En prononçant l’acquittement de l’ancien chef de guerre rd congolais, Jean-Pierre Bemba Gombo, des infractions de crimes de guerre et crimes contre l’humanité pour lesquelles il était poursuivi depuis une dizaine d’années, le 8 juin 2018 dans l’après-midi, trois des cinq juges de la chambre d’appel de la Cour Pénale Internationale (CPI) ont littéralement asséné le coup de grâce à cette institution de la justice pénale internationale. La sentence renversait, au propre comme au figuré, tout l’échafaudage procédural patiemment mis sur pied pour sanctionner et dissuader à l’avenir les va-t’en guerre et autres roitelets de circonstance qui s’octroient souvent droit de vie et de mort sur leurs semblables, en Afrique particulièrement. Autant qu’elle érodait dramatiquement le peu de confiance et de foi qui restaient encore attachées à la prétendue justice internationale, particulièrement en Afrique. Ce jour-là, la chambre d’appel de la CPI avait, à la surprise générale, totalement renversé le verdict prononcé contre le même inculpé, Jean-Pierre Bemba Gombo donc, deux ans plutôt, le 21 mars 2016, lorsque, après huit ans d’un procès auquel avaient témoigné quelque 5.000 victimes d’atrocités commises par les troupes du Mouvement de Libération du Congo (MLC) en Centrafrique en 2002, et 10 ans d’emprisonnement à Scheveningen (Hollande), la CPI avait condamné l’ancien chef de guerre à 18 ans de prison.
Acquittement en forme d’effacement de dette
L’acquittement de juin 2018, assorti de la fin des poursuites pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité avait tout l’air d’une sorte d’effacement de dette de pays pauvre. En Europe, où ce verdict semble avoir été mijoté à la hâte, mais surtout sur le continent africain et notamment au Congo-Kinshasa, peu s’y sont trompés : l’affaire était « hautement politique », selon les propos d’un diplomate en place à Kinshasa. Et donc aussi, toute la prétendue justice pénale internationale de création plus ou moins récente, que nombre de dirigeants du continent récusent de plus en plus, la considérant comme un nouvel instrument néocolonial.
Le dénouement renversant de l’affaire « Jean-Pierre Bemba contre le Procureur près la CPI » s’éclaire en effet au regard de l’évolution de la situation politique dans son pays d’origine, la RD Congo. Où la fin du dernier mandat constitutionnel du Chef de l’Etat en place, Joseph Kabila, a réveillé les instincts néocolonialistes d’un certain nombre de milieux politiques et mercantiles sur le vieux continent et outre Atlantique. Depuis plusieurs années, des capitales de l’Europe occidentale et des Etats-Unis d’Amérique ont multiplié nerveusement des schémas de récupération de ce qu’on appelle pudiquement l’initiative politique, une opération qui consiste en fait à placer coûte que coûte des hommes de main plus dociles à la tête de la RD Congo, le jeune président rd congolais ayant brillé par son indocilité vis-à-vis de ceux qui se considèrent toujours comme les « propriétaires » de ce coffre-fort naturel, en dépit de l’indépendance concédée du bout des lèvres un certain 30 juin 1960.
Le pays des gisements miniers de l’avenir
Dans cet immense pays de l’Afrique Centrale où se concentrent les plus grands gisements des matières premières dont dépendra l’industrie mondiale pour les prochaines décennies, le cobalt notamment, la politique souverainiste de Joseph Kabila est loin de faire l’affaire de tout le monde. En occident, des milieux politiques et mercantiles avaient, dès 2016, jeté leur dévolu sur certains acteurs politiques malléables au sein de l’opposition pour renverser le pouvoir en place par une insurrection de type « printemps arabes » pour cause de non organisation des élections dans les délais constitutionnels. Sans succès. Et, à quelques mois de scrutins électoraux postposés in fine pour décembre prochain, aucun des candidats déclarés de l’opposition à la prochaine présidentielle ne semblait faire le poids face à la machine politique bien rôdée de Joseph Kabila auquel on prêtait l’intention de vouloir rempiler. Surtout pas le dernier gouverneur de la défunte province minière du Katanga, Moïse Katumbi, sur lequel comptaient de puissants intérêts miniers et qui s’était lui-même compliqué la tâche notamment avec d’inextricables démêlées avec la justice et la loi sur la nationalité congolaise « une et exclusive ». Ne restait plus, pour espérer affronter « utilement » Joseph Kabila (ou au candidat de son parti politique), que Jean-Pierre Bemba Gombo, le deus ex machina du MLC qui avait été naguère son challenger.
JPB au secours
Arrêté en 2008, l’ancien chef rebelle qui purgeait une peine de 18 ans dans les geôles de la CPI avait l’avantage aux yeux des ‘king’s makers’ occidentaux, d’être arrivé 2ème à la présidentielle de 2006 nanti d’un indéniable bagout et précédé par une réputation de chef de guerre, il a pu paraître une alternative sérieuse et crédible. Si pas pour battre Joseph Kabila et sa famille politique, au moins pour foutre le bordel à Kinshasa, au cas où Kabila s’aventurait à tripatouiller la constitution pour se représenter.
Seul obstacle au relâchement du chef des bourreaux de Bangui dans l’arène politique rd congolaise : sa condamnation à la CPI. Mais qu’à cela ne tienne. Les manipulateurs avaient les bras suffisamment longs. Assez en tout cas pour « persuader » au moins trois juges de l’instance judiciaire mondiale de jeter à l’eau la réputation de leur institution. Quitte à sacrifier l’avenir du Statut de Rome sur l’autel de la survie économique de certains Etats en Occident. Le « crime », puisque c’en était un, en valait la chandelle. Mais il ne fut pas parfait.
