Félix-Antoine Tshilombo Tshisekedi (Fatshi) a regagné Kinshasa au début du dernier week-end, au terme d’une de ses multiples randonnées occidentales aux frais de ses mentors belges (le MR à Bruxelles) et congolais (Moïse Katumbi). Et qui ne sont pas pour rassurer ceux qui croyaient, jusqu’il y a peu que l’imperium, c’est le peuple rd congolais qui en décidait. Tant il saute aux yeux de tous que pour le successeur d’Etienne Tshisekedi, l’accession au pouvoir d’Etat passe obligatoirement par les capitales européennes beaucoup plus que par les urnes rd congolaises. Quelques jours avant son retour à Kinshasa, Fatshi s’était précipité à Paris en France, pour féliciter le nouveau Président de la République française, Emmanuel Macron, pour son élection. L’héritier autoproclamé aux trônes paternels au sein de l’UDPS et dans l’arène politique nationale s’est empressé de faire savoir à travers des postings sur internet sa présence au Louvre aux côtés de dizaines de milliers de français qui fêtaient la victoire de leur idole. Des photos de Fatshi dans une foule à quelques mètres du nouveau Chef d’Etat français ont été utilisées pour accréditer ce qui a été présenté comme un véritable exploit. Un peu comme le font tous les adolescents qui, de passage à Paris ou dans une des célèbres capitales du monde, conservent pour l’éternité une photo en compagnie d’une vedette sportive ou du show bizz particulièrement adulée.
Au Louvre pour applaudir
Néanmoins, ce que Fatshi et son entourage présentent comme un exploit politique d’envergure n’est pas du goût de tout le monde. A Kinshasa, certains ont vite décrié le comportement de cet élu aux plus hautes fonctions étatiques, qui s’est payé le déplacement de Paris pour applaudir dans l’anonymat de la masse le Président d’un pays étranger, place du Louvre. Pour nombre d’observateurs qui s’en sont confiés au Maximum, l’expédition de Paris trahit une carence de patriotisme et de nationalisme, une extraversion de la pensée politique que beaucoup reprochaient déjà à son illustre géniteur défunt. A force de courir derrière quiconque, en Europe Occidentale ou ailleurs, peut lui tendre l’échelle qui mène au sommet, le fils Tshisekedi semble prêt à brader son pays pour cet imperium loupé par « Papa » des décennies durant.
Tout se passe, en effet, comme il y a près d’une décennie maintenant, lorsqu’accédait au pouvoir d’Etat aux Etats-Unis d’Amérique, un candidat d’origine kényane, Barack Obama. L’exploit, inimaginable quelques années plus tôt, avait fait rêver plus d’un sur le continent noir, où d’aucuns avaient cru naïvement que le nouveau locataire de la Maison Blanche ne pouvait que faire la part belle à l’Afrique dans sa conduite des affaires américaines. Après 10 ans de mandat, les uns et les autres se sont rendus à une évidence : élu par les Américains, Barack Obama a œuvré pour ses électeurs, et non pas pour ses lointains géniteurs, en défendant leurs intérêts bien compris.
Effusion
En RD Congo, ceux qui réfléchissent différemment de Fatshi ne sont pas loin des mêmes conclusions, s’agissant de ce que les Africains sont en droit d’attendre des dirigeants des puissances étrangères, particulièrement occidentales. Et déplorent l’effusion qui a commandé l’expédition de Fatshi au Louvre, comme un vulgaire badaud. Parce qu’élu par les Français pour les sortir, entre autres, d’une crise économique qui fait le lit d’un taux de chômage rarement atteint dans l’Hexagone, autant que pour assurer un avenir économique rassurant à son pays, Emmanuel Macron n’aura pas d’autre choix, lui aussi, que d’appliquer envers l’Afrique une politique qui serve avant tout les intérêts nationaux français. Sur le sujet, les observateurs les plus avisés semblent, du reste, unanimes : sur le continent, le nouveau président français poursuivra la politique de ses prédécesseurs, quoiqu’il prétende.
