Depuis janvier 2015, trois manifestations ont été réprimées chaque fois avec des dizaines de morts comme résultat. Un accord politique, «conclu à 95%» le 24 décembre dernier, devrait garantir des élections dans une atmosphère sereine. Mais le processus démocratique reste menacé. Explication sur la dynamique politique actuelle au Congo. Ceci pour la première partie. La seconde est consacrée aux ingérences extérieures…
L’accord politique conclu le 24 décembre contient 5 points importants :
1. Pas de changement de constitution, ce qui signifie qu’un troisième mandat du Président Kabila est exclu ;
2. Elections en décembre 2017 ;
3. Maintien en fonction de Joseph Kabila comme Président de la république, et avec lui des députés nationaux, des sénateurs et des députés provinciaux ;
4. Entrée au gouvernement des membres du Rassemblement regroupés autour de l’opposant Etienne Tshisekedi ;
5. Mise en place d’une commission de suivi de l’accord sous la direction de ce dernier.
Mgr Marcel Utembi, président de la commission épiscopale – qui dirige les négociations – a déclaré la veille de la Nativité que les participants se sont mis d’accord à « 95% » sur les points qui les opposaient. Restent encore à décider ceci : qui dirigera le gouvernement d’union nationale et comment le bureau de la Commission électorale sera composé !
Un compromis obtenu déjà quelques jours plus tôt sur «des mesures de décrispation de l’atmosphère politique» reste aussi en suspens. Il était convenu qu’une commission de juges allait se pencher au cas par cas sur la situation de 245 personnes considérées par l’opposition comme condamnées pour des raisons politiques. L’opposition voudrait avoir des garanties sur la libération ou la levée de condamnation de 7 personnalités. Le plus connu est Moïse Katumbi, ancien gouverneur du Katanga et ancien membre du parti politique de Kabila devenu opposant en 2015 et déclaré candidat à la présidentielle le 4 mai de cette année.
Jeudi le 29 décembre, un texte définitif devrait être présenté au plenum des négociateurs et l’espoir est que le vendredi 30 un accord définitif soit rendu public. Mais l’accord reste menacé.
causes du conflit
Depuis la période de la conquête coloniale, la RDC, un pays avec des ressources énormes et une position stratégique au centre de l’Afrique, a toujours été un terrain d’oppression et de conflits d’intérêts. Depuis les années 1970 jusqu’en 2001, elle a connu au niveau économique une descente en enfer assez unique dans le monde.
Après la fin de la guerre froide, le pays a vécu une situation de crise politique profonde qui a pris fin à la chute du dictateur Mobutu le 17 mai 1997. Ensuite ; il y a eu plusieurs guerres d’agression accompagnées de campagnes revanchardes d’une partie de l’ancienne classe mobutiste qui s’est senti mise à l’écart. L’avant-dernière crise était la guerre de M23 en 2012-2013.
L’origine de la crise actuelle se trouve dans le timing des prochaines élections. En effet, selon la constitution lundi 19 décembre un nouveau Président aurait dû prêter serment à l’issue des élections qui devraient se tenir en novembre. Or cela n’a pas été possible.
Selon l’opposition, c’est la preuve que le président Kabila s’accroche au pouvoir. Elle exige déjà depuis trois ans que le 19 décembre 2016 soit le dernier jour de son mandat. Naturellement, elle accuse le Chef de l’Etat d’avoir consciemment tout fait pour retarder les élections et ainsi imposer dans les faits un troisième mandat. Ce qui est interdit par la constitution. L’opposition congolaise se voit appuyé depuis 2013 dans cette revendication par les gouvernements et diplomates de Washington, Londres, Paris et Bruxelles.
Pour la majorité Présidentielle, par contre, ce report est inévitable pour plusieurs raisons. La guerre des M23 a coûté beaucoup d’argent et d’énergie. L’abbé Malu-Malu, désigné en juin 2013 comme président de la CENI (commission nationale électorale), est tombé gravement malade et a dû être remplacé en octobre 2015, après des mois de paralysie de la Centrale électorale. Il y a aussi le manque d’un recensement de la population qui rend la composition d’un fichier électorale coûteux et prend du temps.