Crime oublié
En effet, en acquittant Jean-Pierre Bemba Gombo des poursuites pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité le 8 juin 2018, la CPI et les instigateurs de cette relaxation en mode « effacement de la dette par bienveillance des créanciers » semblent avoir perdu de vue l’autre condamnation qui pendait toujours sur la tête de l’ancien pensionnaire de Scheveningen. Puisqu’à la suite de cette affaire principale était née une autre, relative à la subornation de témoins. Un procès dans le procès, qui a opposé Jean-Pierre Bemba Gombo et l’intraitable Procureure de la CPI pour actes de subornation (corruption) de témoins et de production de documents faux et falsifiés à l’occasion de l’affaire principale. Etaient visés dans ce second procès, outre Jean-Pierre Bemba lui-même, l’avocat Aimé Kilolo Musamba (conseil principal de l’équipe de défense), Jean-Jacques Mangenda Kabongo (chargé de la gestion des dossiers de l’affaire), le député Fidèle Babala Wandu (secrétaire général adjoint du MLC), et Narcisse Arido (témoin clé cité à comparaître par la défense).
Le 19 octobre 2016, les cinq accusés ont été reconnus coupables d’atteintes à l’administration de la justice par la chambre de première instance VII. « La Chambre conclut en l’existence de motifs substantiels de croire, au regard des preuves à charge, que les cinq accusés avaient commis des infractions de subornation de témoins (article 70-1-c du Statut), de production d’éléments de preuve faux (article 70-1-b du Statut), et de faux témoignage (article 70-1-a du Statut) portant atteinte à l’intégrité et à l’efficacité des procédures devant la Cour », énonce l’arrêt rendu à cet effet. Et, se prononçant sur les peines proprement dites, le 22 mars 2017, la chambre condamnait Jean-Pierre Bemba Gombo à une peine totale d’une année d’emprisonnement qui s’ajoute à la peine de l’affaire principale (sans déduction du temps passé en détention) ainsi qu’à une peine d’amende de 300.000 euros qui sera transférée au Fonds au profit des victimes ; Aimé Kilolo Musamba à deux ans et six mois d’emprisonnement et 300.000 euros d’amende (qui sera également transférée au Fonds au profit des victimes), toutefois, la Chambre a décidé de suspendre cette peine d’emprisonnement ; Jean-Jacques Mangenda Kabongo est condamné à une peine totale de deux ans d’emprisonnement (avec déduction du temps déjà passé en détention) avec suspension du reste de la peine à purger dans les mêmes conditions que pour Aimé Kilolo ; Narcisse Arido à une peine totale de onze mois d’emprisonnement, sa peine étant considérée comme purgée par la Chambre, eu égard au temps déjà passé en détention ; tout comme Fidèle Babala Wandu, condamné à une peine totale de six mois d’emprisonnement. Au cours d’une audience en appel de ces condamnations, la chambre a rejeté, le 8 mars 2018, soit 3 mois avant l’acquittement de Jean-Pierre Bemba dans l’affaire principale, les appels interjetés la défense de l’inculpé, confirmant ainsi les accusations alléguées et les peines ainsi prononcées.
Condamnations prises en compte, un péché ?
Prenant en compte cette condamnation de Jean-Pierre Bemba pour subornation de témoins qui figure dans l’extrait de casier judiciaire déposé par lui-même, la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) a écarté son dossier de candidature à la présidentielle du 23 décembre 2018, au grand dam des conjurés.
Certes, l’ancien vice-président de la République dispose encore de la possibilité de porter le dossier devant la Cour Constitutionnelle, mais on peut douter que les juges constitutionnels volent à son secours. Bien que la notion de subornation de témoins suscite polémique dans certains médias congolais, l’article 70 du Statut de Rome incrimine spécifiquement tous les actes et comportement qui seraient « de nature à fausser le procès, et menacer ainsi l’autorité et la crédibilité de l’institution », selon des études relatives aux procédures pénales internationales. Six infractions à l’administration sont expressément mentionnées dans cet article : le faux témoignage, la production d’éléments de preuve faux ou falsifiés, la subornation de témoins, l’intimidation d’un membre ou agent de la cour, les représailles contre un membre ou agent de la cour, et la sollicitation ou l’acceptation d’une rétribution illégale par un membre ou agent de la cour dans ses fonctions officielles, ce qui recoupe parfaitement l’incrimination de corruption. « Ces atteintes à l’administration de la justice visent toutes les personnes en relation avec la CPI, c’est-à-dire tant les membres et agents de la Cour (Procureur, Greffier, juges) que les accusés, leurs conseils, les témoins et les experts », apprend-on de cette littérature scientifique abondante sur le site internet de la CPI où la subornation de témoins est aussi définie ‘expressis verbis’ comme « l’exercice d’une influence corruptrice sur un témoin ».
Le 4 juillet 2018, le bureau du procureur de la CPI a formellement requis 5 ans de prison contre Jean-Pierre Bemba dans cette affaire de subornation de témoins, à l’appui d’arguments complémentaires avancés, et malgré l’acquittement prononcé le 8 juin 2018. « Nous savons qu’il a eu plus de 14 témoins corrompus », a déclaré en substance Me Kwetu Vanderpuye, le 1er substitut de la Procureure, pour qui « toute conclusion contraire serait incompréhensible ».
Le crime des « maîtres autoproclamés du monde » dans le dossier Jean-Pierre Bemba n’a donc pas été parfait.
J.N.