Kigali, la capitale du Rwanda voisin, a abrité le week-end dernier la cérémonie de remise d’un prix de la Fondation Mo Ibrahim 2017 à Ellen Johnson Sirleaf. L’ex-présidente libérienne a été couronnée vendredi 27 avril 2018 pour « avoir permis à son pays de vivre une transition démocratique pacifique ». Mais pas seulement. Lancé en 2007 par l’ancien patron de l’entreprise de communication téléphonique bien connue des rd congolais, Celtel, le prix offert par le milliardaire britannique d’origine soudanaise (500.000 USD, + 200.000 USD/an si le bénéficiaire crée une fondation) encourage les chefs d’Etat ayant exceptionnellement amélioré la sécurité, la santé, l’éducation, en plus du transfert démocratique du pouvoir. Le choix de la capitale rwandaise pour décerner un prix de cette nature a, de ce fait, suscité moult interrogations et railleries. En effet, le chef de l’Etat hôte de la remise du prix Mo Ibrahim 2017, le rwandais Paul Kagame, trône sur le pays dit des mille collines depuis au moins 24 ans, se faisant réélire à deux reprises sans coup férir par plus de 90 % de suffrages exprimés. Il venait par ailleurs de s’offrir une modification constitutionnelle lui permettant de rester au pouvoir quasiment ad vitam aeternam. Insondables, les desseins de Mo Ibrahim ?
Mais, comme l’assure une sagesse multiséculaire, « les voies du Seigneur sont insondables ». Celles de Mohamed Ibrahim, le milliardaire d’origine soudanaise dont la fortune est la 692ème mondiale (1,8 milliards USD) selon un classement Forbes daté de 2011, aussi, sans doute : « c’est peut-être une manière d’inciter d’autres chefs d’Etats du continent à convoiter les centaines de milliers de dollars mis en jeu chaque année », hasarde ce diplomate soudanais en poste à Kinshasa. A Kigali le week-end dernier, se sont également tenues des discussions sur la gouvernance, le rôle de l’Union africaine et surtout, des services publics, le thème retenu cette année. Au terme des débats, une note synthèse destinée à aider les décideurs africains qui le souhaitent, accompagnée d’une cartographie des services publics en Afrique a été établie. Les sources duMaximum dans capitale du pays des mille collines renseignent aussi que le fondateur du prix Mo Ibrahim, a eu des discussions avec Paul Kagame pour le compte de l’Union Africaine, ainsi qu’avec Amina J. Mohammed, vice-secrétaire générale des Nation-Unies et Sanjay Pradhan, le directeur de l’Open Government Partnership.
Indélicatesses diplomatiques
Invité parmi de nombreuses autres personnalités du monde entrepreneurial par les organisateurs, le rd congolais Moïse Katumbi Chapwe a gagné Kigali jeudi 26 avril dans l’après-midi. Le candidat à une improbable candidature à la prochaine présidentielle en RD Congo est même intervenu pendant le séminaire organisé en la circonstance sur le thème relatif aux services publics, exhortant les africains à « vaincre les peurs et à accélérer l’intégration du continent pour stimuler la croissance et la création d’emplois », selon un tweet d’Olivier Kamitatu, l’ancien speaker du parlement congolais devenu porte-parole de l’ex. gouverneur de la défunte province du Katanga. Mais pas seulement. A défaut de pouvoir remettre les pieds dans « son » pays sans se faire harponner par la justice (il traîne comme un boulet un dossier judiciaire relatif à sa nationalité et est attendu aussi par la justice congolaise pour divers délits de droit commun), Moïse Katumbi a profité de son séjour non loin de là pour se faire entendre des Congolais. Dès jeudi dans la soirée, il se signalait auprès des internautes en se déclarant « très heureux d’être arrivé à Kigali Rwanda pour le forum Mo Ibrahim Fondation et la remise du Prix à Ellen Johnson Sirleaf. Elle est un modèle pour l’Afrique pour avoir réussi une alternance pacifique et démocratique. Nous attendons tous cette alternance en RDC le 23 décembre 2018 ! ». A Kigali le week-end dernier, Moïse Katumbi Chapwe a multiplié les déclarations à la presse contre le pouvoir en place à Kinshasa, mettant à l’évident ses hôtes rwandais dans l’embarras. Des confrères en ligne rapportent que des vigiles affectées à l’organisation des manifestations du week-end dernier avaient dû intervenir pour empêcher l’ancien gouverneur de l’ex. Katanga de se donner en spectacle par une conférence de presse. « Apparemment, le candidat à la présidentielle rd congolais ignorait qu’il ne pouvait pas se permettre de mettre à mal le fragile équilibre des relations régionales en s’en prenant plus ouvertement à Kinshasa à partir du territoire voisin du Rwanda », a commenté un diplomate africain à Kigali, un peu surpris par ce qu’il considère comme de la légèreté de la part d’un acteur politique qui aspire aux plus hautes responsabilités étatiques.
Aucune préparation aux élections
Néanmoins, si le séjour et les déclarations de Moïse Katumbi à Kigali confirment ses ambitions politiques, particulièrement sa hantise pour le ‘top job’ en RD Congo, rien n’indique que le patron de « Ensemble pour le changement » compte sur des moyens démocratiques pour y parvenir. Loin de là. A l’issue de son intervention de vendredi dernier à la tribune de la fondation Mo Ibrahim, l’homme s’est laissé aller à une sorte de profession de foi de rationalité douteuse en déclarant que « si j’ai envie de faire quelque chose, j’y vais, Kabila ne peut pas me faire peur ». Mais aussi, que « si Kabila ne permet pas la tenue des élections, comme nous le soupçonnons parce qu’il ment beaucoup, eh bien il y a l’Union et la Communauté de développement de l’Afrique Australe (SADC). Nous nous tournerons vers elles pour qu’elles agissent », rapporte la VOA. Sur des préparatifs réels et concrets du mouvement politique dont il a annoncé à tue-tête la création en Afrique du Sud aux scrutins qui se tiendront dans 7 mois, strictement rien, sinon une nouvelle promesse de retour au pays « au mois de juillet prochain » aussi vague que les nombreuses autres depuis deux ans maintenant. Mais l’homme, on le sait, n’en est pas une promesse de retour près. Les élections sont loin d’être la tasse de thé de M. Katumbi, à l’évidence.
