La Chine a sécurisé l’une des transactions commerciales les plus importantes du siècle à ce jour. Ce sont les 2,65 milliards de dollars qu’elle a payés fin mai pour la mine Tenke, dans la partie sud-est de la République démocratique du Congo (RDC, ci-après simplement le Congo). Le Financial Times a publié un rapport d’information sur l’importance de cet accord, qui, selon lui, fera de la Chine le leader mondial de la technologie des batteries électriques, à l’avenir, grâce à son contrôle de 62% du marché mondial du cobalt dont il est attendu un accroissement de la demande des deux tiers dans les dix prochaines années. Stratégiquement parlant, cela place la Chine à l’avant-garde du mouvement mondial vers les véhicules électriques, donnant ainsi au leader multipolaire encore un autre pas d’avance sur le monde unipolaire en obtenant un contrôle influent sur l’avenir des systèmes de transport personnels, commerciaux et militaires.
Le problème, bien sûr, est que la Chine reçoit 93% (ou selon Bloomberg, 99%) de son cobalt du Congo, ce qui signifie que ses perspectives d’avenir en tant que leader mondial dans le domaine des batteries électriques dépend entièrement de la stabilité de ce pays fragile, que les États-Unis ont commencé à miner depuis son indépendance en 1960. Scène de la « Guerre mondiale de l’Afrique » dans les années 1990 et cimetière d’environ 5 millions de personnes, en conséquence, le Congo est une fois de plus poussé dangereusement vers le précipice du désastre en raison de l’intrigue internationale qui l’entoure. Ce n’est pas seulement une spéculation sauvage. Les États-Unis et leurs médias unipolaires affiliés aux ordres ont été occupés à pré-conditionner le monde à la perspective d’un désastre en RDC si le président en exercice, Kabila, ne démissionnait pas à la fin de son deuxième mandat, constitutionnellement en cours, à la fin de l’année et s’il retardait indéfiniment le vote à venir et / ou modifiait la Constitution une nouvelle fois.
Il ne fait aucun doute que le Congo est aux prises avec la Nouvelle Guerre froide des États-Unis et que le pays devrait se préparer à ce qui pourrait très bien se révéler être une autre période prolongée de conflit catastrophique. Ce qui se passe actuellement dans cet État d’Afrique centrale et ce qui pourrait bientôt y transpirer, nécessite d’être replacé dans le contexte global approprié. En conséquence, la recherche commence en expliquant la centralité du Congo dans la grande stratégie africaine de la Chine. Une fois que la signification du pays aura été pleinement établie et que le lecteur sera plus conscient des raisons pour lesquelles les États-Unis veulent le jeter dans le chaos, je décrirai la guerre indirecte qui a germé autour du Congo l’année dernière. Enfin, considérant que les plans indirects évoqués ont échoué lamentablement, la dernière partie de l’article traitera de la façon dont Washington essaie de frapper directement Kinshasa en fabriquant plusieurs scénarios de guerre hybride dans le cœur géostratégique (Heartland) de l’Afrique.
Les grandes ambitions de Pékin en Afrique
Le Congo est de retour dans les médias du monde non pas en raison de sa transition de leadership attendue (ou de son absence), mais en raison de son importance pour la Chine dans le contexte de la Nouvelle Guerre froide. La plupart des gens sont conscients que la Chine poursuit sa vision One Belt One Road et construit des « nouvelles routes de la soie », ou corridors d’infrastructure, partout dans le monde, mais pratiquement personne n’a étudié de façon exhaustive comment cela devrait se rapporter à l’Afrique. L’auteur a entrepris une telle mission dans un article précédent pour Oriental Review sur la façon dont Les Problèmes de l’Afrique de l’Est pourraient briser les rêves de Route de la Soie de la Chine. De manière plus pertinente, il a révélé que la Chine travaille dur pour construire deux routes commerciales transocéaniques reliant les côtes indiennes et atlantiques du continent. Bien que cette intention n’a pas encore été officiellement déclarée, il est clair que c’est ce que fait Pékin, en substance, même si les deux projets ne sont pas encore achevés.