La majorité présidentielle reproche aussi à l’opposition d’avoir freiné le processus en réagissant avec méfiance à chaque action allant vers les élections. Ainsi la proposition d’organiser un recensement a été balayée en janvier 2015 et un calendrier complet publié par la CENI en février était devenu irréaliste à cause des divergences politiques. Et enfin, il y a le problème du financement des élections dans les conditions difficiles de ce pays-continent.
L’accouchement lent d’un accord politique
En novembre 2015, le Président Kabila tient un discours dans lequel il convie la classe politique congolaise à tenir un dialogue afin de trouver un consensus pour l’organisation des élections dans une atmosphère sereine. L’opposition rejette l’initiative qu’elle considère comme un manœuvre de distraction pour rendre possible le report des élections. Selon elle, pour être crédible, un tel dialogue devrait être organisé sous la tutelle de l’ONU. Revendication que la majorité présidentielle refuse dans un premier temps en référant à la souveraineté et l’indépendance de la RDC. Comme compromis, avec l’accord des Nations Unies, l’Union Africaine désigne le Togolais Edem Kodjo début avril 2016 comme facilitateur du dialogue.
Après plusieurs discussions, une partie de l’opposition qui se rassemble en juillet 2016 dans un château à Genval, petit village en Belgique, récuse le facilitateur en déclarant à haute voix qu’il est au service de Kabila. Pour mémoire, la plateforme dénommée «Rassemblement », formée autour d’Etienne Tshisekedi – figure emblématique de la politique congolaise – est constituée de plusieurs partis et regroupements politiques au nombre desquels l’Udps, le G7 (dont les principaux animateurs viennent de quitter la majorité présidentielle en septembre 2015), Dynamique et Ar. « Rassemblement » se formera donc comme une sorte de front de refus au dialogue.
Ce forum commence quand même le 1er septembre entre la Mp et une autre partie de l’opposition. Celle-ci est composée par les 33 députés de l’Udps sous la direction de Samy Badibanga. Ces députés ont été officiellement bannis de leur parti par Tshisekedi en 2011. A côté de cela, il y a le troisième plus grand parti de l’opposition, l’Unc de Vital Kamerhe, et plusieurs partis plus petits représentés au parlement parmi lesquels le Rcd d’Azarias Ruberwa, ancien dirigeant de la rébellion pro-Rwandaise.
Reste le Mlc de Bemba, ancien dirigeant de la rébellion pro-ougandaise, ancien vice-président entre 2003 et 2006, actuellement condamné pour crimes de guerre par la Cour Pénale Internationale de La Haye. Le Mlc – devenu le deuxième parti de l’opposition – se tient à l’écart du Rassemblement et refuse aussi de participer au Dialogue.
Le dialogue aboutit à un accord le 18 octobre. Cet accord prévoit les élections en avril 2018 sur base des considérations purement techniques. Entretemps Kabila restera Président. Et tout le monde s’engage à respecter la constitution ce qui implique, selon les signataires, que Kabila ne changera la constitution pour un troisième mandat.
Quelques semaines plus tard, Badibanga est nommé Premier ministre. Son gouvernement sort juste avant la fin officielle du mandat constitutionnelle, le soir du 19 décembre 2016.
Entretemps, à l’initiative du Président Joseph Kabila, la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco) reçoit mission d’approcher les forces politiques non signataires de l’Accord, en l’occurrence « Rassemblement » et Mlc. Le 11 septembre, commencent les négociations interrompues deux fois.
Accord oui ou non ?
Au moment où nous écrivons cet article (mercredi matin 28 décembre), il n’y a pas encore un accord. Selon les journaux congolais, les deux points de discorde seraient la composante devant désigner le Premier ministre et la composition du bureau de la Céni. «Rassemblement» voudrait désigner un autre Premier ministre que Badibanga, désigné, lui, par Joseph Kabila. Et aussi faire partir Corneille Nangaa au motif d’être un homme de Kabila. Cette plateforme y est fortement encouragée par des forces extérieures (voir article sur les ingérences extérieures à paraître après).
En comparaison avec des accords précédents signés à Lusaka, Sun City ou Addis-Abeba, un accord qui sort de ces négociations-ci serait un accord conclu entre congolais, sans la présence autour des tables de négociations des diplomates et experts extérieurs. Ce serait un pas en avant dans le long chemin vers une souveraineté et indépendance réelle.
