Il y a un peu plus de 4 ans aujourd’hui, que la communauté musicale rd-congolaise et africaine bouclait en douleur l’année 2013. Le dernier jour du mois de novembre (30/11/2013), un mois avant d’entamer la nouvelle année, une immense étoile de musicale, Tabu Ley Rochereau, quittait le monde des humains. Le Seigneur était mort.
Alors que les siens, tous ceux qui adoraient sa voix d’ébène et admiraient ses œuvres musicales n’avaient pas encore fini d’essuyer leurs larmes, le 13 février 2014, pratiquement un mois encore après le début de la nouvelle année, un autre artiste-musicien à la puissance vocale imposante et sans pareille, Jean Mubiala Emeneya tirait lui aussi sa révérence. Le King s’en est allé lui aussi.
En ce moment où les mélomanes sont en instance de célébrer le 4ème anniversaire de la mort de l’un et de l’autre depuis qu’ils vivent dans l’au-delà, d’aucuns sentent péniblement dans le cœur qu’en l’absence de ces deux vedettes de la chanson, il s’est réellement créé un vide dans le monde musical congolais difficile à combler. Rochereau ne devait pas mourir …
Arrivé très jeune à Léopoldville, PascalTabu alias « Rochereau » a grandi sur l’avenue Maluku dans la commune de Kinshasa avant de changer successivement d’adresses. Ce jeune garçon, comme c’était d’usage vers ces années ‘50 et ‘60, a donc vécu dans sa jeunesse dans un univers baigné par l’Art de Beethoven qui hantait bon nombre de ceux de son âge à Kinshasa et dans les grandes villes comme Elisabethville (Lubumbashi), Stanley ville (Kisangani), Costerman (Bukavu) ; Jadotville (Ilebo), Matadi, Boma, Kikwit, etc.
Il y a lieu de retenir que les débuts de Rochereau se situent entre 1956-1960. Dans son quartier, très jeune, Pascal Tabu chantait déjà au sein de l’orchestre Harlem Band dont la quasi-totalité de musiciens s’exila en Europe, rapporte-t-on. Adolescent, Rochereau apprend à fredonner les chansons de Fariala Nyembo dit Franck Lassan et du vieux Wendo, tout en étant hypnotisé par le gabarit vocal esthétique de Joseph Kabasele dit Grand Kallé ou Kallé Jeff.
C’est ainsi qu’il approcha (1955-1959) cette vedette très populaire à l’époque, qui l’a aidé à mettre le pied à l’étrier.
Comment s’appelait-il exactement ?
L’illustre disparu, incontestable monument de la musique congolaise indiscutable est né à Bagata, dans la province de Bandundu le 13 décembre 1940. Il s’appelait Pascal Tabu et deviendra Tabu Ley à la faveur du recours à l’authenticité prôné en 1971 par feu le maréchal Mobutu Sese Seko, a-t-il indiqué de son vivant, révélant que « Ley » est le nom de son grand-père, Pascal son prénom chrétien et, en tant qu’artiste : Rochereau. (Ndlr : il n’a jamais parlé du prénom Emmanuel). Néanmoins, à l’école primaire, Pascal Tabu avait porté le nom de « Nsinamwe », mais qui n’est pas son nom, révélera-t-il plus tard : il lui avait été collé suite à une erreur du greffier de l’Administration coloniale belge qui a mis ce nom d’un petit village (circonscription) de chez-eux à la place de son vrai nom. Le jeune Tabu avait fait observer cette erreur au père directeur de son école qui, convaincu, accepta de rectifier. C’est ainsi que le nom de Pascal Tabu se retrouve mentionné dès son diplôme de l’Ecole Moyenne.
Après avoir décroché son diplôme, Pascal Tabu a travaillé comme fonctionnaire à l’Aéroport international de Ndjili où il a appris les notions de météo, avant d’être embauché au Fonds du Bien-Etre Indigène (FBI). Au début de l’année de l’indépendance du Congo, il a été engagé à l’Athenée de Kalina (ex-Athenée Royal) où il a successivement assumé les fonctions de Commis Auxiliaire, Commis Principal, Secrétaire de direction, Secrétaire de la Préfecture et Directeur administratif. Il a quitté l’Athénée de Kalina en 1963 pour s’occuper totalement de sa carrière musicale.
De l’African Jazz à l’Afrisa International
A 12 ans, Pascal Tabu savait déjà écrire des chansons qu’il vendait aux musiciens professionnels. En 1952, Rochereau avait réussi à interpréter correctement une des chansons de Grand Kallé , « Nzela mosika », au cours d’une fête de diplôme de Monsieur Katalay, ancien secrétaire général de l’UNTC. Informés de cette prouesse, Franco et Kallé Jeff commencèrent à envier le jeune chanteur. En 1955, au terme d’un concours organisé pendant le Festival de Musique à l’occasion de l’inauguration officielle du stade Roi Baudouin (actuel stade Père Raphaël de la Kethule), le jeune Tabu remporta le 1er Prix réservé aux chanteurs-auteurs-compositeurs. Il signa ainsi son entrée dans le sillage de Kallé Jeff à qui il cédait aussi des œuvres, deux à trois ans avant d’intégrer et d’effectuer sa sortie officielle au bar Monte Carlo, sis rond-point Victoire dans la commune de Dendale, le 6 juin 1959. (Ndlr : le bar Monte Carlo, propriété du défunt Papa Franque et qui deviendra Vis-à-Vis, se situait sur l’avenue Victoire (2ème parcelle à droite, dans la commune de Dendale (Kasa-Vubu) à partant du rond-point Victoire). A l’emplacement actuel (au quartier Matonge) du Vis-à-Vis, se trouvait le Q.G. du Parti Solidaire Africain (PSA). Il faut dire que Pascal Tabu a tenu le micro pour la première fois en l’absence de son mentor Kabasele, mais sous la bénédiction de Maman Mantima de Ngaliema, membre influent de cet orchestre à l’époque.
