En République Démocratique du Congo, le fragile processus de démocratisation arraché ‘in extremis’ aux parties belligérantes des années ‘2000, pour régler le problème de la légitimité au sommet de l’Etat et des institutions, semble plus que jamais menacé. A force de complots, de manœuvres, de manigances et des stratégies en tous genres, il semble désormais suspendu à un délai de quelque 17 mois, avant, pendant et au-delà duquel tout peut arriver dans ce pays-continent que ses ressources naturelles exposent à la convoitise vorace de tout ce que la planète compte de puissance. 17 mois, 504 jours plus précisément, c’est le temps requis pour la tenue en une séquence unique de trois élections, la présidentielle, les législatives nationales et provinciales qui doivent doter le pays de ses nouveaux dirigeants à ces divers niveaux pour la troisième mandature de la IIIème République. Et remporter le pari de l’organisation de trois scrutins simultanés pour conforter autant que possible un processus de démocratisation des institutions publiques enclenché voici 11 ans, en 2006. Il s’agit d’initier les rd congolais, électeurs et dirigeants, à ces retours cycliques vers le peuple, ce « souverain primaire » dont tout le monde parle mais dont bien peu se sont souciés 46 ans durant après l’accession du pays à la souveraineté nationale et internationale un certain 30 juin 1960.
Des ratés en cascade
Mais le processus, confronté à de nombreux défis, cale depuis bien les lendemains des seconds scrutins démocratiques organisés en 2011. Plus d’un an après la fin théorique de la seconde législature fixée à novembre 2016, la mise en œuvre du théorique troisième cycle électoral se heurte à de nombreux problèmes organisationnels mais surtout politiques et culturels. Parce que de toute évidence, les problèmes liés à l’organisation des élections, les mêmes depuis 2006, ne sont guère insolubles. La Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) qui est en train de réussir à résoudre, contre vents et marrées, un des plus importants, la recomposition d’un fichier électoral jugé corrompu par tous les protagonistes des 45 millions d’électeurs attendus, estime qu’il lui faudra un délai maximal de 504 jours à dater de la fin de cette opération de révision du fichier électoral pour tenir effectivement les trois scrutins.
En dépit du fait que les problèmes financiers, techniques et matériels, qui tournent essentiellement autour de la mise à la disposition de cette centrale électorale composée de membres de la majorité au pouvoir, de l’opposition et de la société civile, de moyens financiers et logistiques pour l’acheminement du matériel électoral vers les lieux des votes éparpillés sur une étendue territoriale aussi vaste que le continent ouest européen tout entier, aient été résolus, le Congolais lambda qui piaffe d’impatience pour être en mesure de mettre son bulletin dans l’urne n’est pas au bout de sa peine, loin s’en faut. D’autres contraintes liées à la radicalisation d’une partie de la très extravertie classe politique congolaise compliquent singulièrement la situation et nécessitent une volonté politique très ferme pour être vaincues.
Volontés politiques
La volonté politique. C’est ici que les Romains s’empoignent au Congo-Kinshasa. Face à la volonté du gouvernement de la Majorité Présidentielle issue des scrutins de 2011 se dresse la contre-volonté d’une partie dite « radicale » de l’opposition, qui peine à dissimuler sa peur panique de voir des élections qu’elle n’a jamais préparées se tenir dans quelque délai que ce soit. Sauf si l’occasion lui était donnée de les organiser elle-même, en violation de tous les prescrits de la constitution. C’est la raison pour laquelle, elle (opposition radicale) fait des pieds et des mains pour rendre le pays ingouvernables aussi longtemps que ses leaders n’auront pas été admis ‘intuitu personae’ dans le saint des saints de la gestion des affaires, préalablement à tout scrutin.