Route transocéanique nord-africaine (NTAR)
La route du Nord devrait être intermodale et intégrer l’infrastructure ferroviaire et fluviale, reliant le port de Mombasa à l’océan Indien au Kenya avec ses homologues atlantiques à Matadi, en République démocratique du Congo, et Pointe-Noire, en République du Congo. Le chemin de fer à voie standard (SGR) a actuellement des plans pour aller de Mombasa à la capitale ougandaise de Kampala, mais il pourrait bientôt être étendu à la ville de Kisangani, au nord-est du Congo, sur les rives du fleuve Congo. De là, le fleuve le plus profond du monde est navigable jusqu’à la capitale de la RDC, Kinshasa, et la capitale jumelle de la République du Congo, Brazzaville. En partant de Kinshasa, il n’y a qu’un court trajet ferroviaire vers le port Atlantique sous-développé de Matadi, tandis que le trajet en train de Brazzaville à Pointe-Noire est un peu plus long, mais se termine dans un port de haute mer plus développé.
Barrage d’Inga 3
La route du nord a une signification supplémentaire en raison de sa proximité avec le futur barrage d’Inga 3 construit par les Chinois, que le Guardian estime qu’il sera le plus grand au monde une fois construit. Pour citer la source britannique, ce méga-projet serait en mesure de fournir 40% des besoins en électricité de l’Afrique en raison de son potentiel à générer autant de puissance que vingt réacteurs nucléaires. Bien que sa construction n’a pas encore commencé, elle pourrait commencer dès la fin de cette année et il est attendu que ce barrage colossal pourrait un jour permettre à la Chine et à son hôte congolais d’exercer une influence multipolaire sur la plus grande partie de l’Afrique centrale et Atlantique. Il ne devrait donc pas être surprenant que l’article indique également que ce projet est sous la lourde opposition des ONG occidentales, probablement en raison de son éventuel impact environnemental et du fait que plus de 35 000 personnes pourraient être déplacées à cause de cela. Si les États-Unis ne réussissent pas à forcer Kabila à démissionner à la fin de son mandat pour permettre ainsi à un remplaçant pro-occidental d’exercer un contrôle unipolaire par procuration sur ce projet à impact régional, le plan de repli est de pré-conditionner les masses à accepter que « les villageois mécontents et / ou les rebelles » puissent l’attaquer au milieu d’un prochain scénario de guerre hybride.
Route sud-africaine trans-océanique (STAR)
En ce qui concerne la route du sud, le chemin de fer TAZARA construit par la Chine depuis les années 1970 relie déjà la côte tanzanienne près de la plus grande ville du pays, Dar es-Salaam, aux régions riches en cuivre du centre de la Zambie. À partir de là, d’autres infrastructures ferroviaires ont été construites indépendamment à travers la région congolaise du sud-est du Katanga, riche en minerais, aujourd’hui divisée en plusieurs petits États, mais conservant toujours le sens profond de son identité unifiée distincte. Les chemins de fer du Katanga étaient liés au chemin de fer angolais de Benguela, mais ils étaient tombés en ruine au fil des ans et n’avaient pas pu être mis en service et connectés à leur voisin occidental. En outre, le chemin de fer de Benguela avait été déconnecté pendant des décennies lorsque la guerre civile sanglante en Angola a éclaté dans les années 1970 et c’est seulement grâce à l’aide récente des Chinois qu’il a été modernisé et remis en service. Il ne s’agira pas seulement des chemins de fer du Katanga qui vont relier Benguela et désormais l’Atlantique, puisque la Chine envisage également d’étendre TAZARA du centre de la Zambie à la jonction angolo-congolaise via le projet du chemin de fer du Nord-Ouest.
Comme on peut le constater clairement, sept pays africains distincts sont directement liés à ces deux projets, et trois autres sont étroitement liés en termes de paradigme géostratégique régional (Rwanda, Burundi et Malawi) et leur stabilité affecte directement la viabilité de ces routes. Ce sont ces trois États et la République du Congo qui constituent la base de la section suivante pour décrire comment les États-Unis ont essayé de poursuivre une guerre indirecte contre les routes transocéaniques africaines avant de recourir au gambit de la déstabilisation directe du Congo.
