C’est en principe vendredi 12 mai 2017 que la dépouille mortelle d’Etienne Tshisekedi wa Mulumba, décédé voici un peu plus de trois mois, le 1er février dernier dans une clinique bruxelloise, devait être rapatriée. Et que des obsèques grandioses devaient lui être consacrées à Kinshasa et au-delà, probablement. « Obsèques grandioses » ? Tout indique que celui que la direction actuelle de l’UDPS, le parti politique créé à la fin des années ’70 par un groupe de parlementaires emmenés par celui que l’on a surnommé « le sphinx de Limete », en raison de son opposition invariable à tout pouvoir politique établi, a résolu de faire de donner à ces funérailles la connotation d’une contestation violente au régime en place.
Mort à 84 ans à la Clinique Ste Elisabeth de la capitale belge de suites d’une embolie pulmonaire, le vieil opposant a été, en fait, surpris en plein corps-à-corps contre Kabila pour arracher – beaucoup plus pour ses successeurs que pour lui-même – ne fût-ce qu’une parcelle du pouvoir d’Etat en RD Congo. Dès le second semestre 2015, Etienne Tshisekedi avait engagé des pourparlers secrets, par ses proches, notamment MM. Tendayi, le Dr. Oly Ilunga et Joseph Kapika interposés, avec des délégués du Président Kabila à Ibiza en Espagne et à Venise en Italie. Objectif de ces rencontres organisées dans la plus grande discrétion : baliser la voie vers l’organisation des élections crédibles, transparentes et apaisées, contrairement aux confrontations qui avaient suivi les deux scrutins précédents (2006 et 2011). C’était déjà le pré-dialogue politique rd congolais qui, pourtant, capotera à la mi-septembre 2015, lorsque le président de l’UDPS, circonvenu selon certaines sources par son fils Félix Tshilombo Tshisekedi et l’ex. Gouverneur Moïse Katumbi, a annoncé le retrait de sa délégation.
Relancées grâce à l’entregent du Togolais Edem Kodjo, l’ancien secrétaire général de l’Organisation de l’Unité Africaine, chargé entre temps par Mme Nkosazana Dlamini Zuma, alors présidente de la Commission de l’Union africaine, de faciliter les pourparlers inter congolais, les discussions entre les deux parties avanceront jusqu’à un accord des parties tshisekedistes et kabilistes sur l’ordre du jour, le contenu, le format et la durée du dialogue à tenir à Kinshasa. Avant qu’Etienne Tshisekedi wa Mulumba, sur l’instigation du duo Katumbi – Tshilombo, ne se rebiffe une fois de plus et convole en noces intéressées avec le richissime homme d’affaires sud katangais et son frère Katebe Katoto, qui lui auraient fait miroiter la possibilité de capturer le pouvoir à lui tout seul pendant une transition aussi longue possible, plutôt que d’avoir à le partager avec un Joseph Kabila que les « maîtres du monde » (les Belges Louis Michel, Didier Reynders, les Français François Hollande et Jean Marc Ayrault et les Américains Hilary Clinton et Tom Periello, ndlr) auraient décidé de « rayer de la carte » avant septembre 2016.
Circonvenu par des les faiseurs de rois
Début juin 2016, à l’instigation des néolibéraux au pouvoir en Belgique décidés de reprendre pied sur l’ancienne colonie, et qui semblent avoir jeté leur dévolu sur l’ancien gouverneur de l’ex province du Katanga, Moïse Katumbi Chapwe, un conclave avait rassemblé plusieurs dizaines de membres de l’opposition politique rd congolaise à Genval dans la banlieue de Bruxelles où ils avaient été invités tous frais payés. Le conclave s’est clôturé le 10 septembre 2016 par la signature d’un « acte d’engagement » qui, pour l’essentiel, prenait le contre-pied parfait de l’organisation d’un dialogue balisant la voie vers la tenue d’élections pacifiques au Congo-Kinshasa où les mentors planifiaient plutôt une version tropicale des printemps arabes. C’est ce qu’illustre le ton belliqueux tenus par Martin Fayulu, bruyant acteur politique de l’opposition rd congolaise qui plastronne au-dessus d’un minuscule parti politique. « Le pouvoir doit être contraint d’accepter, simplement parce que nous allons accompagner toutes ces décisions avec des actions sur le terrain. Et ces actions feront en sorte que Monsieur Kabila et ses amis acceptent. S’ils n’acceptent pas – vous savez la Constitution nous donne le droit de le faire partir – nous dirons à Monsieur Kabila, il n’y a pas 36 solutions. La seule solution, c’est respecter la Constitution. Et nous pensons qu’il ne voudra pas que le sang des Congolais soit versé inutilement, on en a pas besoin », a-t-il déclaré à des confrères de la presse belge.
