Un mythe rd congolais a disparu lundi 1er février 2017 à Bruxelles. Etienne Tshisekedi wa Mulumba, le président de l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social, UDPS, a succombé à une embolie pulmonaire à la Clinique Ste Elisabeth de la capitale belge. Agé de 84 ans, celui que ses partisans surnommaient affectueusement ‘lider maximo’ avait gagné la capitale belge une semaine plus tôt, le 24 janvier dernier à bord d’un jet privé. Une évacuation d’urgence, à ce qu’il paraît mais qui avait été présentée par ses proches comme un check up de routine. Probablement en raison de la conjoncture politique du moment en RD Congo : le dernier voyage d’Etienne Tshisekedi intervenait une semaine avant la fin (théorique) du second round des négociations politiques du Centre interdiocésain de Kinshasa entre son Rassemblent des forces politiques et sociales acquises au changement et la Majorité Présidentielle (MP), facilitées par les évêques de la Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO) ; et un peu moins d’un mois après que les parties en présence aux pourparlers du Centre interdiocésain eurent convenu de lui confier ‘intuitu personae’ les rênes du Conseil National de Suivi de l’Accord et du Processus Electoral (CNSA) au terme de l’accord politique intervenu le 31 janvier dernier. Une nouvelle institution d’appui à la démocratie chargée de veiller au respect et à l’application de cet accord dit de la Saint Sylvestre. La présence du vieil opposant à Kinshasa rassurait donnait du poil de la bête à ceux qui, à tort ou à raison, le considéraient comme une sorte de garde-fou de la période politique charnière qui court d’ici la tenue des prochaines élections. On peut comprendre que ses familles biologique et politique aient préféré ne pas émettre des signaux inquiétants, même contre toute évidence.
Des signaux sanitaires inquiétants
A sa mort, le 18ème jour de sa 84ème année d’existence, Etienne Tshisekedi est aussi bien le président de son parti politique, l’UDPS (ou ce qui en reste), du Conseil de sages du Rassemblement des forces politiques et sociales acquises au changement (RasOp). Cette dernière plate-forme politique de l’opposition avait été créée début juin dernier à l’instigation de Moïse Katumbi Chapwe, l’ancien gouverneur de l’ex province du Katanga, et de milieux politiques libéraux belges dans le but déclaré de précipiter la chute de Joseph Kabila au pouvoir à Kinshasa même avant la date du 19 décembre 2016, date officiel de la fin de son deuxième mandat constitutionnel. Outre l’UDPS de Tshisekedi et un certain nombre de petits partis politiques satellites, le RasOp comprend, en effet, le G7, une plate-forme politique créée par 7 partis dissidents de la MP le 17 septembre 2016 et qui soutient la candidature de Moïse Katumbi à la présidentielle à venir avec et après le départ programmé de Joseph Kabila.
L’adhésion de l’ancien éternel opposant rd congolais au RasOp a marqué, pour nombre d’observateurs, le tournant décisif de sa vie politique. Elle remonte à septembre 2015, lorsque le ‘sphinx’ de Limete dénonce sans mettre des gants l’accord secret intervenu entre ses partisans et les délégués du Président Joseph Kabila à Ibiza (Espagne) et à Venise (Italie), qui définit les termes du dialogue politique préconisé par ce dernier en vue de l’organisation d’un processus électoral apaisé et crédible en République démocratique du Congo. On sait, depuis les révélations du Togolais Edem Kodjo, chargé par l’Union Africaine de modérer le dialogue politique qui s’est clôturé en octobre 2016 à la Cité de l’OUA à Kinshasa que les deux parties avaient pourtant bel et bien convenu des points essentiels comme l’ordre du jour, les participants, la durée des travaux, les thèmes à débattre … et même la clé du partage des postes de responsabilité, selon certaines sources, lorsqu’Etienne Tshisekedi s’est rebiffé pour tout rejeter en bloc.