Guerre indirecte
La proposition de l’auteur avec La loi de la guerre hybride enseigne que « le grand objectif derrière chaque guerre hybride est de perturber les projets transnationaux multipolaires connectés à travers des conflits d’identité provoqués de l’extérieur (ethnique, religieux, régional, politique, etc.) ». Mais parfois, les États-Unis sont prêts à accepter l’existence d’un tel projet tant qu’ils peuvent l’influencer et / ou le contrôler. Les Routes africaines transocéaniques du Nord et du Sud, tout en étant une très bonne affaire pour Pékin, pourraient aussi être utilisées par l’Inde et d’autres pays qui choisiraient de s’en servir pour approfondir leur influence sur cette partie du monde. Dans cette optique, les États-Unis voient en effet un grand avantage stratégique à faire payer à la Chine ces projets ambitieux afin que ce rival paie pour des réseaux de transport que les États-Unis et leurs alliés utiliseront inévitablement jusqu’à un certain point.
Déstabiliser avec discrétion
Quoi qu’il en soit, cependant, les États-Unis sont également conscients que la Chine pourrait finir par être la bénéficiaire ultime en venant à contrôler ces mêmes itinéraires commerciaux dont les alliés unipolaires de l’Amérique pourraient éventuellement devenir dépendants. Par conséquent, les États-Unis s’intéressent indirectement à « mettre des freins » aux plans de la Chine, c’est-à-dire à perturber ces deux projets dans la mesure où ils ne sont que partiellement réalisés ou utilisés (et donc aussi accessibles aux alliés de Washington) et pas pleinement achevés à un niveau transcontinental pour permettre à la Chine d’acquérir une influence dominante sur le Heartland africain et ainsi être en mesure d’exercer une multipolarité dans tout le reste du continent. C’est pourquoi les États-Unis ont privilégié la déstabilisation de points « périphériques » sur ces deux fronts, comme le Rwanda, le Burundi, le Malawi et la République du Congo au lieu de les perturber directement dans leurs origines côtières du Kenya et de la Tanzanie (bien que ce soit possible à l’avenir si les États-Unis en voient la nécessité). En outre, ces deux derniers pays sont également très proches de l’Inde, allié des États-Unis, qui est le deuxième partenaire d’importation du Kenya et le principal importateur et exportateur de la Tanzanie. Cela perturberait aussi la Nouvelle Route du Coton de New Delhi, contre-stratégie à la Route de la Soie chinoise, si cela tournait au chaos (même si les événements récents au Kenya suggèrent que les États-Unis pourraient être prêts à prendre ce risque).
Burundi, Rwanda et Malawi
Quoi qu’il en soit, en examinant les quatre pays « périphériques » mentionnés dans le paragraphe ci-dessus, il semble que leurs récentes déstabilisations soient toutes liées à l’objectif des États-Unis d’arrêter l’expansion des deux routes transocéaniques africaines. L’agitation occidentale au Burundi, dont l’auteur a parlé dans son précédent article intitulé « L’UE au Burundi : le changement de régime contre l’aide antiterroriste », a été partiellement conditionnée pour déclencher une conflagration régionale qui fatalement aspirerait le Rwanda et conduirait à des « armes de migration massive » qui se répandraient dans toute la région en Ouganda et en Tanzanie. Et on ne parle pas du fait que cette situation aggraverait les conflits de basse intensité déjà existants au Congo, dans les provinces de l’Ituri et du Nord et du Sud-Kivu. L’effet pratique de cette déstabilisation dans les Grands Lacs consisterait à contenir les routes transocéaniques africaines dans la Communauté de l’Afrique de l’Est et à prévenir leur liaison avec l’Atlantique. Le Malawi figure dans l’équation en ayant été la cible d’un coup d’État planifié organisé par les États-Unis et l’Allemagne et qui n’a été évité qu’à la toute dernière minute après quelques arrestations hautement médiatisées et de manière prévisible condamnées par l’Occident. Le plan était d’utiliser le gouvernement issu du coup d’État comme instrument pour fomenter des tensions régionales et provoquer une guerre civile entre le nord et le sud du pays, qui aurait également déclenché des « armes de migration de masse » en Tanzanie qui potentiellement combinées avec celles du Burundi auraient pu rendre le projet TAZARA non viable.
