Les calottes sacrées de l’église catholique romaine de la RD Congo occupent les devants de l’arène politique depuis lundi 28 décembre 2015. A la faveur d’une réunion extraordinaire du comité permanent de la Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO) ouverte au centre caritas de Kinshasa Gombe, les évêques ont résolument enfourché leurs bâtons de pèlerins pour rencontrer les acteurs politiques du pays et les animateurs de la société civile. Objectif de l’exercice clérical : favoriser le dialogue prôné et annoncé par le Président de la République, Joseph Kabila. Les prélats n’y vont pas de main morte. En l’espace que quelque 72 heures, l’essentiel de ce que la capitale rd congolaise compte d’acteurs politiques et d’animateurs de la société civile semble avoir été consultée.
A la fin de la journée du mardi 29 décembre, la délégation des évêques catholiques s’était déjà entretenue avec le patron de la Majorité Présidentielle, Aubin Minaku, également président de l’assemblée nationale. Ainsi que les représentants de l’opposition, Léon Kengo de l’opposition dite républicaine et Vital Kamerhe dans le cadre du Front Citoyen. Dans un tweet, mardi après l’entrevue avec les prélats, le président de l’Union pour la Nation Congolaise, jusque-là farouchement opposé à toute idée de dialogue, jugeait les échanges prometteurs ou positifs.
Pape François est passé par là
Au sortir de l’entrevue d’une heure avec le secrétaire général de la Majorité Présidentielle au Palais du Peuple de Kinshasa, Mgr Djomo Lola, évêque de Tshumbe et président de la CENCO expliquait que « Les évêques ont pris l’initiative de venir à Kinshasa juste après Noël, c’est parce qu’ils ont des inquiétudes, ils se trouvent face à des incertitudes et ils ont estimé qu’il était nécessaire comme pasteurs de venir échanger avec les uns et les autres sur un principe qui a été rappelé dimanche passé par le Saint Père, qui est un principe fondamental dans l’église catholique. C’est que lorsqu’il y a un problème, on essaie de se mettre autour d’une table moyennant conditions acceptables, bien sûr pour tenter de trouver une solution. Nous sommes venus contacter toutes les parties concernées pour leur demander si moyennant concession, moyennant compromis, on peut parvenir à dégager un consensus sur l’essentiel pour ne pas rester en blocage ».
Pas trop tôt. Mais mieux vaut tard que jamais. Il y a presque un mois, jour pour jour, les mêmes évêques mettaient carrément le feu à la baraque, allant jusqu’à en appeler à des manifestations de rue pour obtenir ce qu’ils estiment être le salut des congolais. « Faut-il encore que le sang coule en RD Congo ? », un message signé par les évêques membres du comité permanent de la CENCO le 24 novembre dernier, un brûlot antigouvernemental et partisan, tournait ostensiblement le dos à toute perspective de dialogue dans la recherche du salut du peuple de Dieu de la RD Congo.
La dernière déclaration des évêques condamnait sans nuance ce qu’elle appelait « une certaine façon d’accéder au pouvoir par la force et de l’exercer au détriment du bien commun ». Dans un pays où le pouvoir d’Etat est tenu par la majorité présidentielle depuis 2006, l’allusion était on ne peut plus claire. Ces gars-là étaient tout sauf des partisans de Joseph Kabila, dont le père, Laurent-Désiré Kabila, tomba le dictateur Mobutu Sese Seko au mois de mai 2007. Mais il y a plus partisan que cela dans ce message de fin novembre, où, faisant allusion aux manifestations violentes organisées par une partie de l’opposition politique en janvier dernier, qui faillirent plonger Kinshasa et certaines villes de la RD Congo dans l’horreur, les évêques tranchent : « Malgré notre message, en janvier 2015 le sang a encore coulé suite à la tentative de contourner les dispositions constitutionnelles. Il faut arrêter de faire couler le sang ». En termes clairs, pour les cathos, les manifestations fondées sur des soupçons de glissement du mandat du Président de la République (l’enrôlement et le recensement de la population avant les élections étaient débattus au parlement) étaient justifiées.