Exploits ignorés de la politique africaine de la France
Quelle a été la politique africaine française sous François Hollande et son prédécesseur, Nicolas Sarkozy ? Sur ce dernier, personne en Afrique n’est près d’oublier que c’est l’homme qui, avec le concours des démocrates au pouvoir aux Etats-Unis, a réussi l’exploit de déstabiliser de larges pans du continent avec l’élimination et l’assassinat de Mouammar El Kadhafi et la destruction de la Libye, un des pays économiquement les plus prospères du continent. Tandis que son successeur, François Hollande, qui avait prétendu mettre un terme à la françafrique de triste mémoire, n’a rien pu faire d’autre que louvoyer entre les sentiers néo-colonisateurs tracés pour exploiter le continent au profit de la France. En envoyant au Mali un corps expéditionnaire français, comme pour tenter de colmater les brèches ouvertes par son prédécesseur au nom des intérêts français. Mais outre que tout le monde sait désormais que la présence militaire française au Mali n’a rien de philanthropique, compte tenu des ressources du sol dont regorge ce pays sahélien, cette réédition des exploits de la françafrique décriée est loin de tenir toutes les promesses sécuritaires qui l’ont motivée. La France de François Hollande en Afrique, c’est tout de même aussi celle de cette défenestration, au propre comme au figuré, du Burkinabè Blaise Compaoré, chassé « par la rue » vers la Côte d’Ivoire voisine où il se la coule douce, laissant ses compatriotes croire à un changement de pouvoir dans leur pays pourtant demeuré dans l’escarcelle de l’Hexagone.
L’épisode gabonais
Mais c’est au Gabon et au Congo-Brazza voisin que la politique africaine de la France aura le plus démontré à la face du monde combien il est quasi impossible aux anciens colons de fiche la paix (au propre comme au figuré, ici aussi) et laisser s’émanciper leurs anciennes colonies. Au pays du défunt Omar Bongo Ondimba, Paris a préféré ce qu’elle a considéré comme une tranquille continuité en soutenant à bras le corps l’élection du fils du président de la République, Ali ben Bongo Ondimba, sensé protéger ses intérêts, notamment pétroliers. C’est donc sans grande surprise que l’aîné des Bongo accède à la magistrature suprême gabonaise début septembre 2009. Mais le jeune Chef de l’Etat met en œuvre une politique quasi révolutionnaire en faisant valoir la priorité des intérêts du Gabon et des Gabonais. Concrètement, Ali Bongo rompt le monopole des entreprises françaises dans de nombreux domaines, notamment celui de l’exploitation forestière, une des principales ressources du Gabon. Mais surtout, le jeune Chef de l’Etat a fait majorer la part de l’Etat gabonais dans la toute puissante Elf, tout en mettant un terme à la fiscalisation complaisante et de faveur dont bénéficiait le pétrolier. Un véritable ‘casus belli’ qui lui vaut aujourd’hui de se voir préféré à un autre leader gabonais, Jean Ping, son adversaire de la présidentielle 2016, en qui la France a jeté son dévolu. La suite est connue, le protégé de Hollande a été vaincu mais reste soutenu par l’Hexagone qui joue des pieds et des mains pour reprendre pied dans cette partie de son ancien pré-carré africain. Parce que, non seulement Ali Bongo Ondimba a cassé moult monopoles improductifs pour son pays, mais il a fait place nette pour les asiatiques, plus précisément les Chinois, comme tout le monde sur le continent. Tandis qu’au Congo-Brazza en face de Kinshasa, la France de Hollande n’a rien trouvé à redire à la révision constitutionnelle qui a permis à Denis Sassou Ngouesso de rempiler pour un énième mandat présidentiel après avoir épuisé son quota.
Que peut donc attendre Félix-Antoine Tshilombo Tshisekedi du nouveau président de la République française, Emmanuel Macron, qui soit compatible aux intérêts de la RD Congo ? Faire partir Joseph Kabila du pouvoir ? Par quelle alchimie ?
En admettant que cela soit possible et inévitable, il reste tout de même à savoir ce que le fils Tshisekedi compte faire si, d’aventure, le pouvoir suprême dans son pays lui tombait entre les mains ; comment il va rendre l’ascenseur à ses « amis » occidentaux pour qui priment, on le sait, les intérêts de leurs propres pays. Des intérêts qui, on le sait aussi, tournent autour du contrôle des matières premières essentielles à la survie de leur pays (même au détriment des pays africains et notamment de la RDC !). Entre les deux maîtres, qui choisira-t-il de servir ?
Pour nombre d’analystes avertis du continent et de la RD Congo, Félix-Antoine Tshisekedi à Paris ou ailleurs en Europe, c’est du « donnez-moi l’imperium et je vous laisse la voie libre chez nous ». Un type de dirigeant que le pays a déjà vu à l’œuvre sous le deuxième République et dont il n’a plus besoin, plusieurs décennies de colonisation et d’exploitation néocoloniale éhontée après.
J.N.