La République du Congo
En ce qui concerne la République du Congo, les États-Unis ont voulu perturber le second point d’accès ou terminus de la Route transocéanique Nord (NTAR) en désactivant le chemin de fer Congo-Océan entre Brazzaville et Pointe-Noire. L’analyste Gearoid O’Colmain a fait un excellent travail de sensibilisation sur la révolution de couleur naissante que les États-Unis ont essayé de favoriser sans succès, et il est recommandé au lecteur de se référer à son article sur la question pour plus de détails. Mais, en bref, le bouledogue néo-colonial français voulait utiliser l’événement pour déclencher un retour à la guerre civile de ce pays comme dans les années 1990. Ce fut finalement abandonné par le gouvernement, mais avant cela, les médias unipolaires passèrent des mois à présenter la République du Congo comme le dernier foyer de conflit en Afrique. L’objectif stratégique n’était pas seulement de remplacer le président Nguesso par une marionnette occidentale plus souple, mais de renverser l’influence chinoise dans le pays et de rendre impossible l’utilisation de son territoire par Pékin comme alternative complémentaire au chemin de fer Kinshasa-Matadi pour actualiser la Route transocéanique africaine Nord (NTAR). Si elle avait réussi, cela aurait rendu la Chine totalement dépendante de Kinshasa, capitale des tentatives de révolution de couleur, réduisant ainsi considérablement sa flexibilité stratégique dans la gestion de cette partie du projet transcontinental qu’elle a menée de facto.
Évaluation des complots
En examinant les événements survenus au cours de l’année écoulée, il semble convaincant que les États-Unis ont essayé mais n’ont pas réussi à saboter indirectement les deux routes transocéaniques africaines par leurs tentatives de déclenchement de conflits au Burundi, au Malawi et en République du Congo. Les résidents de Bujumbura ont réussi à résister aux tentations des États-Unis et à éviter un retour à une guerre civile génocidaire, réduisant ainsi les perspectives d’une invasion conventionnelle ou dissimulée par le Rwanda et l’explosion d’une nouvelle crise d’immigrants dans toute la région des Grands Lacs africains. Concernant le Malawi, les autorités ont eu vent du coup d’État et l’ont exposé avant qu’il ne puisse se faire, ce qui a eu pour effet de contrecarrer toute la déstabilisation et de faire revenir ses architectes à la planche à dessin. Enfin, en ce qui concerne la République du Congo, le gouvernement a finalement réussi à écraser le mouvement de Révolution de couleurs et empêcher le retour de la guerre hybride dans son pays, avec pour résultat que le deuxième terminus / point d’accès de la Route transocéanique africaine du Nord reste ouvert et donne par conséquence à la Chine une alternative à Kinshasa qui sera nécessaire en cas de besoin.
La troisième crise du Congo
À la lumière des échecs des États-Unis à « contenir »indirectement les Routes transocéaniques africaines, il semble maintenant que Washington a décidé d’intensifier ses agressions et de procéder à la déstabilisation du cœur géopolitique de l’Afrique, le Congo. Outre le sabotage des deux projets transcontinentaux de Pékin, le renouvellement à grande échelle des conflits au Congo pourrait facilement compromettre le commerce de cobalt de la Chine avec le pays et bloquer par la suite les plans de Pékin pour devenir le leader dans le domaine des batteries électriques et en récolter tous les avantages stratégiques. Le déclencheur d’une nouvelle vague de violence dans cet État d’Afrique centrale est le désir présumé du président Kabila de continuer à régner sur son pays après l’expiration constitutionnelle de son mandat à la fin de l’année. En un sens, cela ressemble beaucoup à ce qui s’est passé avec le président Nkurunziza du Burundi, faisant ainsi du Congo un exemple structurellement plus large du scénario burundais et évoquant la question de savoir si la déstabilisation du pays d’Afrique de l’Est constituait un test pour ce qui était déjà prévu pour le Congo.
