L’accalmie dans les tueries des civils innocents en Ituri où aucune mort n’a été enregistrée depuis une dizaine de jours semble gêner les apprentis-sorciers qui font feu de tout bois pour semer le chaos en RDC en cette période pré-électorale. Ils sont revenus à la charge mercredi 29 mars 2018 dans la province voisine du Nord Kivu. A Beni et ses environs particulièrement où 25 civils ont été massacrés à l’arme blanche non loin d’une position tenue par les Forces Armées de la République Démocratique du Congo (FARDC). Le forfait intervenu malgré l’intensification d’opérations de traque des rebelles ougandais ADF responsables d’une impressionnante série de tueries dans la région a provoqué l’agacement des populations locales qui ont bruyamment réagi en manifestant contre cette sorte d’acharnement du sort sur eux. Et donc un peu contre tout le monde à la fois : les rebelles ADF, les forces nationales de défense, la Monusco et les complicités locales révélées à travers les procès instruits par la cour militaire opérationnelle, etc. A défaut de victoires militaires à proprement parler, l’insécurité entretenue par les forces négatives qui sévissent dans la partie est de la RD Congo paraissent donc en mesure de provoquer des remous sociaux dont les effets seraient les mêmes qu’une défaite militaire : la perte du contrôle d’immenses parties du territoire national par le gouvernement central et ses démembrements provinciaux et locaux.
Escalades meurtrières à répétition
L’impressionnante escalade meurtrière de mercredi dernier en territoire de Beni apparaît aux yeux de la plupart des observateurs de l’évolution de la situation politique rd congolaise comme une réponse du tic au tac aux indéniables progrès enregistrés sur la voie de l’organisation des scrutins du 23 décembre prochain. Outre l’annonce par Kinshasa de sa capacité à prendre entièrement en charge la totalité du financement de ces scrutins qui semble en avoir surpris plus d’un à l’interne et surtout à l’international où on se complaisait à présenter la RDC comme un Etat « failli », incapable d’entreprendre seul quoi que ce soit, un important obstacle calendaire a été franchi lundi 27 mars 2018. Conformément aux exigences de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI), le vice-premier ministre et ministre de l’Intérieur et Sécurité, Henri Mova Sakanyi, a effectivement déposé la liste des 599 partis et regroupements politiques remplissant les conditions de participer aux compétitions électorales de décembre prochain. La prestation du gouvernement a astucieusement contourné le piège du défaut d’inclusivité brandi à tout propos par ceux qui ne veulent pas des élections tout en faisant semblant de les revendiquer à tue-tête. En alignant tout ce que le pays compte de partis politiques, laissant aux contestataires éventuels (en ce compris la CENI) le soin d’en découdre devant les instances judiciaires compétentes. Rien du point de vue organisationnel ne semble donc plus pouvoir arrêter la machine électorale du troisième cycle (2016) qui, bien qu’en retard, vient ainsi d’entamer sa vitesse de croisière.
Ecueil sécuritaire en forme d’épée de Damoclès
Ne reste plus que le sérieux écueil sécuritaire suspendu comme une énorme épée de Damoclès sur le laborieux processus de démocratisation dans lequel s’inscrit l’organisation des élections démocratiques en RD Congo. Même s’il paraît absurde à plus d’un égard, parce qu’il n’y a pas beaucoup de sens à vouloir perturber un processus qui vise à permettre aux populations rd congolaises, belligérantes ou non, de se choisir leurs dirigeants par des voies démocratiques avérées, et ainsi régler la question de la légitimité de leurs dirigeants présentée, à tort ou à raison, comme la cause de toutes les crises. Les perturbations sécuritaires sans justification politique pertinente accréditent l’idée d’un complot réel dont la RD Congo n’a jamais échappé depuis son accession à l’indépendance en 1960. « Les pêcheurs en eaux troubles devraient se faire une raison : les Congolais se sont prononcés sans ambages en faveur d’une résolution pacifique des conflits qui minent le pays en choisissant la voie des élections et en s’enrôlant massivement. Il n’y a pas plus grand désaveu de la force des armes que cela », explique ce professeur émérite des sciences politiques de l’Université de Kinshasa. Le scientifique faisait sans doute allusion aux impressionnantes statistiques d’inscription sur les listes électorales qui font état de plus de 45 millions d’électeurs qui ont pris leur inscription dans les registres de la centrale électorale. « On ne prend pas les armes sa carte électorale en poche », ponctue-t-il avec conviction. Il ne reste donc plus, dans l’analyse des raisons de ces tueries à répétition qui endeuillent l’Est rd congolais, qu’à se tourner vers ceux à qui le crime profite, selon le vieux mais toujours pertinent principe de la criminologie et de la sagesse des nations.
A qui profitent les crimes ?
La réponse est simple : les crimes de l’Est rd congolais profitent à ceux qui craignent de ne pas tirer profit des élections. Ce qui ressemble ainsi à une lapalissade n’en est pas une en réalité. La première retombée des élections consiste en la légitimation et la délégation des pouvoirs par les populations pour la défense des Intérêts Nationaux, leurs intérêts. Les premiers ennemis de la démocratisation et des processus électoraux (pour autant qu’elles ne soient pas truquées en faveur de factotums stipendiés) sont certaines puissances étrangères impérialistes, essentiellement occidentales qui ont fait des Etats africains leurs greniers en ressources naturelles de tous genres dont elles ont pris l’habitude de s’accaparer presque sans contrepartie. Les seconds ennemis du processus électoral, dans le cas de la RD Congo, sont les potentiels perdants aux scrutins programmés pour décembre 2018 : des acteurs politiques véreux qui, depuis plusieurs années, ne font pas mystère de leur préférence pour des raccourcis comme les « dialogues » ou les putschs pour accéder au pouvoir d’Etat. A neuf mois des échéances, ils sont irrémédiablement pris de court et donnent l’impression de ne pas avoir d’autres issues que de perturber le processus ou simplement de faire des pieds et des mains pour profiter de ses perturbations.
