Les leaders de l’opposition radicale en RD Congo ont franchi, tout au moins en apparence, un pas supplémentaire… vers le boycott des scrutins électoraux de décembre 2018. Après les assauts contre la machine à voter introduite par la Commission électorale nationale indépendante (CENI) pour permettre le respect des délais électoraux (votes avant fin 2018) et réduire les coûts des opérations, c’est le rapport d’audit du fichier électoral conduit par l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) qui est voué aux pires gémonies. Parce qu’il fait état, entre autres, de la présence de 16,6 % d’enrôlés sans empreintes digitales à travers toute l’étendue de l’immense RD Congo.
Rendues publiques le 26 mai 2018 après quelque trois semaines d’intenses travaux inclusifs et participatifs, parce qu’aussi bien les représentants de l’opposition politique, de la majorité au pouvoir que de la société civile ont pris part aux travaux conduits par l’OIF, les conclusions de l’audit du fichier électoral ont été aussitôt dénoncées par l’UDPS/Tshisekedi, l’UNC de Vital Kamerhe, le MLC de Jean-Pierre Bemba, ainsi que deux petites plateformes katumbistes, la Dynamique de l’opposition de Martin Fayulu et Ensemble pour le changement (Delly Sessanga). De plus en plus énervée par la perspective de l’approche inexorable des scrutins du 23 décembre prochain, l’opposition radicale semble avoir retrouvé un semblant d’unité dans ce qui apparaît en réalité comme un projet de boycott des prochains scrutins. Et c’était plus que prévisible.
Scotchés sur le partage du pouvoir sans élections
En RD Congo, même le plus optimiste des observateurs s’en rend compte. Si l’opposition politique se prépare à une échéance politique, ce n’est guère aux élections prévues en décembre prochain. « Le retard pris par les opposants pour se lancer dans la préparation est une évidence. C’est à peine si certains de leurs partis politiques entament la mobilisation des militants. Mais pas nécessairement pour les votes à venir », fait remarquer cet analyste de l’Université de Kinshasa. Il n’est pas le seul, parce que les experts de l’OIF qui ont plus d’une fois séjourné en RD Congo ces dernières années, ont eux aussi soulevé la faible participation de la société civile et de l’opposition à l’observation des opérations pré-électorales lancées depuis juillet 2016. Ce qui, du reste, n’a pas empêché nombre de ces leaders politiques radicalisés et scotchés sur le partage du gâteau du pouvoir avant toute élection, d’exprimer d’acerbes critiques contre l’enrôlement record de quelque 45 millions d’électeurs, malgré leurs réticences.
L’expérimentation de la machine à voter, non sans succès auprès de l’électorat sur l’ensemble du territoire national, fait encore, lui aussi, l’objet des récriminations de ces opposants qui, de l’avis général, cachent mal leur incapacité à prendre part aux compétitions électorales de décembre 2018. L’ingénierie d’inspiration rd congolaise et de fabrication sud-coréenne est affublée de tous les noms d’oiseau, comme on dit. Quand bien même son usage prouve qu’il ne s’agit que d’une imprimante des choix d’électeurs qui, du reste, n’exclut pas vérifications et comptages manuels des bulletins de vote. Mais rien y fait. Faisant fi des lois en vigueur qui à la fois stipulent l’indépendance de la CENI (et la placent au-dessus d’injonctions de tous bords) et reconnaissent à la centrale électorale le droit d’introduire des innovations dans le processus électoral (pour autant qu’elles n’énervent pas les lois en vigueur), l’opposition radicale en RD Congo tente d’entrainer le jeu politique vers l’illégal et l’arbitraire pour gagner du temps, manifestement.
16,6 % de sans empreintes digitales n’est pas égal à 16,6 % de fictifs
L’affaire des 16.6 % d’électeurs enrôlés mais dont les empreintes digitales n’apparaissent pas illustre parfaitement cette tendance à un arbitraire dont les radicaux ont l’habitude. Pour la bonne et simple raison que les enrôlés sans empreintes ne sont pas nécessairement des électeurs fictifs, étant donné qu’ils remplissent les 9 autres conditions requises pour avoir le droit de participer aux prochaines scrutins sans énerver les dispositions légales en vigueur Notamment, la fiche d’identification, la photo de l’électeur, la pièce d’identité présentée à l’enrôlement, l’adresse de résidence, les témoignages des voisins selon un nombre fixé par la loi, etc. Et surtout, que sur recommandation de l’OIF, la CENI a promis une enquête sur ce fameux dossier d’enrôlés sans empreintes digitales, en les obligeant à fournir leurs empreintes à un moment ou à un autre du processus, afin d’éviter de retarder de quelque manière que ce soit le calendrier électoral.
Sur cette question également, l’opposition radicale propose des mesures à la fois absurdes et illégales, comme la radiation pure et simple de ces électeurs. Alors qu’elle serait tout simplement illégale en raison du fait que nul n’a le droit de porter atteinte au droit de vote d’un rd congolais. Fût-il un leader de l’opposition politique. Non seulement elle exige une radiation manifestement illégale d’électeurs, mais l’opposition conditionne sa participation aux prochains scrutions au remplacement du président de la CENI par un autre. Une procédure qui, à elle seule, peut durer une année et compromettre totalement les délais électoraux sur lesquels tous les acteurs politiques s’étaient mis d’accord afin de mettre un terme au fameux « glissement » du mandat présidentiel reproché à Joseph Kabila.
Le prétexte lié aux électeurs enrôlés sans empreintes digitales apparaît dans ces conditions comme un piètre faux-fuyant de ceux qui tentent de boycotter les élections. Sur le continent, le phénomène est plutôt récurrent et n’étonne guère.
J.N.