témoins et de corruptions caractérisés par la préparation des témoins à déposer en faveur du président du MLC dans l’affaire des crimes contre l’humanité et crimes de guerre. Avec ces co-accusés, Jean-Pierre Bemba a donné des instructions précises aux témoins, autorisé des versements de sommes d’argent en leur faveur, et surtout parlé à certains témoins à un moment où cela était prohibé par la cour.
L’ensemble des actes posés pour influencer les dépositions des témoins, longuement énumérés par la CENI, va de mesures de dissimulation de ces activités répréhensibles au regard de la loi à l’invitation à cesser toute collaboration avec la CPI en passant par la distribution des cadeaux (téléphones portables), la planification et la préparation de 14 témoins de la défense, l’autorisation de versement de sommes d’argent en leur faveur et le payement des intéressés après leurs dépositions devant la cour.
Pour la CENI, les faits de corruption sont donc avérés dans le chef de Jean-Pierre Bemba. La centrale électorale souligne, du reste, le fait que la notion de corruption ne se limite plus à son acception selon le Code Pénal de 1950, depuis notamment que la RD Congo a ratifié un certain nombre d’instruments internationaux y relatifs. Les faits reprochés au postulant à la prochaine présidentielle sont donc des faits de corruption qui ont consisté en la distribution d’argent et à l’octroi d’avantages aux témoins.
Quant à la révocabilité de la décision de la CPI avancée la partie Bemba, la chambre d’appel a formellement rejeté les appels de la défense dans le dossier de subornation de témoins et confirmé les condamnations prononcées le 8 mars 2018. Qui sont de ce fait devenues irrévocables, selon la centrale électorale.
La CENI a également estimé que le certificat de détention du 28 août 2018 versé au dossier par la défense du MLC est un acte administratif attestant de la bonne conduite du détenu de Scheveningen, et non une décision de justice annulant la décision confirmée par la chambre d’appel.
Le verdict de la chambre II
Statuant sur les arguments des parties en présence, la Chambre II de la Cour Constitutionnelle a décidé la recevabilité de la requête du MLC et rejeté les moyens qui la soutiennent.
Pour la Haute Cour, la corruption consiste en actes ou pratiques assimilées. Elle est élargie, contrairement à l’entendement de la défense de Jean-Pierre Bemba, à toute personne et non pas aux seuls agents publics de l’Etat. Elle peut être passive ou active et consiste en dons ou en promesses pour inciter à la commission de faits répréhensibles au regard de la loi.
La subornation de témoins constitue une circonstance aggravante de la corruption ainsi que le stipule l’article 12 a du Code Pénal Livre II selon lequel le coupable de subornation de témoin est passible de la même peine que le coupable de corruption.
Par ailleurs, le législateur n’ayant pas expressément défini l’instance judiciaire sensée statuer sur les infractions de subornation de témoins, les juridictions rd congolaises comme les juridictions internationales auxquelles la RD Congo a adhéré sont habilitées à le faire.
Comme la CENI, la Cour constitutionnelle note que la RD Congo a ratifié un certain nombre d’instruments internationaux, comme le Statut de Rome portant création de la CPI, ou encore les conventions des Nations Unies et de l’Union Africaine contre la corruption. Conformément à l’article 154 de la constitution, les cours et tribunaux civils et militaires appliquent ces traités internationaux. Reconnu coupable de subornation de témoins par la CPI, Jean-Pierre Bemba l’est donc aussi en vertu des lois de la RD Congo.
S’agissant du certificat de détention du 28 août 2018 versé au dossier par la partie Jean-Pierre Bemba, la Cour Constitutionnelle a estimé que non seulement il s’agit effectivement d’une attestation qui n’a aucun effet sur les peines prononcées et confirmées en appel, mais en plus, il a été délivré hors-délai de dépôt des candidatures. Par ailleurs, aucune pièce versée au dossier n’atteste de l’existence de fameuses voies de recours prévues par le Statut de Rome alléguées par la partie Bemba, fait observer la haute cour.
J.N.