L’accord au Congo sera réalisé entre congolais sans supervision d’un autre pays. Pourtant les pays occidentaux tentent sans cesse d’intervenir en fonction de leur intérêt. C’est la plus grande menace pour la réussite d’un tel accord.
Dans un précédent article, nous avons abordé la question de l’accord de noël « conclut pour 95% » et la dynamique actuelle au Congo. Cette dynamique a, en comparaison avec des accords précédents, la caractéristique importante d’être un accord conclu entre congolais et sans la présence de diplomates et experts étrangers. Dans ce sens un tel accord serait un pas en avant dans le long chemin du Congo vers une souveraineté et indépendance réelle. Dans notre précédente contribution, nous avons également traité les des défis qui sont posés par l’exécution de l’accord : la révolte d’une partie importante de la jeunesse congolaise et leur méfiance envers la classe politique congolaise. Dans cette deuxième partie de l’article nous voulons traiter des ingérences extérieures que nous voyons comme un obstacle à la conclusion de l’accord et à son exécution.
L’agenda géostratégique des Etats-Unis et de l’Union Européenne
Aujourd’hui les Occidentaux sont fortement irrités et inquiets à cause de l’influence économique grandissant de la Chine en RDC.
Le républicain américain Peter Pham est le potentiel futur sous-secrétaire d’Etat pour l’Afrique du président Donald Trump. En 2007, lors des discussions sur la formation de AFRICOM, le nouveau commandement mondial de l’armée étasunienne pour l’Afrique, il décrivait la mission de l’armée américaine en Afrique comme suit : « protéger l’accès aux ressources stratégiques qui sont en abondance en Afrique, ce qui implique garantir qu’aucun parti tiers, comme la Chine, l’Inde, le Japon ou la Russie, y obtient un monopole ou un traitement préférentiel. »
Or aujourd’hui, 9 ans plus tard, l’AFRICOM a échoué dans cette mission.
Selon les chiffres du FMI, la Chine a doublé l’Union Européenne en ce qui concerne le commerce avec la RDC. En 2015, la Chine prenait 73% du commerce congolais (importation et exportation) pour son compte. L’Union Européenne seulement 18%. En 2001, cette situation était exactement l’inverse. Le commerce chinois avec la RDC dépasse 12 fois celui des Etats-Unis. A cause des dettes contractées ailleurs dans le monde, la multinationale américaine Freeport McMoran a même été obligée de vendre à une compagnie chinoise la principale mine de cuivre du Congo, celle de Tenke Fungurume.
La réaction de l’Occident à cette perte d’influence est une hostilité grandissante envers Kabila. On l’appelle un « souverainiste ». Et horreur, il fait régulièrement allusion aux combattants de la résistance au colonialisme et au néocolonialisme, tels Lumumba et son propre père, Laurent-Désiré Kabila. Et même si sa majorité présidentielle est pour une grande partie déconnectée de ces idées lumumbistes, le fait déjà de le répéter dans chaque discours présidentiel est « intolérable ».
Peter Pham, potentiel, veut en finir immédiatement avec Kabila. Le 20 décembre il écrit « Joseph Kabila nous a poussé vers cet abîme. Soyons clair, ou bien il quitte le pouvoir maintenant ou bien il serait écarté d’une autre façon. Il a le choix. En tout cas il n’y a pas de future pour lui à la Présidence Congolaise. (1).
La vision de Pham sur la RDC, un des pays les plus stratégique en Afrique, est connu depuis longtemps: : il écrivait en 2012 un article dans The New York Times « to save Congo let it fall appart » (pour sauver le Congo il faut le laisser tomber en morceaux). Défendant la dissolution de la RDC afin de la remplacer par des Etats plus petits. Ce type de répartition d’états existants a déjà été appliqué en Yougoslavie et au Soudan. Là, cette stratégie étasunienne n’a pas amélioré le sort de la population, cela a coûté des guerres et cela a servi la stratégie de domination et de contrôle des Etats-Unis. Or l’atout le plus important de la RDC est justement son unité qui rend toujours possible que ce pays-continent pourra tôt ou tard devenir le moteur du développement de l’Afrique entier.
La partialité de Bruxelles, et Washington
La ligne officielle de toutes les capitales occidentales est d’applaudir le dialogue et les négociations entre Congolais. Mais est-il crédible de prêcher le dialogue d’un coté et d’un autre coté prendre partie pour un camp contre un autre ?