Les 504 jours requis par la centrale électorale, seule dotée des compétences pour organiser les élections en RD Congo d’ici mi-2019 à peu près, sont ainsi instrumentalisés par cette opposition qui les présente comme le délai de trop, voire, « une nouvelle période de transition ». Cette opposition radicale conduite par le tandem Moïse Katumbi Chapwe – Félix Tshilombo Tshisekedi s’est ainsi placée à la tête d’un groupement d’acteurs politiques de carrures mineures pour lancer à tue-tête le slogan irrationnel d’une « période de transition sans le président en exercice Joseph Kabila » dirigée par une personnalité « neutre » qui selon leur imagination serait choisie par un quarteron d’évêques catholiques, question de mettre à profit le carnet d’adresses bien fourni de quelques uns de leurs complices au sein de l’Eglise catholique romaine pour s’adjuger des appuis dans certaines capitales occidentales dans lesquels trônent d’indécrottables « faiseurs de rois africains » autoproclamés depuis l’aube des indépendances. Pareil schéma, totalement contraire à la constitution congolaise que tout le monde dit défendre (et dont l’article 70 prévoit expressis verbis qu’à la fin de leurs mandats, toutes les institutions, y compris le Président de la République restent en fonction jusqu’à l’installation des nouvelles institutions issues d’élections), nécessiterait pour sa faisabilité une révision constitutionnelle qui n’est pas à l’ordre du jour. Nul parmi les « radicaux » de l’opposition rd congolaise n’ignore le caractère inconstitutionnel de cette proposition, ni que la période que nécessiterait sa mise en œuvre déborderait très largement les fameux 504 jours estimés par la CENI pour tenir des élections sérieuses en RD Congo. Interrogé par nos rédactions à ce sujet, un des juristes du G7, principale composante de l’opposition radicale a indiqué Mezzo voce, qu’il s’agissait en fait d’une « position de négociation ». Un chantage éhonté donc : « Nous pourrions y renoncer si le pouvoir accepte de partager le pouvoir avec ceux que nous avons à cœur de voir siéger au sein des institutions », a-t-il cyniquement précisé.
Les 504 jours à problème
En réalité, ce délai de 504 jours calendriers maximum après la fin de l’enrôlement des électeurs est de notoriété publique. Il a été mentionné par la Commission électorale dès le troisième trimestre de 2016. Son rejet par les opposants radicaux remonte à bien plus loin qu’à la date de sa dernière annonce il y a quelques semaines à la faveur d’un séjour aux Etats-Unis du président de la CENI, Corneille Nangaa Yobeluo. Cette estimation de la durée opérationnelle de trois séquences électorales (présidentielle, législatives nationales et législatives provinciales) avait été explicitée avec un détail de données techniques au cours du dialogue dit de la Cité de l’Organisation de l’Unité Africaine à Kinshasa par les experts aussi bien de la CENI, que des Nations-Unies et de l’Organisation Internationale de la Francophonie en septembre 2016. Selon les projections de l’époque, les 504 jours couraient de juillet 2017, date prévue pour la fin de l’opération de révision du fichier électoral, jusque juin 2018 à peu près, que tous les experts avaient présenté comme celui des trois scrutins électoraux proprement dits. Les parties prenantes au dialogue de la Cité de l’OUA, la Majorité présidentielle, une partie de l’opposition politique, et une partie de la société civile s’étaient accordées pour observer de cette période pré-électorale qui débordait d’un an et quelque 6 mois la fin de la période constitutionnelle du second et dernier mandat du Président de la République en place. En prenant appui notamment sur les dispositions pertinentes de l’article 70 alinéa 2 de la constitution de la RD Congo exigeant que les institutions électives demeurent en fonction même après la forclusion de leurs mandats aussi longtemps que leurs successeurs élus n’étaient pas encore installés.
Elargir l’acquis
Mais une frange de l’opposition n’avait pas été partie prenante à l’Accord issu du dialogue de l’OUA. Et c’est pour élargir le consensus autour et avant la tenue des prochaines élections que le Président de la République s’était résolu à confier à un groupe d’évêques catholiques proches d’elle, une mission de bons offices qui avait abouti, début décembre 2016, en la tenue de discussions directes entre signataires et non signataires de l’Accord de la Cité de l’Union africaine. La question du délai des 504 jours sera intégrée dans les résolutions de ce énième dialogue. Par la décision commune de faire participer à un gouvernement d’union à mettre en place les participants issus du dialogue de la Cité de l’Union africaine et la frange de l’opposition dite radicale, qui avait boycotté ce forum quelques mois plus tôt. Une participation qui, pour l’opposition radicale soutenue par leurs alliés évêques de l’église catholique romaine, était synonyme d’une destitution partielle en demi-teinte du Chef de l’Etat en place et de prise partielle du pouvoir. Un comble de mauvaise foi qui se heurta aussitôt à un refus de Joseph Kabila et de son camp qui, brandissant la constitution de 2006, s’opposèrent à cette tentative putschiste. Leur intransigeance partagée par nombre de sociétaires de l’opposition « radicale » se solda par une implosion de cette dernière en deux nouveaux camps, surtout après le décès à Bruxelles d’Etienne Tshisekedi, le chef de file incontesté des radicaux, début février 2017.