Le tournant décisif
Propulsé à la tête du Rassemblent dit Tshisekediste-katumbiste qui s’était donné la mission de « dégager » vite fait Joseph Kabila du Palais de la Nation, mais surpris par la mort, Etienne Tshisekedi wa Mulumba n’aura donc pas atteint son objectif d’accéder au pouvoir d’Etat, et quoiqu’il advienne, n’y accèdera donc plus. Pour une énième fois dans sa longue carrière politique. Rentré au pays après un séjour médical long de deux ans, le vieil opposant rd congolais avait pourtant jeté ses dernières forces dans cette bataille et s’y est littéralement épuisé. Le RasOp n’est pas parvenu à déboulonner le taciturne quatrième président de la RD Congo à la date « fatidique » du 19 décembre 2016 et continue encore à négocier laborieusement quelques espaces du pouvoir avec ses ‘missi dominici’ dans le cadre d’une gestion concertée de la période charnière qui précède l’organisation de la prochaine présidentielle. Pour réaliser leurs ambitions, les opposants doivent se soumettre à la sanction populaire à travers les élections, tout comme leurs adversaires de la MP. Des joutes auxquelles, en l’absence d’Etienne Tshisekedi, ils continueront selon toute vraisemblance à prendre part, très affaiblis et en ordre dispersé, ainsi qu’en attestent les discordances qui affleuraient déjà à la surface à l’occasion du partage des postes de responsabilité aux négociations directes du Centre interdiocésain de Kinshasa. Au RasOp, Etienne Tshisekedi vivant faisait taire nombreuses d’ambitions qui pourraient émerger avec fracas à la faveur de son décès. Ainsi étêté, le RasOp est exposé à l’implosion.
Risques d’implosion
A l’UDPS, le parti politique du vieil opposant, de plus en plus réduit à un pré carré tribalo-familial, la disparition du ‘lider maximo’ pourrait sanctionner l’atomisation de ce qui reste de l’ancienne « fille aînée de l’opposition » des années Mobutu. De la lutte contre le régime Mobutu à l’opposition aux Kabila Père et fils, la vie politique à l’UDPS est ponctuée de défections-défenestrations spectaculaires que le patriarche disparu lui-même se plaisait à multiplier, en déclarant « auto-éjecté » quiconque osait la moindre critique de sa gestion ou de ses orientations. Les dernières en date, celles du secrétaire-général Central-Kongolais Bruno Mavungu, et avant lui, celle du directeur de cabinet du président Tshisekedi, l’Equatorien Moleka, ont été présentées comme le fait de l’interventionnisme de plus en plus pesant de la famille biologique dans le fonctionnement du parti. Ce que la polémique en cours autour de la candidature de l’UDPS au poste de 1er ministre du gouvernement d’union national est bien loin de démentir. Dans l’opinion publique, Félix Tshisekedi Tshilombo, le fils de son père, ne serait candidat à la fonction que par la grâce de sa mère, Mama Marthe, l’épouse du ‘lider maximo’. De mauvaises langues affirment qu’elle aurait juré de capitaliser les longues années de lutte de son illustre époux en exigeant contre vents et marrées que son fils soient adoubé. Ici aussi, la disparition du président Tshisekedi risque de sonner le glas de l’existence de son parti politique.
Le père de la contestation
Il reste que dans une grande partie de l’opinion, le mythe Tshisekedi reste entier. L’homme est présenté comme le père de la démocratisation en RD Congo depuis les années de sa lutte contre le régime du Maréchal Mobutu Sese Seko. Mais seulement depuis ces années-là, notent certains observateurs, comme nos confrères de l’Agence Française de Presse (AFP) qui le tiennent pour un « mobutiste zélé mué en éternel opposant ». Parce que ce premier docteur en droit de l’Université Lovanium (Unikin) en 1961 compte, en sa qualité de membre du Collège des commissaires généraux adjoint à la justice (gouvernement provisoire) mis en place après le coup d’Etat de Mobutu, parmi les responsables directs de l’extradition suivie de leur mise à mort au Sud-Kasai des personnalités politiques nationalistes comme Elengesa, Fataki, Finant, Nzuzi, Lumbala, Muzungu, Mbuyi, Mujanayi, Yangara, entre autres. En prenant une part plus qu’active à la rédaction de la constitution de 1967 et au Manifeste de la N’Sele qui consacre la création du Mouvement Populaire de la Révolution (MPR), le parti politique unique qui deviendra le parti-Etat deux décennies plus tard, Etienne Tshisekedi a participé à la fondation de l’une des dictatures les plus féroces d’Afrique.
