Autant qu’elle l’a pu, la rue kinoise s’est exprimée intensément en moins d’une semaine. Mercredi 27, vendredi 29 et dimanche 31 juillet 2016 auront été à cet égard des dates pleines d’enseignement pour les observateurs avertis de la vie politique en RD Congo. Tout a commencé le 27 juillet lorsque les kinois proches de l’opposition radicale pro-Tshisekedi ont afflué, nombreux, à l’aéroport international de Ndjili pour accueillir le président de l’UDPS et du Rassemblement des forces acquises au changement. Etienne Tshisekedi regagnait Kinshasa ce jour-là après 2 ans passés en Belgique pour raison de santé, et ponctués sur la fin par un activisme politique qui l’a vu se faire adouber à la tête d’une nouvelle plate-forme de l’opposition politique rd congolaise, le Rassemblement.
Le nouveau regroupement ambitionne de ratisser intégralement dans les rangs des adversaires politiques de Joseph Kabila et de sa majorité. Elle rassemble des acteurs politiques qui nourrissent le dessein de voir le quatrième chef d’Etat congolais quitter au plus vite le strapontin présidentiel, si possible sans autre forme de procès, démocratique ou autre. Intervenu à quelques jours de l’ouverture des travaux du Dialogue politique inclusif préconisé et convoqué par Joseph Kabila avec l’appui de la communauté internationale pour « baliser » un processus électoral fiable et apaisé en RD Congo, le retour at home du patron de l’UDPS a rassemblé ceux qui veulent la fin sans délai de l’ère Kabila à Kinshasa. Les choses avaient été boutiquées pour donner l’impression que cette catégorie de citoyens étaient très nombreux dans la capitale : le lider maximo, ainsi que certains désignent le patron de l’UDPS, a mis 5 heures pour gagner sa résidence de la commune de Limete, à une vingtaine de km de l’aéroport de Ndjili. Spécialistes de l’agit-pro, les barons de l’UDPS et leurs alliés du G7 et autres « Dynamique » avaient provoqué à cette fin des embouteillages artificiels pour susciter un afflux aux abords du boulevard Lumumba seule voie de et vers l’aéroport international de NDjili. La « marée humaine » qui a envahi le boulevard ce mercredi-là était selon nos reporters constitués essentiellement de badauds curieux face au blocage de la chaussée et d’automobilistes en partance vers ou en provenance de la ville basse bloqués par une bande d’agitateurs que la Police avait reçu mission de ménager pour ne pas créer des problèmes. D’où les « dizaines de milliers de militants pro-Tshisekedi venus accueillir le leader de l’opposition » mis en exergue par les médias nationaux et étrangers acquis à la cause de l’opposition à Joseph Kabila. France 24 évoquera près de 25.000 « combattants tshisekedistes ». Il n’en fallait pas plus pour que dans le camp des opposants, on crie à la « victoire » sur la majorité au pouvoir présentée comme minoritaire au sein de l’opinion congolaise, délibérément confondue avec les habitants de Kinshasa. « Le peuple a fait son choix », pouvait-on entendre ci et là parmi les opposants qui allaient pour certains jusqu’à affirmer que les élections n’étaient plus nécessaires au regard de cet « engouement populaire » qui avait entouré le retour du vieil opposant.
LA REPLIQUE DES KABILISTES
Rien n’était plus faux. 48 heures après le retour d’Etienne Tshisekedi et la démonstration de popularité qui l’a marqué, la rue, a de nouveau été mise à rude épreuve. Par la majorité au pouvoir cette fois-ci, qui s’est donnée rendez-vous au mythique stade Tata Raphaël dans la commune de Kalamu. L’événement n’avait pourtant été préparé que quelques jours avant le retour de Tshisekedi, Aubin Minaku, le N°2 de la Majorité présidentielle et les sociétaires de sa famille politique pour donner la réplique à l’opposition en matière de mobilisation et de sollicitation de la rue.
Le meeting de la majorité présidentielle le 29 juillet 2016 fut, à la surprise des pourfendeurs de Kabila, un véritable triomphe de ceux qui, à la suite du jeune président congolais, prônent le dialogue politique pour convenir de l’avenir politique immédiat de la RD Congo à la fin du second et dernier mandat présidentiel de Kabila. Ici, pas question de vide juridique ni de fin précipitée du bail de l’actuel chef de l’Etat, mais une entente entre acteurs politiques pour convenir de la suite à donner aux événements. La majorité présidentielle a mobilisé au moins quelque 200.000 âmes dans l’antre de Tata Raphaël et hors de cet amphithéâtre qui vit Mohamed Ali en découdre avec Georges Foreman en 1974 : c’est connu, la capacité des lieux est de 60.000 places assises. Or, ceux qui l’ont voulu s’en sont rendus compte vendredi après-midi ; Tata Raphaël, plein comme un œuf dans les gradins, les organisateurs avaient dû déployer leurs partisans dans l’aire de jeu. Au point de faire dire à certains observateurs qu’au dehors du stade était amassé plus de sympathisants de la MP qu’à l’intérieur. Une dépêche de nos confrères de l’Afp datée du même 29 juillet par de « plus de 40.000 partisans … », c’est tout dire. « Contrairement à ce qu’on fait croire, le Chef de l’Etat a un ancrage populaire évident à Kinshasa », se félicitait le PPRD Léonard She Okitundu, sur les antennes de la RTNC, samedi 30 juillet dans la soirée.
