L’on se souviendra, non sans douleur, d’un certain 27 septembre 1994, jour où la mort a endeuillé la grande communauté de la République musicale zaïroise et, sans doute, du continent africain, en arrachant Abeti Masikini, chanteuse, auteur-compositrice et patronne de son orchestre « Les Redoutables », à l’affection des siens. Abeti Masikini, c’est cette artiste-musicienne dont la carrière est indéniablement marquée par une rare volonté, pour une personne de son sexe, et à son époque. Mère de famille, et chanteuse-vedette, elle aura poursuivi jusqu’au bout l’idéal qui l’a habité depuis sa tendre enfance. Encaissant déceptions, rejets, et échecs sans jamais désarmer.
Au départ, peu de critiques musicaux et d’observateurs accordaient de la chance à cette jeune femme, forte et brune et plutôt bien lotie par la nature, comme nombre de ses congénères originaires de la province Orientale. D’autant plus qu’Abeti Masikini, c’était un accent vocal particulier et des œuvres chantées en swahili (tout au moins aux tous débuts). A Kinshasa, ça ne passait pas automatiquement, à l’époque. La sortie officielle de celle qui n’en deviendra pas moins « la trigresse aux griffes d’or », un après-midi au célèbre Ciné Palladium, n’enregistra que … 12 personnes. Abeti n’a pas baissé les bras, ni modifié le timbre particulier de sa voix. Rien du tout.
« La tigresse aux griffes d’or », un surnom qu’elle doit à l’imagination jamais encore égalée d’un confrère de la radio publique qui fait encore des émules aujourd’hui, Mateta Kanda, s’accrocha à ce qu’elle avait de particulier, justement, persévéra sans relâche et finit par dompter le difficile public de la capitale zaïroise. Elle a su imposer sa musique particulière, qui fut un peu trop en avance sur son temps et marqua indubitablement les esprits jusqu’au-delà des frontières nationales. Très tôt, elle adopta un de musique très électrique, colorée de diverses tendances : rumba congolaise, blues, soul, folk, soukous …
De ses vrais noms Finant Elisabeth Masikini, Abeti est née à Stanleyville (Kisangani), le 9 novembre 1954 et elle est décédée à Villejuif en France, le 27 septembre 1994. Son père, Jean-Pierre Finant (né en 1922), fut le premier président de l’Assemblée de la Province Orientale après l’accession du pays à l’indépendance. Tandis que sa mère, femme au foyer comme beaucoup de sa génération, s’appelait Marie Masikini.
C’est lorsqu’en 1961, le père d’Abeti, membre du Mouvement National Congolais/Lumumba, est assassiné à Bakwanga (Mbujimayi), que les Finant s’installent à Kinshasa. Dans la capitale, Abeti entame ses études primaires, suivies d’études secondaires au Lycée Sacré-Cœur (actuellement Lycée Bosangani) dans la commune de la Gombe. Elle a été employée en qualité Secrétaire au Ministère de la Culture sous la direction du ministre Paul Mushiete, un pionnier de l’indépendance.
La jeune « Betty », ainsi qu’on la surnomme affectueusement à l’époque, se révèle néanmoins passionnée de musique. A la grande surprise de sa famille, plutôt bourgeoise, elle participera en 1971 à un concours de chanson organisé par l’artiste-musicien Gérard Madiata. Et se classe troisième. Et c’était parti pour une carrière qui ne s’arrêtera que 23 ans plus tard, lorsqu’elle succombe à une maladie.
Avec le concours de quelques proches, Abeti Masikini monte son groupe musical. Jean Abumba Masikini, son jeune frère, en fera partie en qualité de guitariste. Le groupe, appelé « Groupe Betty », se produit alors occasionnellement, dans des petits clubs de la Capitale, généralement au Centre-ville à la Gombe. Vers la fin de cette année 1971, la chanteuse rencontre le manager Togolais Gérard Akwesson, producteur de la célèbre chanteuse Bella Bellow à Kinshasa. Et sa carrière est lancée.
Abeti passera le restant de sa vie aux côtés de cet homme providentiel qui a cru en ses talents. Elle l’acceptera comme manager et comme époux de 1972 à 1994. Leur union fut officialisée à Paris en 1989. Abeti était mère de quatre enfants dont trois filles et un garçon : Yolande Masikikini, Gérard Badé Akueson, Germaine Masikini (fille adoptive) et Harmony Akueson.
Les premières œuvres discographiques d’Abeti Masikini sont éditées en 1973. On y reconnaît des titres comme « Mutoto wangu », « Bibile », « Aziza » « Miwela », « Safari » et « Papy yaka ».
En 1975, l’artiste largue sur le marché son second album intitulé « La voix du Zaïre, l’idole d’Afrique. » Cet opus contient des chansons comme « Likayabo », « Yamba Yamba », « Kiliki Bamba », « Nalikupenda », « Ngoyaye Bella Bellow », etc. Elle réalisera son troisième album l’année suivante à Paris avec, qui contient le célèbre « Mwana muke wa Miss ».
Au chapitre des productions scéniques, Abeti Masikini s’est illustré par des concerts de très haute facture artistique aussi bien dans son pays qu’à travers le monde. On rappelle encore de ses productions du Ciné Palladium de Kinshasa (1972) ; de l’Olympia de Paris (1973, 1975 et 1986), du Carnegie hall de New-York (1974) ; du Grand stade de Lomé (1975) ; de Wimbledon à Londres (1986) ; du New-Morning de Paris (1986) ; du Zénith de Paris (1988) ; du Théâtre Apollo de Harlem aux USA (1989) : des 17 galas en Chine Populaire (1989), avant sa dernière production scénique en 1992 en la salle LSC à Paris en France.
Zenga Ntu