Les faits donnent raison au Maximum, qui s’interrogeait lundi dernier sur de pseudo révélations publiées le 11 juillet dernier par le quotidien français Le Monde (« Lynchage médiatique : mode d’emploi, Un yacht d’Afritec attribué à Kabila », Le Maximum, n° 457 du 17 juillet 2017).
L’information à sensation faisait état de l’acquisition par deux proches du Président Joseph Kabila d’un yacht de luxe qui aurait engouffré 25 millions d’euros. Et semblait destinée à une utilisation par l’opposition politique rd congolaise à des fins d’intoxication, manifestement. Malgré le fait qu’elle ne résistait pas une critique plus ou moins sérieuse ; des preuves que les propriétaires du Yacht de luxe étaient des proches du Président de RD Congo faisaient défaut. Tout autant que le coût réel de la rénovation de l’Enigma, le nom de ce yacht amarré dans un port en Afrique du Sud.
Sous la plume d’Aziz Saïdi (La Tribune Afrique), Alain Wan, le propriétaire du bateau de luxe « réduit au silence » par nos confrères du Monde s’exprime, sur l’acquisition d’un vieux navire de guerre qu’il a rénové à ses frais, et sur ses activités commerciales, également tues ou exagérées par les enquêteurs et le quotidien français.
Interview.
La Tribune Afrique : Quelle est votre réaction à l’attaque du Grand marché de vendredi dernier ?
André Wan : Selon le rapport que j’ai lu, puisque je n’étais pas sur place, ce sont des éléments indépendants comme on les appelle chez nous des «Shegué» qui ont essayé de pousser aux troubles. Je ne sais pas si c’est une attaque avec des objectifs politiques cachés. En tout cas, vus de l’extérieur, ce sont des troubles provoqués au Grand marché pour dérober des biens en profitant de la panique. Ce sont des pillages, du fait que la population n’a plus un grand pouvoir d’achat à cause de la crise.
Pourtant, certains y voient la main du pouvoir pour faire basculer le pays dans l’état d’urgence et faire glisser encore le mandat du président Kabila…
A mon avis, vraiment pas ! Les gens ont tendance à mettre tout sur le dos du pouvoir actuel, même des choses qui n’ont rien à voir. Nous avons vu des troubles qui se sont passés à Paris et qui ont débouché sur l’annulation d’un concert. Ils ont tout mis sur le dos du pouvoir en place, en disant que le président congolais paye des artistes pour distraire la population. Je ne vois pas de lien. Donc, ils mettent tout ce qu’ils peuvent sur le dos du pouvoir actuel. N’étant pas un politique, je vois la situation de l’extérieur et je constate que c’est de plus en plus sans sens.
Quelle est la nature de la relation de votre famille avec le clan du président Kabila ?
C’était un client comme un autre. Nous avons collaboré ensemble sur le transfert de GEL (la société Grands Elevages du Bas-Congo, NDLR) qui était notre propriété vers les fermes Espoir. Cela s’arrête là ! Nous acceptons tout client qu’il soit important ou pas. Nous n’avons jamais eu à travailler directement avec lui. Nous avons travaillé avec des intermédiaires qui appartiennent à l’Etat. Nous n’avons pas de relation particulièrement forte avec lui.
Que ce soit lui ou un autre président qui se serait présenté vers nous, nous aurions travaillé de la même façon. Nous sommes des commerciaux. Nous avons une marge qui est connue et fixe. Nous déclarons nos impôts et tout ce que nous faisons, même avec lui, n’est pas caché. Le journal Le Monde a découvert cela comme si cela était un élément à sensation. Alors que les gens qui s’intéressent au domaine et qui lisaient les journaux à cette époque auraient constaté que le transfert avait été effectué et auraient pu aisément suivre le dossier.
Pour revenir sur les récentes publications du journal Le Monde sur la base d’une enquête menée en collaboration avec la PPLAAF et l’OCCRP qui vous accusent de travailler sous couverture pour le président Kabila, notamment en ce qui concerne le cas du bateau Enigma XK. Ce dernier vous appartient-il réellement ou au président Kabila ?