Du conclave de Genval, Etienne Tshisekedi est sorti affublé du titre de président du conseil des sages du Rassemblement de l’opposition, avec la mission de rallier ses sympathisants nombreux à Kinshasa à son dernier baroud contestataire de l’ordre établi. Le but était bien de « dégager » Joseph Kabila avant même le terme de son second et dernier mandat, malgré les prescrits de la constitution selon lesquels le Président de la République (à l’instar de toutes les institutions à mandat électif, du reste) reste en place jusqu’à son remplacement par un nouveau Président élu.
Lorsqu’il rentre à Kinshasa le 27 juin 2016 après une absence de plusieurs années pour raisons de santé et reçoit un accueil triomphal de ses partisans, Etienne Tshisekedi engage ses dernières ressources physiques malmenées par l’âge et la maladie. Dans son entourage immédiat, tout le monde le sait et s’en inquiète mais Félix Tshilombo, son fils, tient à le voir livrer ce qu’il croit être le combat de la gagne. Malgré les consignes médicales qui astreignent le vieil opposant au repos et lui recommandent de retourner en Belgique au plus tôt (pas plus d’un mois selon des sources proches de la famille), il ne se ménagera pas et se répandra en meetings populaires, réceptions, négociations qui affecteront irrémédiablement son état de santé. Parce que contrairement aux prévisions de ses amis belges et katumbistes, Kabila ne courbera pas l’échine sous les coups de boutoir des combattants de l’opposition qui avaient battu le pavé, incendié des édifices publics et tué des policiers les 19, 20 et 21 septembre 2016, puis aux mêmes dates les mois suivants. Le flegmatique quatrième président rd Congolais fera preuve de plus de résilience que ne lui prêtaient ses ennemis jurés qui durent réviser leurs calculs. Force leur fut d’envisager le retour à une nouvelle table de négociations, sous l’égide des princes de l’église catholique romaine rd congolaise cette fois-ci. Qui aboutirent ‘in extremis’ au fameux accord de la St Sylvestre conclu le 31 décembre 2016 au centre catholique interdiocésain de Kinshasa et dont on ne peut pas dire que le ‘lider maximo’ en soit sorti grand vainqueur. Etienne Tshisekedi était, certes, unanimement proposé à la présidence du Comité de Suivi de l’Accord et du Suivi du processus électoral (CNSA). Mais tout restait suspendu aux négociations sur les mesures d’application des dispositions les plus substantielles de l’accord portant sur le partage du pouvoir durant la période pré-électorale et électorale, le fils de Mzee Kabila ayant réussi à faire imposer par son excellente équipe de négociateurs que la constitution devait être « strictement respectée » en l’espèce.
Le baroud de trop
Etienne Tshisekedi est mort 31 jours après la conclusion de l’accord de la St Sylvestre sans avoir réussi à démolir l’ordre politique établi par la constitution en vigueur en RD Congo, comme il en avait pris l’engagement auprès de ses amis néolibéraux belges et leurs affidés congolais, mais c’est néanmoins le combat que semble décidée à poursuivre une partie de sa succession, manifestement coachée par l’alliance constituée à cette fin par Bruxelles et Moïse Katumbi, candidat déclaré à la prochaine présidentielle.
C’est ce qui explique que dès les lendemains du décès du sphinx de Limete, début février dernier, une partie de la famille biologique et politique se lance désespérément dans la recherche d’un affrontement irrationnel avec le pouvoir en place à Kinshasa, apportant même un appui insensé à des groupes terroristes qui sèment la mort et la désolation dans l’espace kasaïen, selon des sources bien informées. Même si Joseph Kabila et son gouvernement jouent à l’apaisement en mettant en place une structure gouvernementale coiffée par le vice-premier ministre en charge de l’Intérieur et des affaires coutumières. Le 7 février 2017, le gouvernement annonçait en effet la mise à disposition d’un avion spécial pour rapatrier la dépouille d’Etienne Tshisekedi wa Mulumba ainsi que tous les membres de sa famille se trouvant en Belgique. Mais aussi, que le Palais du Peuple de Kinshasa, bâtiment emblématique qui sert de siège aux deux chambres parlementaires était choisi, conjointement avec la famille, comme lieu d’exposition de la dépouille de l’illustre disparu pour le recueillement aussi bien que pour les hommages officiels et populaires. « A la demande de la famille, le gouvernement a mis à disposition les titres de voyage pour l’ensemble des membres de cette famille et pour un certain nombre de cadre de l’UDPS qui doivent se rendre en Belgique pour revenir avec le corps », avait révélé alors, dans la foulée des contacts entre le gouvernement et la famille biologique du défunt, le Ministre Lambert Mende Omalanga, porte-parole du gouvernement. Il a indiqué également que le lieu d’inhumation d’Etienne Tshisekedi ferait l’objet de discussions entre le gouverneur de la ville de Kinshasa et la famille du défunt. De fait, la municipalité de la capitale, dont c’est la compétence légale, avait offert un carré au cimetière de la Gombe où d’importants travaux d’érection d’un mausolée estimés à un quart de million de dollars américains, seront prestement entrepris. Avant d’être brusquement stoppés à la suite du refus aussi inattendu que tonitruant de la famille biologique du défunt et de son parti politique.