Impossible unanimité
Même s’il n’est pas parfait, et Dieu seul sait (ses évêques catholiques aussi, sans doute) à quel point il est chimérique d’espérer un consensus parfait entre acteurs politiques rd congolais, un accord significativement plus large s’est formé autour du principe de la poursuite du processus électoral afin de régler la question de l’alternance au sommet de l’Etat. Il met ensemble dans un gouvernement d’union chargé de gérer et encadrer la période pré-électorale et électorale pour permettre une préparation correcte et une organisation correcte des élections, la majorité présidentielle, l’opposition politique élargie à une partie de l’opposition radicale, ainsi que la société civile, elle aussi élargie à une partie de la société civile proche de l’opposition radicale.
Les premiers de ceux que les 504 jours de la CENI dérangent sont donc les membres de la frange katumbiste de l’opposition qui caressaient en réalité l’idée de s’emparer des rênes du pouvoir d’Etat avant tout scrutin électoral en RD Congo où l’on peine encore à comprendre au nom de quel principe des individus, leaders de l’opposition fussent-ils, hériteraient de tout ou partie du pouvoir d’Etat sans en avoir reçu un quelconque mandat populaire de qui que ce soit. Surtout pas du peuple dont ils s’évertuent à se réclamer à longueur de journées.
Le fait est bien là : pour ces radicaux-là, pas question d’aller aux élections s’ils n’ont pas préalablement capturé le pouvoir d’Etat, partiellement ou totalement à travers la fameuse « transition sans Kabila ».
Semi opposés
Autour de ces véritables apprentis-sorciers qui savent bien que leur manœuvre est vouée à l’échec, gravitent des électrons plus ou moins libres et d’importance plus ou moins relative, dont les humeurs et les positions évoluent au gré de la satisfaction des ambitions petites-bourgeoises de leurs porte-voix dans la répartition des responsabilités née du dernier accord politique. Particulièrement, le Mouvement de Libération du Congo (MLC) de Jean-Pierre Bemba Gombo et l’Union pour la Nation Congolaise (UNC) de Vital Kamerhe.
Partie prenante aux accords dits de la Saint Sylvestre signés le 31 décembre 2016, le MLC s’était en effet déclaré non-partant dans la formation de l’équipe gouvernementale à venir. Tout en exprimant le vœu de jouer un rôle de 1er plan au sein du Comité National de Suivi de l’Accord et du Processus Electoral (CNSA). Quoique la direction de la nouvelle institution d’appui à la démocratie ait été confiée au leader de l’UDPS Etienne Tshisekedi, par le biais du Rassemblement de l’Opposition radicale qu’il présidait bien avant la signature de ces accords du Centre catholique interdiocésain de Kinshasa. Au terme du nouveau partage des responsabilités politiques, en avril 2017, les amis de Jean-Pierre Bemba ayant vu leur espoir de s’adjuger la direction du CNSA à la faveur du décès de Tshisekedi s’envoler ont manifesté leur dépit en déclinant les fonctions de vice-président de la nouvelle structure qui leur avait été pourtant réservées avec leur accord avant la disparition du N°1 du Rassemblement dont les membres préféreront présenter un des leurs, Joseph Oleghankoy. C’est la raison pour laquelle les Eve Bazaiba, Fidèle Babala Wandu et autres lieutenants bembistes s’opposent depuis peu, à la poursuite du processus électoral tel que concoctée aux discussions directes de la CENCO, eux aussi. Le parti de Bemba est ainsi le seul à avoir hasardé une contre-proposition aux 504 jours des experts CENI-NATIONS UNIES-OIF. Pour Fidèle Babala, élu MLC de Kinshasa en 2006 et en 2011, 204 jours, soit quelque 7 mois, suffiraient amplement pour conduire les rd congolais aux urnes, sans une élaboration crédible susceptible de répondre aux exigences du « chemin critique » mis en exergue par les experts autrement mieux outillés de la CENI, des Nations-Unies et de l’OIF…
Les indifférents du MLC