Il suffit de comparer les thèses qu’avance l’opposition congolaise ces dernières années et celles qui sont reprises par les ministres des affaires étrangères occidentaux pour voir que le camp anti-Kabila est appuyé fortement par l’occident.
En effet il est frappant de voir comment aussi bien les États-Unis que l’Union Européenne ont ainsi fait tout pour s’ingérer et compliquer les négociations entre Congolais.
Dans son interview à Jeune Afrique(2), Edem Kodjo, le facilitateur qui était nommé par l’Union Africaine comme facilitateur dans le dialogue Congolais, remarque: « je suis choqué par la façon dont les puissances étrangères font pression sur Kabila et s’immiscent dans les affaires du Congo. De simples chargés d’affaires d’ambassades occidentales se permettent d’exiger n’importe quoi et convoquent des réunions sur l’avenir du pays. » Kodjo accuse aussi l’envoyé spécial des États-Unis pour les grands lacs, Tom Perriello, d’avoir essayé d’obtenir le contrôle du dialogue. Il parle notamment de la proposition de cet américain de former un panel censé épauler le facilitateur, afin de « remettre le dialogue sur les rails ». C’était un mois après avoir essayé en vain d’obtenir l’accord de l’opposition à participer au dialogue avec la Majorité présidentielle. Kodjo explique que derrière cette proposition « se profile l’ombre des Américains, en particulier celle de l’envoyé spécial pour les Grands Lacs, Tom Perriello. Via le panel, dont ils seraient membres, les États-Unis, puissance extra-continentale, souhaitent être directement au cœur du dialogue, ce qui à mes yeux n’est pas souhaitable. » Ensuite Kodjo explique comment il a contourné la manœuvre avec la contre-proposition d’un groupe de soutien à la facilitation, composé de l’Union Africaine, de l’ONU, de l’Union européenne et des organisations régionales africaines. C’est à ce moment que le Rassemblement formé à Genval autour de Tshisekedi (cfr article précédent) récuse le facilitateur et exige que les États-Unis fassent parti d’un comité de facilitation. Or Kodjo réussit quand même à obtenir l’accord d’une partie importante de l’opposition et finalement le dialogue commencera le 1 septembre. Or, immédiatement après la signature de l’accord du 18 octobre, Washington, Paris, Londres et Bruxelles l’ont balayé comme un non-événement en disant qu’il fallait un « vrai » dialogue dans lequel se trouverait aussi le Rassemblement de Genval.
Et quand ces négociations entre les signataires de l’accord du 18 octobre et le Rassemblement de Tshisekedi commencent, le 12 décembre, deuxième jour des négociations, l’Union Européenne frappait fort. Elle sanctionnait sept officiers congolais. Washington y ajoutait le ministre des affaires intérieures et le chef du renseignement.
On voit que l’occident n’a de cesse de tenter d’intervenir dans un dialogue qui ne se passe pas sous sa supervision.
Influencer des négociations à partir de l’extérieur et prêcher la subversion
Herman Cohen, ancien sous-secrétaire d’état pour l’Afrique et commentateur influent de l’establishment étasunien du continent, ne voit pas d’un bon œil l’accord que les évêques congolais essaient d’obtenir. Dans un post du 23 décembre, il démontre comment il est en direct mis au courant des détails des négociations et il essaie ouvertement de diviser les négociateurs.(3)Dans un texte de quelques paragraphes il réussit à commencer cinq fois une phrase avec les mots « the true opposition ». Pour lui la seule « vraie » opposition c’est le Rassemblement. Il décrète que Badibanga (premier ministre, issu de l’UDPS mais exclut du Parti) est un faux opposant et que donc il est inacceptable qu’il reste premier ministre du gouvernement d’union nationale. Il exige que le bureau de la CENI soit complètement recomposé.
Pour pousser l’ingérence plus loin, Jason Stearns, un autre commentateur spécialisé sur la RDC proche de l’establishment étasunien, lançait un tweet le 24 décembre en mentionnant que des diplomates envisagent des sanctions contre le président actuel de la CENI et que c’est donc évident que les négociateurs discutent de son remplacement.