Le bateau Enigma nous appartient. J’ai fait des études de construction navale et nous avons une entreprise de construction navale qui s’appelle COMENAV, basée à Kinshasa, qui est une filiale d’Afritec et qui existe depuis 1984. Donc, nous construisons des bateaux. Le premier bateau que nous avons construit était dans notre jardin à Kinshasa, et depuis cette période, nous en avons construit plein d’autres. Dans le cadre de la fin de mes études et du lancement de mon projet, nous avons trouvé un bateau qui était à l’état d’épave en Allemagne et qui était proposé à la vente à un prix très bas. Donc, nous avons eu l’idée de le prendre pour le rénover en partie en Europe avant de terminer les travaux en Afrique. Toutefois, arrivés au chantier naval, nous avons découvert plusieurs problèmes et le budget initial que nous avions pour ce projet a été multiplié par deux ou trois.
Le chiffre de 25 millions d’euros est avancé en tant que coût total de la rénovation d’Enigma. Est-ce proche de la réalité ?
Non, c’est loin de la réalité. Mais nous ne pouvons donner un chiffre précis pour le coût de cette rénovation, parce que c’est un projet qui a été évolutif. Nous avons effectué une grande partie des travaux intérieurs qui demandaient une finition particulière en France. Une partie des travaux techniques a été prise en charge par nous-mêmes et le reste des travaux continue de se faire en Afrique du Sud. C’est un bateau qui est donc toujours en cours de travaux et nous ne pouvons pas encore en estimer le coût de rénovation. Afritec est spécialisée dans la rénovation de bateaux anciens. Je pense que si le président lui-même voulait un bateau, il ne se serait pas importuné avec un projet sur plusieurs années en France en s’exposant avec des transferts importants. Il aurait acheté un bateau neuf. Mais pour nous, c’est une vraie passion et un métier que nous connaissons et que nous maîtrisons. Je ne vois pas l’intérêt qu’il aurait à faire ce bateau via notre société !
Pensez-vous que ce projet sera rentable à terme, même après l’explosion de la facture de rénovation ?
Ce n’est pas un projet qui était voué à être rentable. C’est un bateau destiné à un usage privé. Le fait de le mettre en location ne veut pas dire que nous sommes dans une logique de compagnie maritime avec un coût d’entrée et un calcul basé sur un bénéfice annuel. C’est avant tout un bateau privé avec charters limités. La période de l’année pendant laquelle nous ne l’utilisons pas, il est mis à disposition des affréteurs pour le mettre en charter. Ce n’est donc pas une recherche de rentabilité, mais plus une manière de nous renforcer financièrement pendant la période où nous ne l’utilisons pas.
Un autre bateau est cité dans l’enquête parue dans Le Monde, El Nino. Est-ce qu’il vous appartient ? Et à travers quelle structure ?
En fait, il appartient à Egal (Entreprise générale d’alimentation et de logistique, NDLR). Afritec a participé à la création d’Egal. Au moment où nous sommes partis acheter le bateau, Egal était en pleine création et n’avait pas encore la structure nécessaire. Le prêt n’était pas encore accordé. Donc, Afritec a acheté ce bateau-là suite à une opportunité de vente aux enchères aux Îles Féroé. Nous l’avons rénové. C’est d’ailleurs notre devise : nous n’achetons jamais de bateaux neufs. Donc, nous avons acheté un bateau assez âgé, avant de le remettre en état pour le revendre ensuite à Egal.
Quand vous dites «revendu», est-ce moyennant de l’argent ou en parts de capital ?
Nous l’avons revendu en actions.
Est-ce que El Nino a servi au transport d’animaux sauvages pour le compte de la Ferme Espoir qui appartient au président Kabila ?
Oui, et d’ailleurs nous avons informé la presse de cette transaction. La seule ligne directe existant entre le Congo et la Namibie est exploitée par le bateau El Nino. Il n’y pas d’autres bateaux sur cette ligne. Les autres moyens de transport, routier ou avec des bateaux qui font du transbordement, ne permettraient pas le transport d’animaux entre la Namibie et le Congo. Ce serait soit trop long, soit trop risqué pour les animaux.
La Ferme Espoir a donc demandé à la Compagnie qui s’occupe de l’exploitation d’El Nino, African Logistics, de voir s’il était possible d’envisager un transport exceptionnel d’animaux tout en maintenant notre transport de poisson. Nous avions donc les animaux sur le pont et dans les cales du poisson à destination du marché congolais. C’était un cargo mixte et cette transaction n’a jamais été cachée. Les permis sont à disposition de tout le monde et il ne faut pas de recherches particulières pour les avoir. Nous comptons même bientôt publier des photos de cette opération sur le site d’Egal.
