Un prélat interventionniste « radical » trônerait-il à la Nonciature apostolique (Ambassade du Vatican) à Kinshasa ? C’est la question que d’aucuns se sont posés en entendant Mgr. Luis Mariano Montemayor faire le point de sa visite au Kasaï Central où il s’était rendu avec le président de la CENCO, Mgr. Marcel Uthembi, Archevêque de Kisangani.
Les propos comminatoires du prélat-diplomate laissent à croire que dans son univers mental, la République Démocratique du Congo était devenue une congrégation de l’Eglise catholique romaine, voire une province Vaticane. Luis Mariano Montemayor, évêque argentin patron de la mission diplomatique vaticane à Kinshasa depuis 2015, après avoir presté au Sénégal, un pays de foi et de croyance majoritairement musulmane, semble avoir pris les mors aux dents au Congo-Kinshasa, à force de vouloir surfer sur ce « pain béni » du catholicisme que paraît à ses yeux la RDC où les statistiques affichent plus de 60 % de croyants catholiques, en proie à une insécurité chronique du fait de la convoitise que suscitent ses immenses richesses naturelles dans la très chrétienne sphère occidentale.
Sur l’avenir politique et économique immédiat de cet immense pays au cœur du continent africain, l’évêque argentin entend manifestement faire chorus avec ses homologues du cru qui n’hésitent plus à monter aux barricades des joutes politiciennes en assaisonnant la crédulité des croyants catholiques d’un zeste de paternalisme pour orphelins de père qui présente à ses yeux l’avantage de « tuer le père » réel du peuple congolais qu’est l’Etat, le pouvoir d’Etat. Un peu comme aux temps des croisades ou de colonisation, lorsqu’il fallait « débarrasser » à tout prix les colonisés de leurs croyances traditionnelles « fétichistes et diaboliques » pour mieux asseoir l’œuvre civilisatrice occidentale, en appui et en soutien à la mise sous coupe réglée de cette riche terre par des puissances catholiques européennes…
En terre fertile
Un peu plus d’un an à peine après son arrivée en juin 2015, Mgr. Luis Mariano Montemayor se rend à Beni où des massacres sont perpétrés contre des populations civiles dès juin 2016. Sans mettre des gants, le prélat argentin met les pieds dans le plat en rejetant, on ne sait trop sur base de quels éléments, la responsabilité de la situation sur … le gouvernement : Le « premier responsable de la sécurité, c’est le gouvernement. Aucun doute là-dessus », lance-t-il à la cantonade. Peu après, en pleine période de négociations pour un nouveau dialogue « materné » par l’Eglise catholique romaine locale, il vole au secours de l’opposition radicale en décrétant que le dialogue facilité par l’Union Africaine « n’est pas représentatif parce que Tshisekedi et Katumbi ne sont pas autour de la table ». On ne peut pas être plus clair que l’Argentin : en RD Congo, c’est l’opposition radicale qui est représentative (de qui ?). Pas la majorité qui présente peut-être l’inconvénient pour lui d’être dirigée par Joseph Kabila, un protestant. Ce point de vue qui réflète certainement les vues du Vatican au nom duquel s’expriment le prélat latino-américain et la Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO) n’est pas loin de compliquer l’équation de la crise congolaise en l’assaisonnant d’une véritable guerre des religions.
Insurgés « béatifiés »
C’est donc sans grande surprise qu’on retrouve la griffe Luis Mariano Montemayor au bas d’un communiqué conjoint CENCO-Nonciature Apostolique sur le drame kasaïen, le 30 mars 2017. Les signataires, qui ne dissimulent plus leur aversion contre le pouvoir politique en place, y condamnent pêle-mêle les violences survenues dans cette région du pays, le recrutement des jeunes et des enfants, les jugements arbitraires et l’assassinat des civils par les insurgés, en même temps que « l’usage disproportionné de la force … » par le Gouvernement auquel ils demandent de « se retenir » dans ses efforts pour le rétablissement de la paix. Réaction furieuse d’un officier de la Police Nationale Congolaise dont tout un contingent d’une quarantaine de camarades venu en renfort de Kinshasa venait d’être sauvagement exterminé par les terroristes dans la région : « proportionné ? Que veulent-ils dire par là ? Que les institutions de l’Etat en place cessent de réprimer ces égorgeurs de femmes et d’enfants et partagent le pouvoir avec ces rebelles ? Que lorsqu’ils ont décapité 2 civils innocents, nous en abattions 2 et laissions courir les autres ou que nous cohabitions avec eux pour respecter la proportion ? C’est tout simplement scandaleux pour des hommes de Dieu ». Un commentaire caricatural d’un homme rompu à l’action, mais qui n’en révèle pas moins l’essentiel des desseins cléricaux plus que toutes les homélies entendues sur le drame kasaïen : c’est à un partage du pouvoir d’Etat avec des bandes criminelles et autres forces de l’opposition qu’appelle l’Eglise catholique romaine en RD Congo. Comme certains acteurs interventionnistes nostalgiques de l’ordre néocolonial qui pullulent dans nombre de pays Occidentaux, par ailleurs à l’origine des problèmes sécuritaires récurrents de ce géant de l’Afrique Centrale. La suite de ce communiqué conjoint le confirme, du reste : « … il est urgent de rechercher sans relâche une solution politique à la crise socio-sécuritaire et humanitaire qui sévit dans le Grand Kasai », ponctuent en effet les signataires du communiqué CENCO-Nonciature, avant de solliciter avec insistance « … l’appui multiforme de la MONUSCO, de la Communauté internationale, des Organisations humanitaires ainsi que des hommes et des femmes de bonne volonté pour contribuer à la recherche d’une solution durable à cette tragédie ». Sur les pouvoirs publics rd congolais, pas une allusion, puisque leurs excellences suspendent leur existence à « une solution politique ».