Historiquement parlant, cet État d’Afrique centrale a déjà été le théâtre de deux crises de niveau mondial, la première crise du Congo de 1960 à 1965 et la deuxième crise du Congo de 1996 à 2003 (parfois considérées comme deux événements distincts). Ce n’étaient pas seulement des crises, elles étaient en fait aussi une combinaison hybride de guerres civiles et internationales, ce qui en a fait la quintessence militaire tactique de la guerre hybride. Avec le Congo à la veille d’une nouvelle crise qui pourrait précipiter ce pays vers une nouvelle guerre civile et internationale, il convient de parler de la Troisième crise du Congo à laquelle les États-Unis travaillent pour « contenir la Chine » grâce à un « chaos contrôlé ». Comme ces stratégies ont une bonne réputation, il est fort probable que les trois scénarios de « chaos contrôlé » qui suivent, peuvent évoluer dans des directions imprévisibles et déclencher encore plus de déstabilisation que ce qu’on peut prédire à ce jour. Mais il est cependant prévu qu’ils collent globalement à la progression graduelle indiquée ci-dessous si les États-Unis donnent effectivement le feu vert pour que l’opération commence.
Révolution de couleur à Kinshasa
Partant de l’hypothèse que les États-Unis vont en fait frapper le Congo avec une guerre hybride si Kabila tente de retarder les prochaines élections ou de modifier la Constitution, la troisième crise du Congo commencerait « naturellement » par une révolution de couleur, en commençant par des provocations urbaines qui auraient lieu à Kinshasa et à Goma. L’objectif est d’installer un chef de file pro-occidental au pouvoir qui permettrait ainsi aux États-Unis de contrôler indirectement le commerce de cobalt de la Chine et d’exercer une influence sur la route transocéanique africaine. L’homme envisagé pour remplir ce rôle au nom de Washington est l’ancien gouverneur du Katanga et homme d’affaires millionnaire, Moise Katumbi, le visage public de l’opposition de la révolution de couleur. Il a été accusé le mois dernier d’avoir embauché des mercenaires (y compris des « anciens » soldats américains, selon l’affidavit) et a depuis fui en Afrique du Sud et plus récemment à Londres pour « traitement médical », où il tentera probablement de consolider encore plus de soutiens étrangers pour soutenir sa candidature sous les auspices qu’il serait un « leader démocratique » « politiquement harcelé »par une « dictature » – les parfaits mots à la mode pour garantir un soutien occidental fort et produire une campagne d’information mondiale unipolaire axée sur ses ambitions politiques. À l’étranger, on peut supposer qu’il sera en contact étroit avec les agences de renseignement occidentales et les services secrets de leurs « partenaires » africains alliés pour gérer la révolution de couleur et formuler le moyen le plus efficace de faire tomber le gouvernement du président Kabila.
Couper le Katanga du Congo
Si la révolution de couleur congolaise est finalement considérée comme un échec, tout comme celle au Burundi, il est très possible que le « Plan B » soit de raviver les revendications sécessionnistes historiques du Katanga et que Katumbi retourne dans la région pour diriger l’insurrection aux côtés de son armée de mercenaires étrangers. Il s’agit essentiellement d’un modèle identique à celui qui a déclenché la première crise congolaise dans les semaines qui ont suivi l’indépendance du pays en 1960, de sorte que le lecteur est pardonné s’il détecte du déjà vu en lisant ceci. Ce qui différencie cette étape future, prédictible par rapport à celle qui l’a précédée il y a près de 60 ans, c’est qu’un grand pays non occidental, la Chine, a maintenant des investissements miniers très importants dans les quatre provinces du sud-est qui composaient cette région autrefois unifiée. Cela signifie qu’un Katanga indépendant n’entraverait pas nécessairement le commerce de cobalt de la Chine ou l’une ou l’autre des deux Routes transocéaniques du Sud, à moins que Katumbi ne prenne délibérément des mesures pour les bloquer. Mais il est aisé de croire que la période de guerre qui précéderait cette éventualité pourrait sérieusement perturber tous les échanges à destination et en provenance de la province.