Un peu plus tard, Stearns, lance une rumeur suivie d’une « analyse » qu’il trouve importante. La rumeur consiste à dire que des troupes angolaises se seraient retirées de la garde rapprochée du Président Kabila. L’analyse se termine en disant « Jusque-là Joseph Kabila était un partenaire plus ou moins idéal pour l’Angola. Mais maintenant que l’on entre dans une phase beaucoup plus instable côté politique, je pense que l’Angola est en train de décider si cela vaut la peine d’user de son influence pour effectuer un changement… » Il explique la plus importante conséquence : « il va avoir un grand impact sur la psychologie des gens au pouvoir à Kinshasa. » Or après vérification de plusieurs sources, il n’y a aucune trace de faits pouvant confirmer le fait annoncé par Stearns. En fait cela dit beaucoup plus sur un grand expert comme Stearns qui, désespéré, à travers des méthodes de guerre psychologique, essaie d’influencer de loin des négociations dans lesquels aucun expert ou diplomate étasunien n’est directement présent pour garantir la tutelle.
Rappelons que Stearns citait en 2014, après les événements au Burkina Faso, le fameux Gene Sharp. Sharp est un professeur collaborant avec la CIA et spécialisé dans la formation des mouvements de jeunes, comme Otpor en Serbie et les frères musulmans en Égypte pour aider des « révolutions de couleurs » sous contrôle des États-Unis. « Les activistes doivent miner le régime en le privant de sa légitimité, l’accès aux ressources et la cohésion interne. » Il insiste notamment sur « l’importance de diviser les élites et de provoquer des défections militaires à fin de renverser un gouvernement. » (4) Les activistes congolais devraient se méfier de tels conseillers car nulle part ils ont libéré un peuple mais à chaque reprise ils ont bien réussit à contrôler le processus et à placer des alliés des États-Unis à la tête des pays, que ce soit en Serbie, Ukraine, Égypte, Tunisie, Burkina Faso ou Sénégal.
En Belgique la N-VA est sur les barricades contre l’accord
En Belgique la N-VA est le parti gouvernemental le plus à droite. C’est le parti le plus agressif pour imposer des mesures qui font payer la crise par le peuple et qui enrichissent les multinationales et les riches. Diviser entre flamands et wallons pour régner. Promouvoir le racisme contre les réfugiés. Attaquer l’Etat de droit à travers des attaques contre des juges et contre des avocats. Propager une attitude intolérante et méprisante contre n’importe quelle autre opinion.
Ce n’est pas un hasard si c’est justement cette N-VA qui se met en Belgique à la tête de l’agressivité contre le gouvernement congolais. Le 22 décembre, Luickx, député de la N-VA spécialisé sur le Congo, interpelle le ministre des affaires étrangères Reynders. Pour Luickx, Kabila n’est plus président et il faut donc agir au plus vite avec des sanctions en employant la coopération au développement comme arme contre le gouvernement congolais. Là où les évêques essaient de trouver au moins un minimum de confiance et d’unité au sein de la classe politique, Luickx ne les mentionne même pas.
Mais au delà de la personnalité de Kabila, ce que veulent les Luickx, Pham et Cohens, c’est tout simplement liquider une partie de la classe politique congolaise. Détruire les politiciens favorables à la majorité présidentielle et les remplacer par ceux issus du Rassemblement de Genval. C’est le jeu de diviser pour régner. Ils encouragent une lutte violente pour le pouvoir et pour le partage de postes qui en suivra. Tout cela sans aucune discussion sérieuse sur les problèmes fondamentaux quotidiens des Congolais.
Il s’agit de garder le contrôle sur les immenses ressources du Congo.
Par contre, si l’accord est signé est tenu et conduit à des élections crédibles sous le règne de Kabila, le danger existe que le nouveau Président élu souhaite continuer de défendre la souveraineté du Congo. Ce « risque », les occidentaux ne veulent pas le prendre. C’est la raison pour laquelle ils ont tout fait pour s’ingérer dans les négociations entre congolais. Et l’on peut déjà prévoir leur attitude en cas de signature d’un accord. Or, si l’on veut défendre la démocratie pour le peuple congolais, il faut justement arrêter ingérences et diktats. Car la vraie démocratie ne sera acquise qu’au fur et à mesure que le peuple congolais pourra retrouver sa souveraineté et son indépendance.
TONY BUSSELEN
Notes
1http://www.atlanticcouncil.org/blogs/new-atlanticist/joseph-kabila-has-passed-his-expiration-date (20 décembre 2016)
2http://www.jeuneafrique.com/mag/382533/politique/edem-kodjo-mediateur-ne-dire-ca/
3 http://www.cohenonafrica.com/homepage/2016/12/23/political-crisis-in-the-democratic-republic-of-the-congo-is-still-far-from-being-resolved
4 http://congosiasa.blogspot.be/2014/11/could-lwili-reach-kinshasa-lessons-from.html