La partition de Monsengwo à l’ouest
A Kinshasa et dans certaines agglomérations de l’intérieur du pays, les 4 derniers mois ont été marqués par de véritables tentatives d’insurrections généralisées pour des motifs aussi fallacieux les unes que les autres. Sous la houlette du cardinal Laurent Monsengwo, l’archevêque très politicien de Kinshasa, déjà connu pour avoir dirigé la Conférence Nationale Souveraine sous le Zaïre de Mobutu Sese Seko, des marches dites chrétiennes partant de nulle part vers nulle part ont été organisées à maintes reprises. Et ce, après que le prélat dont l’âge de la retraite épiscopale est dépassée depuis 3 ans eût appelé ses « chrétiens et hommes de bonne volonté » à « dégager les médiocres » au pouvoir et pris la tête d’une frange radicalisée de l’opposition. Le Comité Laïc de Coordination (CLC), une organisation pirate, inconnue des structures de l’église catholique rd congolaise mais proche de l’archevêque kinois qui s’est chargée des appels à battre le pave a récemment annoncé la suspension « provisoire » des marches dites des chrétiens. Un chantage éhonté pour appeler à un énième round de négociations politiques. Après que le secrétaire général de l’UDPS/Limete, un des partis politiques les plus extrémistes de l’opposition, eut révélé que les manifestants chrétiens du CLC de Monsengwo n’étaient en réalité que des « combattants » de son parti politique auxquels le bouillant cardinal avait décidé de prêter les lieux de culte pour leurs activités.
Haro contre la Chine
Selon des analystes avertis de la géopolitique mondiale, les perturbations enregistrées dans la partie Ouest et à l’Est de la RD Congo s’inscrivent dans le vaste contexte de l’offensive économique à laquelle des milieux mercantilistes occidentaux se livrent dans les pays producteurs de ressources stratégiques en Afrique. Notamment contre la Chine qui, de toute évidence semble avoir pris plus qu’une longueur d’avance. A défaut de pouvoir rattraper l’empire du milieu sur le terrain normal de la compétition commerciale, des stratégies sont montées de toutes pièces en Occident pour compromettre les approvisionnements chinois sur le continent. Notamment, en déstabilisant profondément quelques-uns des Etats où se concentrent les intérêts de Pékin par ce qu’on appelle une guerre hybride. Celle-ci consiste à provoquer, voire télécommander des affrontements ou des rébellions internes, des guerres interethniques, coups d’Etats ou putsch, etc. l’objectif étant d’empêcher les Chinois de tirer profit de leurs énormes investissements. Or, on sait qu’une bonne partie de ceux-ci se concentrent depuis ces dernières années en République Démocratique du Congo.
La deuxième « guerre mondiale » africaine ?
Dans ce pays, une précédente conflagration baptisée « première guerre mondiale africaine » a causé la mort de quelque cinq millions de morts directes et indirectes, selon les chiffres des Nations-Unies. Aujourd’hui, les chercheurs l’ont requalifiée et la désignent comme la guerre du coltan, un minerai (la colombo-tantalite) qui intervient dans la fabrication des téléphones portables. Et estiment qu’une nouvelle guerre, celle du cobalt guette le pays de Lumumba, qui a dans son sous-sol les réserves les réserves les plus importantes de cette ressource minière incontournable pour la nouvelle génération des automobiles. Ce n’est donc pas par hasard qu’y germent depuis peu des embryons d’une nouvelle guerre hybride, dans les territoires de l’Est principalement, mais avec des extensions possibles dans l’ancienne province du Katanga où des affrontements interethniques entre populations twa (pygmées) et bantous semblent entretenus. Les scénarios envisagés consistent non seulement à perturber la production et les approvisionnements en cobalt par une insécurité généralisée qui pourrait aller jusqu’à la déclaration de sécessions mais aussi en mettre en échec les investissements chinois visant la construction de corridors d’évacuation des minerais, l’équivalent des mémorables routes de la soie (Chine) ou du coton (Inde). « La Chine travaille dur pour construire deux routes commerciales transocéaniques reliant les côtes indiennes et atlantiques du continent », révèle Andrew Korybko (Guerre hybride, 8) (voir encadré).
Les massacres perpétrés contre les populations civiles à l’Est de la RD Congo sont donc une forme de guerre contre à la fois une guerre contre l’instauration d’un nouveau pouvoir issu des urnes et contre les intérêts chinois en RD Congo. Les conclusions de l’article d’A. Korybko sont sans équivoque à cet égard : « du point de vue occidental, bien que la Chine soit fortement impliquée au Katanga, une éclosion de violence à grande échelle semblable à ce qui s’est passé en Libye en 2011 pourrait conduire à une évacuation massive des citoyens chinois et à l’abandon des investissements, en supposant que la Chine n’essaie pas de défendre ses intérêts cette fois-ci », écrit-il. Encore que le scénario d’un embrasement généralisé avec l’aggravation des affrontements armés dans les provinces du Kivu et de l’Ituri en même temps que dans l’ex. Katanga ne soit pas exclure, estiment encore les analystes.
La guerre hybride, qu’elle soit religieuse, interethnique ou sécessionniste, ne fera jamais l’affaire des rd congolais.
J.N.
ENCADRE1