Du point de vue occidental, bien que la Chine soit fortement impliquée au Katanga, une éclosion de violence à grande échelle semblable à ce qui s’est passé en Libye en 2011 pourrait conduire à une évacuation massive des citoyens chinois et à l’abandon des investissements, en supposant que la Chine n’essaie pas de défendre ses intérêts cette fois-ci. Si Pékin tentait malgré tout de le faire conformément à sa politique africaine nouvellement promulguée, cela pourrait probablement prendre la forme de « menées dans l’ombre » pour aider les forces armées congolaises et éventuellement leurs alliés régionaux si le conflit prenait officiellement une dimension internationale. Cela pourrait se faire par le biais de matériel, d’intelligence et de soutien consultatif avec l’engagement de militaires chinois directement contre les séparatistes. La Chine devrait être parfaitement consciente que si Katumbi réussit une campagne sécessionniste à venir pour établir un Katanga « indépendant », les entreprises chinoises seraient finalement débarquées et remplacées par leurs homologues occidentales sous toutes sortes de prétextes qui pourraient être fabriqués, comme par exemple le fait que Pékin aurait soutenu les « ennemis » de Katumbi à Kinshasa pendant la guerre, ou simplement par un régime d’expropriation étatique. Un renouveau de la campagne séparatiste du Katanga serait régionalement aussi déstabilisante pour cette partie de l’Afrique que les aspirations territoriales révisionnistes de Daech l’ont été au Moyen-Orient, conduisant potentiellement à un conflit militaire impliquant de nombreuses factions et ouvrant la voie à une « seconde Guerre mondiale africaine ».
Grands Lacs, conflits majeurs
Après le début d’un second conflit sécessionniste katangais ou peut-être même son indépendance, la partie orientale du Congo pourrait voir apparaitre les violences d’une guerre hybride à la suite de l’échec d’une révolution de couleur de Katumbi à Kinshasa. Cette partie du pays a été historiquement la plus instable et elle est responsable de la deuxième crise du Congo (essentiellement une série de guerres civiles et internationales). Les situations non résolues dans l’Ituri et dans les provinces du Nord et du Sud-Kivu sont perpétuellement au bord de l’explosion une fois de plus en raison de la présence de dizaines de milices rwandaises et ougandaises, à la fois pro-gouvernementales et rebelles, y compris les « forces alliées démocratiques »islamistes. En outre, les 24 000 milliards de dollars de minerais inexploités dans la région des Grands Lacs de l’Est ont été pris en otage par ces groupes et par des éléments corrompus du gouvernement. On peut les qualifier de « minerais de conflit », ce qui les rend éthiquement indésirables malgré leur rôle irremplaçable dans la fabrication de technologies modernes autour des téléphones cellulaires.
Pour ces raisons, l’Est du Congo est l’une des régions les plus géostratégiques du monde et sa stabilité a un impact direct sur les marchés mondiaux des minerais et des technologies associées. De nos jours, une paix froide est en place et les clients étrangers se procurent leurs ressources directement auprès de certains des parrains étatiques des groupes rebelles ougandais et rwandais ou du gouvernement congolais, ou travaillent de manière informelle auprès d’intermédiaires rebelles et de fonctionnaires corrompus, facilitant ainsi l’accès aux ressources et permettant leur vente sur le marché mondial. Toutefois, si la région retombe dans la violence, non seulement cela perturbera les courants commerciaux existants, mais cela pourrait aussi créer une situation où un acteur gagne le contrôle de toutes ces richesses minérales, ce qui lui permettrait de devenir une superpuissance dans ce domaine industriel d’importance mondiale. La division de facto de la région entre les acteurs non gouvernementaux affiliés aux gouvernements ougandais, rwandais et congolais a créé un certain équilibre entre les forces économiques et militaires et a empêché cela jusqu’à ce jour. Mais si Kinshasa, par exemple, était capable de regagner la pleine souveraineté sur ses territoires orientaux, le Congo pourrait rapidement devenir une puissance continentale s’il exploitait correctement sa position de fournisseur de minerais et gérait les avantages résultants en conséquence.