Les oubliés des statistiques catholiques
Rien de bien surprenant non plus, lorsqu’en juin dernier, l’Eglise catholique romaine a publié ses statistiques sur la crise sécuritaire kasaïenne : c’est près de 4.000 personnes qui ont trouvé la mort en raison de l’insécurité causée par le phénomène Kamwina Nsapu, et non plus 400, comme les avaient répertorié aussi bien les autorités locales congolaises que la MONUSCO. Il y a eu aussi, 30 fosses communes, 20 villages détruits et surtout, 34 maisons religieuses, 60 paroisses, 31 centres de santé catholiques, ainsi que 141 écoles ravagées dans les provinces kasaïennes mises à sac par des groupes terroristes se réclamant souvent fallacieusement de Kamuina Nsapu.
L’Eglise catholique affirme pourtant avoir mis en place dès le début des violences des équipes d’observateurs pour « … répertorier de manière immédiate les violences perpétrées … », selon les explications fournies à la presse par le volubile Abbé Donatien Nshole, ci-devant porte-parole des évêques de la CENCO. Un répertoire dont on peut apprécier et douter de l’objectivité, parce qu’il a purement et simplement fait l’impasse sur plusieurs atrocités car, selon le gouverneur de la province voisine du Kasaï (Chef-lieu Tshikapa), 9 chefs coutumiers et 33 chefs de villages ont été décapités en public par les terroristes. 16 postes de police, la prison de Luebo, 9O temples (lieux de culte non catholique). Dans son empressement à publier des données alarmantes, la CENCO avait même « oublié » un évêché catholique et des couvents du diocèse de Luebo. De même que 117 formations sanitaires, 1.154 écoles, 69 résidences privées incendiées et le matériel pillé de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) dont une dizaine de préposés avaient été aussi assassinés par décapitation.
L’autorité Etatique dans les calottes partiales
En séjour à Kananga, début septembre 2017, Luis Mariano Montemayor n’a pas dérogé d’un iota à la politique de déplacement de l’autorité de l’Etat sous les calottes sacrées catholiques romaines. Servant aux croyants particulièrement désarmés moralement et matériellement des provinces kasaïennes des promesses jésuistiques de lendemains meilleurs que le présent à subir héroïquement. « Devant les atrocités humaines, il n’y a pas de paroles pour exprimer l’horreur et la compassion fraternelle. Il n’y a aucun mot humain qui pourrait consoler de toutes les souffrances vécues. C’est pour cette raison que devant la souffrance atroce d’un frère, on se tait et on se tourne vers quelqu’un d’Autre capable de dire un mot qui apaise: Dieu riche en miséricorde », avait-il soutenu au cours d’une prêche dans la commune de Nganza, le 12 septembre dernier, comme pour démontrer que la RDC était un Etat failli. Ayant assuré à son auditoire qu’il leur apportait « la consolation et la proximité du Saint Père, le Pape François », le prélat argentin a, dans la foulée, informé ses auditoires que le Souverain pontife « suit très attentivement la situation en RD Congo et particulièrement dans le Grand Kasai (et) m’a prié de vous transmettre ses salutations et sa bénédiction paternelle ». La boucle était bouclée…
Le Pape François, jamais en terre peccamineuse
Curieusement et contre toute attente, de retour à Kinshasa, le Nonce Apostolique s’est permis de monter d’un cran les enchères papales. Au micro de notre confrère Joël Bofengo de la radio onusienne Okapi, il a en effet relancé sa lecture politicienne des crimes graves qui ont endeuillé le pays en évoquant le dossier de la non-venue du Pape François en RD Congo, pourtant non envisageable à l’heure actuelle. Pour la bonne et simple raison que sa Sainteté François n’est pas encore invitée en RD Congo. Cela, Luis Mariano Montemayor le reconnaît dans l’interview : « Ce n’est pas qu’il (le Pape) conditionne sa venue mais c’est parce que pour venir, il faut une invitation. Pour venir, il faut une concertation pour préparer la venue. On n’est même pas avancé dans l’hypothèse de sa venue. Le gouvernement nous a seulement dit qu’il serait content de la venue du Saint Père. C’était l’une de premières choses que le président Kabila m’a dites quand je lui ai présenté ma lettre de créance [en 2015]. [Il m’a demandé] quand va venir le pape », avait pourtant expliqué le Nonce à Radio Okapi. Difficile de comprendre dès lors l’opportunité qu’il a trouvée de rappeler de prétendues « exigences » du Saint Siège pour une venue du Pape en RDC qui n’a jamais été ni évoquée ni expressément envisagée par les autorités de ce pays. « Le pape voulait venir. Le Saint Siège a dit clairement aux autorités congolaises qu’il est en faveur des élections [en RDC] qui sont établies par sa constitution », a énoncé le Nonce Apostolique pour couronner le chapelet de promesses papales pour les pauvres chrétiens catholiques. Un peu comme si dans les allées du pouvoir on préparait autre chose. Comme s’il fallait persuader les crédules Congolais du fait que si le messie tardait à venir, c’est à cause des pécheurs qui n’organisent pas les élections démocratiques en RD Congo…
Un prêtre de l’archidiocèse de Kinshasa s’étrangle d’indignation devant tant de mauvaise foi : « Je connais pourtant de nombreux exemples de pays où le Saint Père s’est rendu sans s’encombrer d’exigences électorales. Pourquoi Monseigneur le Nonce veut-il prendre les Congolais pour des canards sauvages ? » s’est-il interrogé.
J.N.