Bras de fer funéraire
En effet, alors qu’une partie de la famille s’était accordée avec les autorités à ce sujet, la frange extrémiste avec à sa tête Félix Tshilombo a cru devoir imposer ses conditions. Par la bouche de son secrétaire général, le très katumbiste Jean-Marc Kabund, le parti déclina carrément une offre dont la partie financière relative au déplacement d’une délégation sur Bruxelles avait dûment été acceptée et perçue : le parti « ne reconnait aucun autre comité parallèle, notamment celui rendu public par le gouvernement », a-t-il asséné sans ménagement. Avant de poser ses conditions à l’enterrement de ‘lider maximo’ de l’UDPS, à savoir « l’érection d’un mausolée au centre-ville de Kinshasa où sera gardé pour l’éternité le corps du père de la démocratie congolaise », et « la prise en charge de tous les frais liés aux obsèques par l’Etat congolais à travers le gouvernement de large union nationale en vue ». Dès le départ en effet, le parti tshisekediste, tout au moins la tendance coachée par Félix Tshisekedi et Jean-Marc Kabund, conditionnait clairement le rapatriement et l’inhumation du leader défunt à l’évolution politique en sa faveur des tractations politiques en cours. Ce dont le volubile Jean-Marc Kabund n’a jamais fait mystère « Le seul cadre politico-juridique qui devra régir l’espace politique congolais est l’accord de la Saint-Sylvestre », avait-il décrété, avant de rappeler « la nécessité et l’urgence de mettre en œuvre l’accord global inclusif du 31 décembre 2016, de manière intégrale pour déscriper la situation politique du pays avant les cérémonies funéraires de notre Président National ». En deux mots comme en mille, Limete rêvait de l’organisation des obsèques de son « sphinx » par un gouvernement dirigé par son fils, Félix Tshilombo Tshisekedi. Et rien moins que cela !
Sans attendre le règlement du contentieux successoral au sein du parti paternel, Félix Tshilombo Tshisekedi s’était ainsi mis à la chasse à l’imperium en jouant des pieds et des mains, jusqu’à instrumentaliser la dépouille de son géniteur pour se faire désigner Premier ministre tout en imposant aux membres de son parti que les fonctions de président du Conseil des sages confiées au N°1 de l’UDPS tombent dans l’escarcelle du Katumbiste Pierre Lumbi. Une manœuvre politique qui mettait à nu les accointances en forme d’OPA entre Moïse Katumbi et le fils de Tshisekedi et qui a contribué à la désintégration en plusieurs franges de la plate-forme politique de l’opposition née quelques mois plus tôt à Genval à Bruxelles, éloignant irrémédiablement toute perspective d’accession à la primature de Tshilombo.
Rapatriement en forme de déclaration de guerre
Las d’attendre, mais très pressé d’accéder au pouvoir, le camp de Tshisekedi junior choisit alors d’exercer de nouvelles pressions sur Joseph Kabila et le gouvernement. En se servant du spectre du corps du fondateur de l’UDPS entreposé pour les besoins de la cause dans une morgue, ou un caveau, de Bruxelles.
Samedi 6 mai 2017, Jean-Marc Kabund, toujours lui, convoque la presse au siège du parti à Limete pour annoncer, sous la forme d’un défi, le rapatriement de la dépouille mortelle d’Etienne Tshisekedi le 12 mai. Le parti a, selon lui, décidé de son inhumation dans la parcelle d’habitation qui abrite le siège du parti sur le Petit Boulevard à la hauteur de la 10ème rue Limete, donc. Le secrétaire général de l’UDPS assure devant la presse que le parti a parcouru la législation en la matière, qui ne s’y oppose pas. De toute évidence, il ment parce que tout le monde connaît la règle selon laquelle il ne peut être inhumé de corps humain à moins de 50 mètres des limites d’un cimetière ou de sites d’habitations. Encore que pour ériger de constructions d’importance dans la ville de Kinshasa, une autorisation de bâtir en bonne et due forme soit requise. Pour couronner le tout, si le secrétaire général de l’UDPS oublie ou feint d’oublier, l’opinion à Kinshasa se rappelle qu’au terme d’une réunion extraordinaire, le conseil des ministres du gouvernement central avait exclu toute option d’inhumation sur un site urbanisé habité. Les obsèques annoncées par l’UDPS, qui du reste se limitaient à annoncer de manière tonitruante le rapatriement de la dépouille mortelle d’Etienne Tshisekedi sans communiquer la suite du programme, n’étaient rien moins qu’un appel à l’affrontement.