En raison de l’ampleur des enjeux géostratégiques et économiques, le renouveau des conflits dans la région des Grands Lacs africains pourrait facilement devenir une crise mondiale, surtout si elle est déclenchée par la menace d’un changement de régime qui plane sur les Congolais. L’intérêt suprême des États-Unis pour que cela se produise est soit de perturber le flux de minerais sortant du Congo pour affaiblir la capacité industrielle de la Chine dans ce domaine, soit de commencer le processus de réorganisation géostratégique de la région riche en minerais et de soutenir une force économie hégémonique régionale pour consolider toutes ses richesses naturelles sous un seul commandement intégré. Alors que les États-Unis seraient confrontés à divers degrés de « dommages collatéraux » à la suite du troisième effondrement possible du Congo depuis l’indépendance, ils pourraient cyniquement parier qu’ils ont encore plus à gagner avec ce gambit et la fabrication d’une guerre majeure pour assouvir leurs intérêts personnels dans un jeu à somme nulle avec la Chine.
Réflexions finales
La Chine est en train d’opérer de gros mouvements au Congo, que ce soit avec le méga-projet de la Route transocéanique africaine Nord et la partie du Katanga de son homologue sud, le barrage Inga 3, ou avec l’achat de la mine de cobalt Tenke. Ces initiatives stratégiques se complètent et font du Congo un des principaux partenaires internationaux de la Chine, tant en Afrique qu’ailleurs dans le monde. Les trois projets susmentionnés dans le Heartland continental fournissent à la Chine une base solide pour projeter l’influence multipolaire dans le reste de l’Afrique et transformer progressivement le paradigme géostratégique, faisant de l’un des États les plus faibles, semi-défaillant, un phare stable de prospérité, en une génération. Néanmoins, le Congo a encore beaucoup de chemin à parcourir avant de se rapprocher de cette vision, et c’est précisément au cours de cette période de développement qu’il est le plus sensible aux programmes américains de guerre hybride contre lui.
La transition de leadership prévue à la fin de l’année pourrait être retardée ou évitée de façon indéfinie si le président sortant Kabila parvient à modifier la Constitution pour obtenir un troisième mandat. Les États-Unis exploitent déjà la situation pour se préparer à une révolution de couleur si cela se produit, mais si la première phase de la pression de changement de régime échoue, il est très probable qu’elle va progresser vers une éventuelle guerre hybride. Si cela se réalise, on peut s’attendre à ce que l’ancien gouverneur du Katanga et président actuel de l’opposition, Moise Katumbi, relance la campagne séparatiste historique de sa région natale en recréant les conditions qui ont mené à la première crise du Congo dans les années 1960. Parallèlement, les provinces de l’Est de l’Ituri et du Kivu du Nord et du Sud pourraient se réveiller dans une orgie de violence qui ressemblerait aux premiers stades de la Deuxième Crise du Congo des années 1990.
Le pire scénario serait que les deux conflits se fondent en un tout unifié. Le chaos de la Troisième Crise congolaise éclipserait par sa violence celui de ses deux prédécesseurs. Inutile de dire qu’un tel développement entraînerait inévitablement la mondialisation de cette guerre civile provoquée par les États-Unis, inaugurant la « Seconde Guerre mondiale africaine » et renversant totalement la stratégie continentale de la Chine. Les Routes transocéaniques africaines du nord et du sud financées par Pékin seraient mortes et Kinshasa aurait beaucoup plus à craindre pour la construction du barrage Inga 3. De plus, qu’elle soit engluée dans une guerre ou réunie en tant que vassal pro-occidental indépendant, l’ancienne province du Katanga cesserait d’être un fournisseur de cobalt fiable pour la Chine et Pékin finirait probablement par perdre des milliards de dollars investis si ses mines devenaient inutilisables ou finissaient par être expropriées. Des souffrances humaines en nombre incalculable accompagneront probablement toute éclosion de violence à grande échelle au Congo, mais, du point de vue stratégique des États-Unis, cela pourrait en valoir la peine si cela peut « contenir » la Chine dans le Heartland de l’Afrique.
Andrew KORYBKO
Source : Oriental Review
Traduit par Hervé, vérifié par Wayan, relu par Michèle pour le Saker Francophone
Andrew Korybko est le commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie « Guerres hybrides : l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime » (2015). Ce texte sera inclus dans son prochain livre sur la théorie de la guerre hybride. Le livre est disponible en PDF gratuitement.