De la lointaine capitale française à Paris, Emmanuel Macron, le successeur de François Hollande au Palais de l’Elysée, a consacré une partie des deux dernières semaines du mois de mai 2018 à la RD Congo. Au détour de visites officielles des présidents rwandais Paul Kagame et angolais Joao Lourenço, le Chef de l’Etat a littéralement fait irruption avec des gros sabots dans les problèmes du continent africain, pour des raisons que ceux qui dans l’opinion croyaient révolue la françafrique de triste mémoire scrutent encore.
Au terme d’entretiens avec Paul Kagame, qui préside pour un an aux destinées de l’Union Africaine (UA), Macron a déclaré « soutenir la position de Kigali sur la situation en RD Congo », avant de rectifier le tir, après que Kinshasa eut exprimé fermement sa réprobation par ses ministres en charge des Affaires étrangères et de la Communication, une semaine plus tard à l’occasion de la visite du numéro 1 Angolais Joao Lourenço à Paris, en précisant plus prudemment qu’il s’agissait de la position de l’Union Africaine, organisation régionale dont le Chef de l’Etat rwandais a la charge.
Le 28 mai 2018, le chef de l’Etat Français recevait en effet son homologue angolais, qui préside, lui, aux destinées de la communauté des Etats de l’Afrique Australe pour une année. Au cours d’un point de presse conjoint à l’Elysée, les deux chefs d’Etats ont abordé la question rd congolaise. Le Français réitérant avec des mots soigneusement pesés la volonté de son pays « d’accompagner les organisations continentales (UA) et régionales (SADC) dans la résolution du dossier rd congolais ». Ce qui implique le respect de l’Accord du 31 décembre 2016, dit de la Saint Sylvestre, qui serait « béni » du fait d’avoir été facilité par le clergé catholique, selon Joao Lourenço, notamment en ce qu’elles prévoyaient la tenue des scrutins à la fin de cette année 2018, en totale conformité avec la constitution et les lois de la RD Congo qui excluent autant tout vide à la tête de l’Etat qu’un troisième mandat consécutif pour un chef d’Etat.
A l’évidence, les postures, au départ maladroites et indélicates, adoptées par les trois chefs d’Etat, avaient provoqué l’ire de Kinshasa qui y a rétorqué en interrogeant la nature et le contenu des discussions qui se seraient déroulés à Paris sur leur pays à leur insu, sans que les autorités congolaises y aient été associées. Interrogation à laquelle Emmanuel Macron a tenté de répondre lundi dernier sans vraiment convaincre ni satisfaire. Sur le continent et en RD Congo, les observateurs qui ont encore en mémoire les « exploits » français en Libye, se demandent ce que vient fiche la France en s’intercalant entre les organisations continentales normalement et régulièrement saisies des problèmes d’un de leurs Etats-membres et l’Organisation des Nations-Unies via le Conseil de sécurité, également saisie du dossier depuis plusieurs années. « Le jeune chef d’Etat de l’Hexagone semble être allé vite en besogne en s’octroyant le droit à un accompagnement de trop », estime avec un sourire en coin ce diplomate africain en poste à Kinshasa. Comme si celui de l’ONU qui entretient la plus grande mission de maintien de la paix jamais déployée au monde, forte de près de 20.000 hommes, ne suffisait pas pour la RD Congo.
En se répandant en mises au point sur le contenu de ses échanges avec le président français au sujet d’un Etat membre de l’organisation régionale dont il assure la présidence tournante, l’Angolais Joao Lourenço a, lui aussi manifesté un embarras évident. L’appartenance de la RD Congo à la SADC n’entame en rien l’indépendance et la pleine souveraineté de ce pays et il n’y a pas lieu pour des instances extérieures, régionales ou autres, de s’immiscer de quelque manière que ce soit dans des questions internes relatives notamment à l’interprétation de ses lois ou d’accords politiques internes du pays au-delà de l’entendement qu’en donnent ses propres représentants légaux et légitimes. « Qu’ils soient Bénis ou non, les accords politiques entre membres de la classe politique de RD Congo de même que les élections dans ce pays ne sont pas l’affaire de Joao Lourenzo, à qui personne dans la SADC n’a jamais demandé ce que pensaient ses compatriotes de l’UNITA ou de la société civile angolaise des différents accords conclus sous l’égide du régime MPLA depuis l’accession de l’Angola à l’indépendance dans les années ‘70 », rétorque encore ce diplomate africain.
Sans doute conscient de s’être entremêlé les pinceaux en acceptant de mettre ces questions domestiques congolaises à l’agenda de ses entretiens parisiens à l’occasion d’une visite officielle assaisonnée d’accords de coopération salvateurs pour une économie angolaise exsangue, le nouveau chef de l’Etat angolais a tenté de temporiser en déclarant « qu’il ne s’agissait pas de se mêler de problèmes internes de la RD Congo », et aussi que « les Chefs d’Etats de la région prodiguaient des conseils et n’avaient pas d’autres moyens de pressions sur leur homologue ». Joao Lourenço a également dit que « personne ne peut dire au président Kabila de quitter (car) seul le peuple congolais peut le faire ». Il a aussi promis d’en discuter avec Joseph Kabila au cours d’une rencontre dont il n’a pas indiqué le lieu et la date.
Mercredi 30 mai 2018, peu avant la fin de sa mission officielle en France, le président en exercice de la SADC a enfoncé le clou en expliquant à la presse qu’il fallait nécessairement attendre décembre prochain pour se prononcer sur la RD Congo, au cas où les élections annoncées n’étaient pas organisées. « Il faut accorder au président Kabila le bénéfice du doute jusqu’au mois de décembre prochain », a-t-il déclaré sur les antennes de RFI. Tout en assurant qu’il n’existait pas d’ombre entre Kinshasa et Luanda, les rapports entre les deux capitales étant « au beau fixe ». C’est le contraire qui eût étonné, de la part d’un dirigeant du continent dont le parti est au pouvoir depuis près d’un demi-siècle.
J.N.