Jeudi 5 mai 2017, l’opinion kinoise apprenait que l’UDPS avait requis l’expertise d’un architecte belge qui entreprenait, déjà, des travaux d’érection d’un mausolée au siège du parti à Limete. Ainsi que les déboires connues par cet entrepreneur qui aurait été interpellé et convoqué par les services de police pour avoir engagé des travaux sans autorisation de bâtir. Dans la foulée, des contacts avec la mairie de Kinshasa étaient annoncés sans vraiment livrer à l’opinion un programme précis des funérailles. Le 9 mai, l’UDPS sollicitait des autorités le Palais du Peuple pour y tenir les obsèques de feu Etienne Tshisekedi. Sans que la correspondance, signée par l’inénarrable Kabund, ne donne aucun renseignement daté qui permettrait aux présidents des deux chambres du parlement en session au Palais du Peuple d’apprécier le timing d’un événement dont l’occurrence devait avoir pour conséquence de suspendre les travaux des élus. « Nous vous demandons de bien vouloir accorder l’exposition de sa dépouille au Palais du peuple le jour de l’arrivée du corps à Kinshasa jusqu’à l’enterrement suivant le programme officiel des obsèques qui vous sera communiqué », écrit hardiment l’effronté Jean-Marc Kabund. Dans sa réponse, Aubin Minaku, le speaker de la chambre basse du parlement, se contentera de demander davantage de détails à ses correspondants, pour pouvoir se concerter utilement avec son collègue du Sénat, Léon Kengo wa Dondo.
Le même 9 mai, André Kimbuta Yango, le gouverneur de la ville province de Kinshasa répondait lui aussi aux impétrants de la 10ème rue Limete : « Je vous invite au respect des prescrits de la législation en la matière », écrit le numéro 1 de l’exécutif de la capitale. Qui rappelle que « L’ordonnance du 4 septembre 1909 sur les cimetières, du 13 février 1949 sur l’exhumation et transfert, du 15 mars 1950 sur le service des inhumations et police des cimetières ainsi que l’arrêté du gouverneur général du 16 mai 1907 sur les concessions de sépultures, ces textes renseignent, entre autres, qu’aucune inhumation ne pourra avoir lieu que dans un terrain affecté aux inhumations, aucune habitation ne peut être élevée à une distance inférieure à 50 mètres des cimetières. Eu égard à ce qui précède, votre proposition de procéder à l’inhumation de l’illustre disparu au siège de votre parti politique ne saurait être retenue pour non-conformité à la loi. ». André Kimbuta rappelle aussi les conditions requises pour la sécurisation du rapatriement de la dépouille d’Etienne Tshisekedi, que l’UDPS semble avoir ignoré : « Pour permettre à la police d’assurer une bonne sécurité (et) de faire correctement son travail, il vous faut fournir les détails sur le plan de vol, l’itinéraire à suivre par le cortège funèbre, la confirmation du lieu d’exposition ainsi que le programme définitif de l’organisation mise en place… ».
Mardi 10 mai, à 48 heures du retour annoncé de la dépouille mortelle d’Etienne Tshisekedi wa Mulumba à Kinshasa, l’opinion et les responsables de la sécurité de la capitale rd congolaise ignoraient encore tout ou presque du programme des obsèques de l’illustre disparu. En dehors du fait que le corps serait « gardé à la morgue de l’hôpital du Cinquantenaire, en attendant un programme à venir ». C’est alors que des échauffourées sont signalées devant le siège de l’UDPS à Limete. Un véhicule de la police en stationnement sur le Petit Boulevard venait d’être incendié dans la matinée, de même que les tentes érigées par les forces de l’ordre sur un espace vert mitoyen pour sécuriser le quartier où on indiquera qu’un groupe de malfrat avait pillé la petite armurerie qui y était entreposée avant de s’en prendre, armes à la main, au poste de la police de la 10ème rue Limete. C’est après la descente musclée des unités anti-émeutes pour récupérer les armes et munitions emportées que l’UDPS publiera un communiqué annonçant avoir « renvoyé le rapatriement de la dépouille du Président Etienne Tshisekedi à une date ultérieure (car) son siège avait fait l’objet d’une attaque de la police ». Il appert clairement que les obsèques annoncées d’Etienne Tshisekedi wa Mulumba pour le 12 mai n’en étaient pas : l’UDPS aurait voulu déclarer la guerre au pouvoir en place qu’il ne s’y serait pas pris autrement. Le parti d’Etienne Tshisekedi aura ainsi exploité jusqu’au bout le trait caractéristique du disparu : la contestation de l’ordre établi. Sans atteindre l’objectif d’ébranler Joseph Kabila.
J.N.