Les analystes notent plutôt une obsession « à prendre le pouvoir coûte que coûte » chez l’ancien gouverneur de l’ex Katanga, qui lui fait multiplier des appels du pied et des arrangements envers et avec ceux qui dans le continent ou ailleurs, prétendent décider de l’avenir de la RDC. Le séjour à Kigali, qui est loin d’être le saint des saints des pratiques démocratiques sur le continent, mais surtout la participation à la messe noire de la fondation Mo Ibrahim en l’honneur d’Ellen Sirleaf Johnson en sont une preuve supplémentaire. Certes, l’ex présidente libérienne a permis une passation démocratique du pouvoir dans son pays, mais la fondation qui l’honore ne dit rien sur son mode d’accession au pouvoir, qui laisse à désirer pour tout observateur soucieux de l’indépendance de l’Afrique. Sauf pour Moïse Katumbi Chapwe. Une enquête de nos confrères de Jeune Afrique (JA) portant sur les réseaux Soros en Afrique révèle que cette dame, ex. chef de l’Etat Libérien, vainqueur du célèbre football Georges Weah en 2006, ne fut rien d’autre qu’un pur produit de la nébuleuse du milliardaire américano-hongrois George Soros. Ellen Johnson Sirleaf est en effet la première responsable d’OSIWA, la branche ouest-africaine de l’OSF de Soros. La West Africa Democracy Radio (WADR) qu’elle crée en 2005 est financée par OSIWA. Ellen Johnson Sirleaf n’est d’ailleurs pas le seul produit des bien-pensantes organisations internationales (occidentales) propulsées au sommet des Etats du continent, puisque des liens entre l’Ivoirien Alassane Dramane Ouattara avec le milliardaire juif américain d’origine hongroise sont également révélés par nos confrères. Ce n’est pas non plus le fait d’un hasard si la Côte d’Ivoire et son Chef de l’Etat occupent une place de choix dans les classements Mo Ibrahim depuis l’accession de ce dernier au pouvoir dans les conditions « démocraticides » que l’on sait.
Démocratie de l’alternance, pas du souverain primaire
Si la Fondation Mo Ibrahim se préoccupe de l’une des pratiques démocratiques avérées qui consiste en la passation cyclique pacifique du pouvoir, rien n’indique qu’elle épuise le fond du problème posé par la démocratisation en Afrique. Particulièrement, celui qui consiste à s’assurer que les élus du continent sont issus effectivement de la volonté des peuples et servent bien les intérêts Nationaux et donc de leurs électeurs. « On peut changer de chef d’Etats tous les cinq ans pour tout en préservant l’exploitation des richesses par des puissances étrangères et en insistant sur la bonne gestion des maigres ressources rétrocédées comme par charité », persiflent les détracteurs de ces multiples fondations et ONG qui pullulent au chevet des Etats du continent pour exiger « l’alternance » sans rien apporter de définitif aux défis du développement. Paul Kagame, l’hôte de la dernière pantalonnade de Mo Ibrahim, constitue du reste la preuve vivante qu’on peut durer très longtemps au pouvoir et gérer le pays pour le bien du peuple…
A cet égard, les prix Mo Ibrahim, qui placent l’alternance parmi les indices sur la bonne gouvernance et le développement économique des pays du continent, ne diffèrent guère de nombreux palmarès plus ou moins intéressés et manipulateurs dont se servent les puissances financières occidentales pour mieux asservir le continent. Les observateurs notent ainsi que pour la première partie des années 2010, les pays africains les mieux cotés en matière de bonne gouvernance sont sans conteste l’Ile Maurice, le Botswana et le Cap-Vert. Mais aussi, que les crises et remous socio-politiques dans certains pays du continent sont intervenus juste après que la publication d’indices à la baisse de l’index Mo Ibrahim. « Ainsi, les indicateurs de l’Egypte et de la Lybie ont baissé avant le printemps arabe de 2011, et ceux du Mali ont également fléchi avant le coup d’Etat de 2012. De même, pour le Burundi, les indicateurs ont chuté avant la crise politique de 2015 », relèvent nos confrères du Monde Afrique (édition du 5 octobre 2016) qui se demandent si ces indicateurs sont prédictifs. Comme s’ils pouvaient être autres que prédictifs et valoir la réputation qui leur est accolée : les prix Mo Ibrahim, ce sont d’abord des indicatifs de bonne ou de mauvaise gouvernance sanctionnés par des prix de bonne gouvernance, la boucle est bouclée.
Prophéties anticipatrices
On peut sensément douter de l’africanité des palmes du milliardaire britannique d’origine soudanaise qui semble en l’espèce sacrifier sur l’autel de ce que les anglais appellent du self fulfilling prophecy (des prophéties qui sont créatrices de comportements qui précipitent leur occurrence) et dont le professeur Kayemba Ntamba de l’Université de Kinshasa a fait la pierre angulaire de son enseignement. Mais de cela, Moïse Katumbi est loin de se préoccuper. A Kigali, c’est à la porte des fabricants de chefs pour Etats du continent noir que le candidat à l’improbable candidature à la prochaine élection présidentielle rd congolaise du 23 décembre prochain est allé frapper.
J.N.