De la lointaine Belgique où séjournait encore, jeudi 9 février 2017 dans la journée, une partie de la délégation de la Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO), l’Abbé Donatien Nshole, son secrétaire général adjoint, est précipitamment et bruyamment sorti du bois. Et de l’obligation de réserve qui s’impose à un préposé des bons offices dans une négociation. Interviewé par la radio allemande Deutsche-Welle (DW), le révérend, confirmant la réputation de partisan acharné du RasOp qui lui colle à la peau, s’est laissé aller à un exercice d’interprétation de l’accord politique de la Saint Sylvestre qui n’est pas du goût de certaines parties prenantes à cette entente politique laborieusement obtenue au centre interdiocésain de Kinshasa le 31 décembre dernier. En réponse à une question sur le remplacement de Monsieur Etienne Tshisekedi wa Mulumba qui avait été désigné président du Conseil National de Suivi de l’Accord et du Processus (CNSA) peu avant son décès le 1er février, Donatien Nshole a déclaré sans ambages que la fonction revenait, « conformément à l’accord conclu », au président du Conseil des sages du Rassemblement des forces politiques et sociales acquises au changement. « Le nom d’Etienne Tshisekedi ne figure pas sur l’accord, c’est du président du conseil des sages du Rassemblement qu’il est question », a cru devoir expliciter le prêtre catholique dont les propos ont été repris par nos confrères de la Radio Top Congo dans leurs éditions du journal parlé du jour.
Cet avis n’est pas partagé par tout le monde. Particulièrement dans les rangs de la Majorité Présidentielle (MP) et de l’opposition signataire de l’accord de la Cité de l’Union africaine dont des délégués, joints par Le Maximum, se sentent comme floués par ce prêtre, chargé du secrétariat de la facilitation des discussions directes de la CENCO. « Etienne Tshisekedi, Président du Conseil des Sages du Rassemblement n’a pas été désigné ès qualité pour occuper les fonctions de président du Conseil National de Suivi de l’Accord. C’est bien intuitu personae, en raison de sa longue lutte politique, qu’unanimement les parties prenantes avaient convenu de jeter leur dévolu sur lui pour cette responsabilité hautement symbolique », a expliqué au Maximum un délégué de l’opposition politique joint au téléphone jeudi dans l’après-midi. Un point de vue largement partagé dans la famille politique de Joseph Kabila, la Majorité Présidentielle, où certains poussent l’analyse jusqu’à reprocher à l’Abbé Nshole d’usurper des prérogatives qui ne lui reviennent pas. Ceux des évêques, dont le prêtre de Kinshasa n’est que le plumitif et porte-parole : « sur ce type de question, même ses supérieurs, les évêques qui conduisent une mission de bons offices entre les parties prenantes au centre interdiocésain de Kinshasa auraient été en devoir de faire montre discrétion », s’indigne un expert de la MP pour qui « en se répandant ainsi en conjectures sur les ondes des radios étrangères, Monsieur l’Abbé Nshole commet une véritable forfaiture ». Mais Nshole a aussi pris sur lui, c’est autrement plus grave, de s’accaparer de prérogatives qui reviennent exclusivement aux parties prenantes à l’accord de la Saint Sylvestre : « C’est nous (parties prenantes, ndlr) qui avons convenu de confier ces responsabilités au vieux Tshisekedi. Il nous revient donc de rediscuter de la question pour décider de son remplacement. Personne n’a confié à l’Abbé Donatien Nshole, ni même à ses patrons de la CENCO, le droit d’interpréter quelque partie que ce soit de l’accord intervenu entre nous », explique un autre délégué de la MP qui s’est confié au Maximum.
La sortie médiatique du secrétaire général adjoint de la CENCO n’aura donc pas été pour faciliter des bons offices qui tirent déjà un peu trop en longueur, du goût de l’opinion publique à Kinshasa et en RD Congo. Partis en Europe pour une mission pastorale d’une semaine, les évêques de la CENCO ont multiplié des rencontres politiques et diplomatiques sur le vieux continent, en Belgique notamment ; des rencontres dont on peut questionner utilement les fondements et la rationalité. Sur la toile, des images des évêques, posant pour la postérité avec le vice-premier ministre et ministre belge des affaires étrangères, le très anti-kabiliste Didier Reynders, ou encore avec le belge d’origine congolaise, Floribert Anzuluni « activiste » des droits humains en RDC, sont proches du buzz. Mais aucune perspective de reprise des négociations directes interrompues alors qu’elles butaient sur la procédure de désignation et de nomination du futur 1er ministre du gouvernement d’union nationale, fin janvier 2017.
La « mission pastorale » cléricale semble avoir ainsi viré en tournée politico-diplomatique pour des ecclésiastes qui n’ont reçu aucune mission des autorités congolaises compétentes à cette fin. Des contacts un peu à l’image des croisades antigouvernementales auxquelles l’opposition politique rd congolaise a habitué l’opinion en RD Congo depuis les dernières années Mobutu. Les évêques, c’est à la queue-leu-leu, un à un, qu’ils retournent au pays, selon les sources du Maximum. Mgr Fridolin Ambongo de Mbandaka Bikoro était déjà retourné au pays depuis le début de la semaine et avait rejoint son diocèse de Mbandaka Bikoro alors que l’Abbé Nshole s’exerçait à l’exégèse de l’accord politique du 31 décembre sur les ondes d’une radio étrangère. La suite de la facilitation, déjà compliquée par le décès le 1er février dernier d’Etienne Tshisekedi, pourrait s’avérer plus laborieuse que prévue. Et offrir aux prélats l’occasion d’envoyer leurs foudres prophétiques sur la majorité présidentielle. Car, cela aussi, Nshole l’a dit en réponse à une question de la DW : si les négociations échouent, les évêques appliqueront leur plan B qui consiste en l’exploitation des « pouvoirs prophétiques » (sic !) qui seraient les leurs, a encore expliqué le très prolixe prêtre kinois.
A l’évidence, les évêques de la CENCO débordent carrément de la mission de bons offices leur confiée par le Président de la République sur pied de son pouvoir d’arbitrage prévu par l’article 69 de la constitution rd congolaise, selon nombre d’observateurs. Dont les autres confessions religieuses actives en RD Congo, qui dissimulent de plus en plus mal leur gêne : « l’Eglise catholique est en passe de devenir une institution légale et officielle dans un Etat laïc. C’est inacceptable ! », se lamentait un pasteur d’une église de réveil très proche des milieux politiques en RD Congo et en Europe. « C’est une pente dangereuse car elle porte les germes de la violation du principe constitutionnel de la laïcité de l’Etat qui est proclamé à l’article 1er de la constitution », estime-t-il.
J.N.