Tabu Ley a évolué dans l’African Jazz comme amateur et puis, semi-professionnel. Il deviendra artiste-musicien professionnel à partir de 1966 lorsqu’il a créé son propre orchestre : Africa Fiesta National Le Peuple, après sa séparation d’avec le docteur Nico dans Africa Fiesta. Il sied de signaler que Rochereau n’a pas fait le déplacement de Bruxelles à la Table Ronde avec l’African Jazz parce que, fonctionnaire de l’Etat, il n’était pas autorisé. C’est en 1962 qu’il effectuera son premier voyage en Europe avec le docteur Nico, Dechaud Mwamba, Roger Izeidi et les autres musiciens d’African Jazz Aile Nico pour des enregistrements.
Montréal et Olympia : deux atouts majeurs
En 1967, avec son orchestre A.F.N., Pascal Tabu a été invité au Festival culturel de Montréal au Canada. Il comptait dans sa délégation des musiciens comme Jean-Paul Vangu dit Guvano (soliste), Michel Mavatiku Visi dit Michelino (accompagnateur), le chanteur Sam Mangwana, etc. Rochereau et son groupe récoltèrent un franc succès. Au retour au pays, les musiciens, sous la conduite du duo Guvano-Mangwana décidèrent de quitter l’orchestre parce que le patron (Roch) n’a pu correctement retribuer dividendes de cette juteuse tournée.
Pascal Tabu recrute alors d’autres musiciens, parmi lesquels le guitariste Bumba Attel pour remplacer Guvano, sans oublier l’arrivée providentielle du chanteur Paul Ndombe dit “Pépé Ndombe” ou “Le Noir”, porteur d’un impressionnant capital des chansons en provenance de l’orchestre Super Fiesta de Kikwit, qui a permis de faire oublier Sam Mangwana.
Rochereau, devenu entre-temps Tabu Ley, est le premier artiste-musicien africain à se produire à l’Olympia de Paris, les 12 et 13 décembre 1970, à l’invitation personnelle du fondateur et patron de cette mythique salle, le Français Bruno Coquatrix. C’est après ce succès que l’orchestre de Rochereau deviendra Afrisa. (Afrisa qui signifie : Africa International Service of Arts).
Pourquoi « Mokitani ya Wendo » et non « mokitani ya Kallé » ?
Seigneur Ley a heureusement, avant sa mort, eu l’occasion d’expliquer cette ambiguïté aux journalistes. « Je n’ai pas le même timbre vocal que Grand Kallé », a-t-il expliqué avec assurance. « Je suis bien entendu le produit Joseph Kabasele qui reste un grand pour moi. C’est de lui que j’ai hérité l’école African Jazz que je suis en train pérenniser. Tandis que mon timbre vocal est celui de Franck Lassan et Wendo. Je suis « Mokitano ya Wendo » parce que j’ai opté de chanter généralement seul, 9 chansons sur 10 comme le faisait Papa Wendo. Mais Kallé Jeff ne chantait en solo que 1 chanson sur 10 ».
Mbilia Bel : bouée de sauvetage
Au retour de l’Olympia, l’Afrisa enregistre des nouveaux départs de musiciens. Le patron du groupe recrute d’autres musiciens pour de combler les vacances. Tabu Ley se démenait encore pour se sortir du creux de la vague lorsque lui arriva, comme sur un plateau d’or, la chanteuse et excellente danseuse Marie-Claire Mboyo alias « Mbilia Bel », recommandée par le chanteur Sam Mangwana. Mboyo Mbilia ne sera pas la première femme à chanter à côté de Seigneur Ley, il y avait eu auparavant les Miss Fotas, les Yondo Sisters, Banielle, Faya Tess, etc. Mais Marie-Claire Mboyo, que Rochereau lui-même rebaptisera « Mbilia Bel » aura été de 1982 à 1989, une bouée de sauvetage certaine et apportera à l’Afrisa International une embellie inespérée. C’est après leur brouille, alors que Mbilia, devenue en plus épouse et mère de leur fille commune : Tabu Mélodie, que La Cléopâtre de la chanson congolaise a décidé de claquer la porte et de rompre en même temps la liaison amoureuse qui la liait à Tabu Ley.
En dépit d’une longue tournée euro-américaine effectuée par Seigneur Ley et ses musiciens, l’Afrisa international commença à sombrer peu à peu jusqu’au moment où son fondateur tombera malade au retour, pourtant, d’une participation avec succès à un festival culturel au Cuba. C’est cet Accident vasco-célébral (AVC) qui a fini par l’emporter le 30 novembre 2013.
Quelques mois avant sa mort, Tabu Ley a été honoré par le gouvernement congolais qui a décidé sa décoration, la débaptisassion de l’avenue Tombalbaye devenue « Avenue Tabu Ley” dans la commune de la Gombe. Il a eu des obsèques dignes avant d’être inhumé au cimetière du Nécropole Entre Terre et Ciel dans la commune de la Nsele, à Kinshasa.
Zenga Ntu