Mais la société Egal n’a pas vocation à transporter des animaux sauvages. Donc, le fait de le faire pour le compte d’un président qui prépare sa retraite braque la lumière sur les relations complexes que vos entreprises peuvent entretenir avec lui…
Pas du tout ! Il n’a jamais été dit que la société n’avait pas vocation à transporter des animaux. Les bateaux que nous avons sont des cargos multifonctions. Ils transportent de tout. Nous avons déjà transporté des bateaux ou des camions. La société qui gère les bateaux n’est d’ailleurs pas Egal. C’est African Shiping et le contrat a été signé avec cette dernière. C’était le moyen le plus abordable et le plus logique pour transporter ces animaux-là. Là en l’occurrence, ce fût sur le bateau El Nino. Pour certains transports exceptionnels, nous louons des bateaux via African Shiping pour transporter ces éléments. C’est une entreprise de logistique et elle a cherché le moyen le plus facile et le plus logique pour transporter ces animaux et a utilisé le navire El Nino qui est à 100% en gestion par African Logistics.
Pour revenir à la société Egal, cette dernière a reçu un prêt de 42 millions d’euros à sa naissance sous forme de provisions pour investissements. Est-ce que ce montant a été remboursé depuis ?
La société Egal a été créée en 2013. Nous avons une convention de remboursement négociée avec la BGFI et nous avons un temps d’installation de la compagnie qui fait que le crédit n’est pas remboursé automatiquement. Comment voulez-vous qu’une société créée en 2013 rembourse un prêt de 40 millions d’euros en 3 à 4 ans ? Nous avons un temps d’installation et de mise en fonction de la compagnie qui fait que nous ne pouvons pas rembourser le crédit tout de suite. Les crédits sont enregistrés et la banque est au fait de nos accords. Le crédit sera remboursé. C’est un crédit d’investissement pour une entreprise congolaise, justifié par des garanties de notre part. Ce n’est pas un crédit accordé à une personne. Ce n’est pas une magouille, il y a un dossier en bonne et due forme derrière ce crédit-là.
Le demande de prêt a-t-elle été formulée auprès de la BGFI ou de la Banque centrale ?
Auprès de la BGFI.
La société Egal a aussi bénéficié d’un statut particulier l’exemptant de droits d’importation ? Est-ce justifié ?
C’est justifié ! Egal a comme premier but d’obtenir du poisson pour la population congolaise à un prix très bas. Pour ce faire, nous avons négocié avec l’Etat congolais, notamment les administrations en charge de la gestion de la partie maritime du Congo. Le poisson est pêché dans les eaux congolaises et namibiennes et importé via Egal. Notre demande d’exemption de taxes a pour objectif de garantir des prix abordables sur le marché congolais. D’autres entreprises ont ces mêmes exonérations pour le poisson. Ce n’est pas une pratique exceptionnelle et ce n’est pas un chipotage de documents. Ce sont des exonérations officielles documentées.
Avez-vous pris des engagements sur les prix pour obtenir cette exonération ?
Oui. La marge d’Egal est connue et nous sommes largement en dessous des prix pratiqués sur les marchés actuellement. La population congolaise a le poisson le moins cher du Congo auprès d’Egal. Nous travaillons pour que cette population ait de la nourriture et notamment du poisson à des prix vraiment avantageux.
En ce qui concerne la société MW Afritec, un banquier de la place a avancé que celle-ci avait multiplié par 50 son chiffre d’affaires depuis 2010, grâce à la proximité avec le pouvoir…
C’est un chiffre que l’on avance pour faire sensation. Il faut se pencher sur le contexte économique du Congo. Nous avons eu une période de stabilité qui a permis à tout le monde d’investir. Nous avons des investisseurs indiens, américains ou européens qui sont installés à Kinshasa et qui ont pendant une certaine période boosté l’activité économique du Congo. Afritec et toutes les autres entreprises qui étaient déjà installées à Kinshasa, ont eu une activité qui a été multipliée au moins dix fois par rapport à la situation économique antérieure.
Le Congo sortait d’une guerre où nous n’avions quasiment aucune activité économique vers une période où l’Etat a lancé des grands chantiers et une politique d’investissement, qui ont permis à toutes les entreprises sans exception de multiplier par au moins dix leur chiffre d’affaires. Nous avons vu des buildings qui ont poussé comme des champignons dans toute la ville. Plusieurs nouveaux millionnaires qui sont apparus à Kinshasa. La stabilité économique a fait que tout le monde a pu se développer pendant cette période.