UNE DIZAINE DE MILLIERS DE MANIFESTANTS SUR TRIOMPHAL, PAS PLUS
Dimanche 31, les opposants favorables au Rassemblement de Tshisekedi faisaient, encore une fois, battre le pavé à Kinshasa. Le meeting du boulevard triomphal qui longe le Stade des Martyrs, prévu depuis des mois, a eu lieu. Sans aucune entrave des forces de sécurité comme le craignaient certaines chancelleries occidentales très proches de l’opposition. L’affluence des sympathisants des partis politiques du Rassemblement des forces acquises au changement fut donc maximale. L’espace compris entre le collège Georges Simenon et le siège de l’UNC était rempli aussi bien de véhicules que de militants dont l’agitation cachait mal la faiblesse de la mobilisation qu’un modérateur riant jaune estimera à « 3 millions de manifestants » (sic !). Estimation ridicule, compte tenu du fait que le stade des martyrs juste en face du petit terrain dans lequel les tshisekedistes avaient prudemment choisi de se rassembler et qui est au moins trois fois plus grand, a une capacité de 80 à 100.000 personnes dans les gradins. Sont plus nuancées les estimations d’observateurs plus ou moins neutres, comme ces agences de presse qui estiment l’affluence à quelques dizaines de milliers de personnes, ainsi que le notait un tweet de notre consœur Sonia Rolley de la RFI, postée dès la fin de la matinée sur les lieux.
Quoiqu’il en soit des revendicatons des uns et des autres, il n’est pas évident que la population soit aussi dupe qu’on voudrait le faire croire. Mercredi 27 juillet, dans une des nombreuses terrasses de Matonge, dans la commune de Kalamu, Le Maximum s’est entretenu avec un moto-taximen (weewa), de retour de l’aéroport international de Ndjili. Sympathisant de l’UDPS. L’homme, la trentaine révolue, se plaignait néanmoins d’avoir perdu sa journée. « Ceux-là ne paient pas grand’chose, juste quelques litres de carburant», expliquait-il avec un sourire désabusé. Ajoutant que « … je me rattraperai demain au meeting de la majorité présidentielle … ».
LES KINOIS PAS DUPES
Deux jours plus tard, rétorquant à un supporter de la formation kinoise de football Daring Club Motema Pembe qui lui reprochait leur présence bruyante au meeting de la majorité présidentielle, un supporter d’un autre club kinois, le FC Renaissance, rétorquait du tic au tac qu’il n’était pas question pour eux de faire le lit d’un leader politique qui faisait celui de son fils. « Tshisekedi a pris de l’âge et ne peut plus gouverner, il ne saura même pas battre campagne. Il travaille pour son fils. Laissez-nous tranquille ». Ce à quoi son interlocuteur lui a répondu, sans grande conviction : « Savez-vous combien il existe de Chef d’Etat africains qui ont l’âge de Tshisekedi ? ».
A Kinshasa, au moins deux mythes sont tombés la semaine dernière : le mythe de l’affluence « spontanée et désintéressée » des manifestants et celui de la suprématie de l’opposition tshisekediste à Kinshasa. Pour accueillir le lider maximo le 27 juillet dernier et, 3 jours plus tard, faire le plein du boulevard triomphal, l’opposition a dû mettre la main à la poche, elle aussi : pour préparer affiches et banderoles, « convaincre » les sympathisants à se déplacer, payer du carburant aux taxis-motos « weewa » etc. Sur la toile, un document posté le 29 juillet portant entête du G7, indique, comme pour s’excuser du peu, que le financier de la plate-forme, Moïse Katumbi, n’aurait « libéré » que quelque 1.500.000 USD pour l’accueil d’Etienne Tshisekedi et le meeting du lendemain. Pour les deux manifestations des opposants, des véhicules de transport de personnes et de marchandises ont été loués pour assurer le déplacement des manifestants.
MYTHES TOMBES
Dans ce chapitre du financement des manifestations publiques, la majorité présidentielle n’est pas en reste. Des membres de l’opposition à Kabila ont évoqué devant les rédactions du Maximum le montant de 3000 FC (3 USD) qui aurait été remis à chaque manifestant en guise de frais de transport.
Ce n’est donc plus un secret : pour faire salle comble, stade plein ou rue bondée, tout le monde, dans les rangs de l’opposition comme dans ceux de la majorité au pouvoir, les politiques congolais ont tendance à mettre la main au portefeuille. Les seuls volontaires, assurément peu nombreux, ne font plus l’affaire.
Le mythe du monopole de la rue a, lui aussi, volé en éclat : l’opposition n’est plus le maître des lieux comme vers la fin des années Mobutu. La majorité pilotée par Joseph Kabila a administré la preuve qu’elle peut aussi bien faire, sinon mieux que l’opposition, à l’occasion du meeting du stade Tata Raphaël. Ainsi que le faisait remarquer un politologue de l’Université de Kinshasa, « M. Tshisekedi a intérêt à prendre conscience que les années Mobutu, c’est fini et que décidément, la roue tourne, sinon, il va sombrer corps et âme dans le cimetière des illusions perdues ».
A Kinshasa et à travers la RD Congo, l’épreuve de force par manifestations de rue interposées a des beaux jours devant elle.
J.N.