La libération des 18 membres de Lucha le mardi parmi lesquelles Gloria Sengha, arrêtée déjà le 16 décembre, semble bon signe. Aussi l’arrêt du blocage des médias sociaux depuis mercredi matin.
Mais, même si accord il y aura, cet accord connaîtra au moins un obstacle et une menace. L’obstacle consiste dans la colère des jeunes congolais. La menace consiste dans les ingérences des puissances occidentales qui ne sont pas intéressées dans l’unité des congolais et qui sont surtout décidées d’en finir avec Kabila et la Mp le plus vite que possible.
La colère des jeunes congolais…
La correspondante de RFI cite un évêque qui a codirigé les négociations : «Même si on arrache un accord, il faudra encore convaincre le peuple».
En effet, la classe politique ne convainc plus une partie importante de la jeunesse. Plus de 64% de la population congolaise n’a pas vécu la dictature mobutiste. Elle ne peut donc pas comparer de façon rationnelle. Ces jeunes sont fatigués des guerres qui ont secoué leur pays les deux dernières décennies. Ils regardent les travaux d’infrastructures et les projets de construction, mais ils se sentent exclus de cette modernité. Ils souffrent du chômage et de la pauvreté qui ne diminuent pas. Ça crée une révolte et une colère diffuses qui se concentrent maintenant autour du changement de président et le débat sur l’alternance comme solution à tous les problèmes.
Kabila avait basé sa présidence depuis 2006 sur une large alliance de cent partis. Cette « Majorité Présidentielle » se réunissait sur un principe : l’appui à la personne de Kabila comme président. Kabila lui-même est l’héritier d’un courant de gauche. Cette gauche qui s’inspire de Patrice Lumumba, une des principales figures de l’indépendance. Mais l’âme lumumbiste n’est pas le partage commun. On y retrouve beaucoup d’éléments de droite et des opportunistes en quête d’argent et de postes. La loyauté au président est surtout de nature opportuniste. La méthode de maintenir l’unité était surtout de donner des postes au plus de gens que possible. D’ailleurs, ce que l’on reproche à la Mp est identique au reproche que l’on fait à «Rassemblement», l’autre conglomérat d’opportunistes unis par aucun lien idéologique.
… un défi pour l’exécution d’un accord
Même si depuis deux années le PPRD, le parti le plus important de la Majorité Présidentielle, commence à se structurer et à organiser et former des jeunes, les partis de gauche lumumbistes ont beaucoup de boulot devant eux. Lugi Gizenga, secrétaire permanent et porte-parole du Parti Lumumbiste Unifié (Palu), écrivait le 18 octobre sur son twitter : «On n’a pas besoin d’exploiter le peuple, comme le colon, pour bien vivre. A bas la bourgeoisie politique au Congo. Que vive enfin Lumumba». Mais les anciens cadres du Palu qui ont été ministres n’ont pas agi d’une façon conséquente avec ces idées lumumbistes.
Si certains partis politiques congolais pourront vraiment mettre en pratique leurs idées lumumbistes, ce serait un pas en avant important.
Entretemps, corruption, mauvaise gouvernance et arbitraire restent l’image qu’ont beaucoup de gens. C’est la raison pour laquelle une partie de l’intelligentsia de la jeunesse congolaise se lance dans les protestations et revendique un changement radical.
Mais ces jeunes se méfient également de l’autre partie de la classe politique congolaise qui se trouve dans l’opposition. Ainsi Soraya Aziz Souleymane, membre connu de Lucha – un mouvement de jeunes qui revendique l’abdication de Kabila comme président le 19 décembre – critique l’accord de noël sur twitter. «Ma colère, c’est que le Rassemblement s’est servi de la colère de la population et de nos morts pour faire monter les enchères et négocier des portefeuilles au gouvernement. Ils auraient dû, dès le 1er septembre, se joindre aux dialogueurs. On aurait gagné 3 mois et près de 100 vies».
La méfiance entre le monde politique congolais et cette partie de la jeunesse congolaise est donc grande. Mais leur courage et indignation devant l’injustice pourraient inspirer une dynamique importante dans la lutte pour des élections vraiment légitimes et transparentes.
Tony BUSSELEN