Toutefois, on parle de grands marchés publics accordés à Afritec grâce à sa proximité avec l’Etat congolais…
Non vraiment pas ! Les marchés que nous avons obtenus sont des marchés de la Banque mondiale, de l’Union européenne et de plusieurs institutions qui n’ont pas de rapport avec l’Etat congolais. Cela a fait l’objet de soumission d’offres de notre part. La proximité avec l’Etat congolais ne nous a jamais été favorable. Nous ne sommes d’ailleurs pas particulièrement heureux de travailler avec l’Etat, vu qu’à ce jour nous avons plusieurs millions de dollars d’arriérés et nous savons que quand le pouvoir va changer, cet argent-là sera perdu pour nous. Donc le fait de travailler avec l’Etat congolais n’a jamais été bénéfique pour nous d’un point de vue financier.
Les révélations de l’enquête publiée par Le Monde tombent à un moment où certains proches du président Kabila ont été touchés par des sanctions internationales. Ne craignez-vous pas que ces révélations puissent vous attirer des sanctions similaires ?
Le journal Le Monde a bien calculé son coup. Ils ont essayé de toucher tous les proches de Kabila sans avoir l’effet escompté. Et maintenant, ils commencent à s’attaquer à des compagnies privées qui ont eu un rapport avec le chef de l’Etat. Je trouve cela faible de leur part. Ils ont donc calculé leur coup pour créer un scandale. Nous n’avons pas d’inquiétude à avoir puisque tous nos éléments sont publics. Les déclarations d’impôts, les entrées de fonds d’Afritec, etc. Tout est connu pour les personnes qui cherchent l’information.
Si nous avons une demande de contrôle, nous fournirons tous les éléments y compris pour le bateau Enigma, les activités d’Afritec ou toute autre activité que nous avons au Congo. La quasi-totalité de nos avoirs est à Kinshasa et nous n’avons pas d’inquiétude à avoir sur des sanctions, car nous n’avons rien à cacher. Nous avons d’ailleurs toujours été ouverts aux journalistes pour répondre à leurs sollicitations, y compris Le Monde qui nous fait un procès. Nous avons répondu à leurs questions et nous avons même révélé l’appartenance d’Enigma à Afritec en donnant tous les éléments. Eux, ils ont interprété dans un autre sens pour créer un scandale.
Le second mandat du président Kabila est arrivé à échéance en décembre 2016. Depuis, il y a une vraie crise politique au Congo qui fait craindre un débordement violent, préjudiciable pour les affaires. Comment voyez-vous les semaines et les mois à venir ?
Nous sentions la crise venir avant même décembre 2016. Les investissements étrangers s’étaient arrêtés. Les entreprises ne mettaient plus leurs fonds dans la construction. A travers notre présence dans le secteur du BTP, nous voyions venir la crise. La crise est là depuis au moins un an, avant décembre 2016. Aujourd’hui, cela s’accentue. Le taux dollar/franc congolais n’arrête pas de chuter. Donc, la population aura de moins en moins de moyens et on risque de se retrouver dans une situation comme celle de 1992, avec des pillages et des populations qui s’attaquent à ceux qui ont les moyens. Etant ciblés par les journaux et affichés comme multimillionnaires dans les articles, nous serons une cible privilégiée pendant ces attaques.
Comment vous préparez-vous en conséquence ? Est-ce que vous considérez l’option de redéployer vos activités dans un autre pays ?
Non, nous n’avons pas le choix. Nous n’avons pas d’autre pays que le Congo. Nous n’avons pas d’autre endroit pour nous développer que le Congo. Nous ne pouvons pas lâcher toute une vie et repartir ailleurs. Nous n’avons d’autres choix que de rester à Kinshasa pour maintenir notre activité. La quasi-totalité de nos actifs, nos maisons, etc., sont à Kinshasa. Donc, nous ne pouvons pas nous exiler. Nous sommes obligés de rester sur place et nous le ferons avec plaisir. Les Congolais qui nous connaissent savent que nous n’avons jamais voulu nous afficher et savent comment nous sommes. A part les personnes incultes qui ne sont là que pour la violence, le reste de la population va savoir qui nous sommes et ce que nous avons fait à travers nos actions par le passé. Nous espérons pouvoir éviter les représailles inutiles des personnes malintentionnées.
Propos recueillis par Aziz Saïdi