Pour un certain nombre de ses contemporains, même lorsqu’il se retourne contre le régime Mobutu au début des années ’80, Etienne Tshisekedi wa Mulumba se révolte en fait plus contre la désignation à la tête du Conseil législatif (Assemblée Nationale) d’un rival, Nzondomio Adokpe Lingbo que Mobutu avait préféré au remplaçant légal qu’il était en qualité de Premier vice-Président du parlement. L’opposition au Maréchal Mobutu n’est pas une opposition au système qui a permis de museler pour de longues années le nationalisme des pères de l’indépendance mais une contestation systématique de l’homme qui l’a incarné et après lui, de tous ceux qui lui ont succédé. L’héritage tshisekediste est contestataire, pas nécessairement révolutionnaire et démocratique. Si Tshisekedi a bien inculqué la contestation de l’ordre établi à plusieurs générations des rd congolais, il restera qu’il ne leur a jamais appris quelle était la substance de leurs droits supposés. Pas plus que celle de leurs devoirs et obligations envers l’Etat et la Nation, encore moins les valeurs démocratiques de tolérance, de différences d’opinions, d’acceptation de l’altérité dans l’arène politique. La démocratie tshisekediste est aussi unanimiste que le mobutisme : c’est mon opinion ou rien ; c’est moi ou le néant, c’est le changement selon mon point de vue et mes intérêts ou rien.
Démocratie unanimiste
En atteste, la conduite en dents de scie de l’ancienne « fille aînée de l’opposition » depuis le lancement du processus électoral en RD Congo. Brillamment élu Premier ministre par quelques 2.000 participants à la Conférence Nationale Souveraine en 1990, Etienne Tshisekedi est ensuite nommé à cette haute fonction à deux reprises (août 1992 et avril 1997), mais ne s’y maintient pas faute de pouvoir s’accommoder au partage de pouvoirs avec un Mobutu vermoulu et décadent, ou avec qui que ce soit d’autre après lui. Nommé Premier ministre en avril 1997 pour combler le vide imminent au pouvoir de Mobutu Sese Seko, le patron de l’UDPS a constitué une équipe gouvernementale dans laquelle il réservait 6 ministères et le poste de… ministre de l’Agriculture au révolutionnaire lumumbiste Laurent-Désiré Kabila qui était, lui, à la tête d’une puissante coalition rebelle armée et qui, de conquête en conquête, contrôlait déjà effectivement plus de trois-quarts du territoire national et attendait d’entrer triomphalement dans la capitale Kinshasa.
C’est le même Tshisekedi qui, à la fin du dialogue de Sun City en Afrique du Sud, décline l’offre du poste de Vice-président de la République réservé à l’opposition politique interne qu’il incarnait plus que quiconque en RD Congo. Parce que « trop petit » pour lui. Deux ans plus tard, en 2005, le ‘lider maximo’ tente carrément d’entraver le processus de démocratisation en décrétant le boycott du référendum constitutionnel. En vain car le scrutin référendaire aura lieu avec succès malgré ses appels enflammés au boycott. Avant de rééditer ses appels au boycott lors de l’élection présidentielle de 2006, qui voit Joseph Kabila remporter les premières élections libres et démocratiques organisées au pays depuis 1960. Et lorsqu’il décide de prendre part aux scrutins de 2011, sanctionnés par une deuxième victoire de son challenger Joseph Kabila Kabange, qu’il conteste, le président de l’UDPS interdit aux élus de son parti (le plus grand groupe parlementaire de l’opposition à l’Assemblée nationale !) d’y siéger. C’est de ce groupe qu’est issu sa dernière cible en date, le Premier ministre Sammy Badibanga Ntita, nommé à l’issue d’un dialogue politique parrainé par l’Union africaine et qu’il avait … voué aux gémonies quelques mois plus tôt après avoir pourtant exigé une médiation de la communauté internationale !
A l’évidence, sur le registre de la démocratisation et du choix des moyens opportuns pour accéder au pouvoir, le Vieil opposant que ses partisans pleurent depuis le 1er février 2017 aura littéralement pataugé.
J.N.