L’opinion attend toujours le chronogramme concret qui permet aux « techniciens » du MLC d’envisager la tenue des trois scrutins programmés en séquence unique à juillet 2018 à peu près. Et risque d’attendre plus longtemps encore que les 504 jours susmentionnés, en réalité. Certains observateurs estiment, en effet, que les lieutenants de Jean-Pierre Bemba Gombo, ancien chef rebelle devenu vice-président de la République avant d’être embastillé par la justice internationale pour crimes contre l’humanité, ne peuvent ni prendre part à un quelconque partage du pouvoir ni exprimer quelque ambition politique majeure du fait de la volonté égocentrique nihiliste de leur leader emprisonné. « Ils font de la figuration politique, en attendant une improbable relaxation de Jean-Pierre Bemba qui s’estime le seul à pouvoir convoiter le Top Job au sein de leur formation politique », explique cet ancien officier de l’ALC (Armée de Libération du Congo), la branche armée du MLC qui causa mort et désolation en République Centrafricaine. « Les rares qui ont dérogé à cette règle ont été promptement exclus du parti. C’est le cas de François Mwamba qui a rejoint ses frères tribaux au sein de l’UDPS/Tshilombo, de Thomas Luhaka qui, avec son Mouvement Libéral, a rejoint la Majorité présidentielle et de Germain Kambinga qui essaie de créer une force du Centre … », explique-t-il. De ce point de vue qui ne manque pas de pertinence, au MLC, il se dégage que c’est à peine si on peut briguer un mandat électoral à la députation nationale ou provinciale pour garnir les travées des assemblées et maintenir la flamme de ce qui reste des combattants éparpillés entre les dissidents, en attendant l’incontournable Chairman Bemba, « propriétaire » du MLC devant l’Eternel. Proposer des chronogrammes intenables, donner de la voix contre n’importe quoi, participe d’une stratégie consistant à gagner du temps et à raviver la flamme flageolante des combattants pris pour des dociles poulains. Rien de plus.
Aigris au partage
Semble s’être également rapproché des thèses des radicaux katumbistes, l’UNC de Vital Kamerhe Lwa Kaningini, dont le patron n’a pas caché son dépit d’avoir, lui aussi, échoué à l’élection à la présidence du CNSA. Parce que sur le délai de 504 jours, Vital Kamerhe et l’UNC étaient bel et bien d’accord depuis l’Accord de la Cité de l’OUA. Ici, la grogne est exclusivement liée à l’après-dialogue du centre interdiocésain. Kamehre n’est pas loin d’un vulgaire « aigri au partage du gâteau », en fait. D’autant plus aigri que le quota attribué à son parti politique au gouvernement s’est retrouvé réduit à la portion congrue après la formation de la nouvelle équipe. Ainsi, lorsque Vital Kamehre s’en prend au processus électoral tout en faisant siéger ses cadres au sein du Gouvernement Tshibala, ce n’est pas tant sur sa durée, ni sur sa faisabilité, mais sur l’élargissement des acteurs qui interviennent dans la gestion de la période pré-électorale qu’il insiste. Ce que vise ce candidat malheureux à la présidentielle 2011, dont le parti se vide de ses cadres à une cadence vertigineuse, c’est une redistribution des cartes bien avant les fameux 504 jours.
Les seuls que les 504 jours des experts dérangent vraiment sont donc les radicaux katumbistes, qui voient ainsi s’éloigner d’un an et 7 mois supplémentaires leurs rêves de capturer le pouvoir d’Etat avant les élections. Et même pire, parce que tout espoir d’accéder au pouvoir suprême pour leur nouveau chef de file Moïse Katumbi dépend désormais des résultats de scrutins qui pourraient se traduire par une traversée de la Bérézina. Avec ces radicaux sont royalement dérangés certains milieux politico-mercantilistes en Belgique et en Europe qui ont fait du départ de Joseph Kabila du pouvoir une véritable fixation. Depuis la désormais célèbre affaire des contrats chinois, notamment. Les révélations du Pasteur Daniel Mulunda Nyanga, qui a récemment dénoncé les pressions occidentales contre les scrutins de 2011 (parce que les prévisions donnaient l’actuel Chef de l’Etat vainqueur), sont venues confirmer les appréhensions des observateurs. La radicalisation d’une frange de l’opposition portée à bout de bras par ces occidentaux relève d’une stratégie mise en œuvre dès les lendemains de la présidentielle 2011 visant à faire échouer toute organisation électorale par Kinshasa.
J.N.