Djihad catholique
La déclaration des évêques de novembre culminait sur une série de recommandations et appels à manifester larvés, notamment, « … la programmation de la Marche pacifique de tous les chrétiens, hommes et femmes de bonne volonté dans tous les diocèses pour consolider la démocratie, le 16 février 2016 à l’occasion de l’ouverture de l’année jubilaire de la marche historique du 16 février 1992 ». Un véritable appel à manifester contre le pouvoir en place, à l’exemple de la marche des chrétiens organisée contre la dictature mobutiste et réprimée dans le sang un certain dimanche 16 février 1992. A l’évidence, les évêques catholiques avaient trop humainement élevé les enchères, abandonnant du même coup la place qui leur est attribuée, pas toujours à raison en ce qui concerne la RD Congo, d’église au milieu du village. Les allures imprimées à ces foulées antigouvernementales ont conduit les cathos jusqu’à l’île de Gorée au Sénégal, à une réunion d’opposants politiques à la majorité au pouvoir à Kinshasa organisée par les allemands de la Konrad Adenauer.
Les démarches conciliatrices inspirées du dernier appel papal constituent donc un retournement et un rétropédalage qui n’élèvent pas les calottes sacrées de la RD Congo. Par rapport à sa sainteté le Pape François, cela ne pose aucun problème. Le Saint Père est demeuré, pour ainsi dire, saint en rappelant à ses ouailles sur le continent noir leurs devoirs d’élévation au-dessus des basses passions humaines. C’est lorsqu’on compare la sagesse d’un acteur politique comme Joseph Kabila, parce que c’en est un tout de même, qui a perçu l’importance du dialogue depuis plus d’une année, à celle de prélats aussi va-t-en guerre que le commun des mortels, il s’en dégage comme dénivellement peu honorable de ceux qui revendiquent la charge de conduire et d’éclairer les âmes en RD Congo. Mardi 29 décembre au sortir de l’entretien avec le secrétaire général de la Majorité Présidentielle au Palais du Peuple, Mgr Nicolas Djomo déclarait que « le blocage n’est pas bon. Nous allons commencer à rencontrer les uns et les autres ». Que du temps perdu à chauffer les âmes avant de se rendre à une évidence aussi simple.
Une médiation qui ne dit pas son nom
Il reste, à en juger par la réaction d’un archi opposant au dialogue comme Vital Kamehre, que l’entrée en scène des évêques catholiques peut dégeler le climat politique et contribuer à l’évolution positive de la situation. Mercredi 31 décembre, les évêques se sont, finalement, avisés de consulter l’organe technique chargé de l’organisation des élections en RD Congo, la Commission Electorale Nationale Indépendante. Pas trop tôt, ici non plus. Dans la mesure où l’église catholique s’est déjà, plus d’une fois, répandue en incantations contre le processus électoral sans en maîtriser les contours et les réalités. Un face à face crucial, à en juger par la qualité des participants. Corneille Nangaa, le président de la CENI, s’était fait accompagner non seulement de ses adjoints et experts, mais aussi des représentants de la communauté internationale qui, on ne le dit pas souvent, accompagnement pas à pas et soutiennent la centrale électorale dans la réalisation des missions lui confiées par la nation. Tandis que les évêques avaient délégué pas moins d’une dizaine d’évêques parmi lesquels le Cardinal Monsengwo, Mgr Jean-Pierre Tafunga (Lubumbashi), Mgr Marcel Lutembi (Kisangani), Mgr Mabila (Kasongo), Mgr Ngumbi (Kindu), Mgr François-Xavier Maroyi (Bukavu). Occasion pour les calottes sacrées de l’église catholique rd congolaise de s’entendre énumérer les problèmes qui, s’ils ne sont pris en considération dans les délais immédiats, compromettraient effectivement le processus électoral. Notamment, les lois qui nécessitent une revisitation : la loi électorale pour qu’elle résolve les conditionnalités posées par elle en ce qui concerne le calcul du nombre des sièges et la loi portant identification et enrôlement des électeurs qui exclut les congolais de la diaspora ; la révision du fichier électoral, opération de grande envergure qui devrait ouvrir la voie à un processus électoral de qualité.
Le président de la CENI a expliqué aux évêques que, dans le souci de la transparence, la CENI attend que les acteurs politiques et les autres parties prenantes se prononcent sur le type d’enrôlement attendu. Il s’agit d’opérer un choix ente la révision partielle du fichier électoral et la révision totale, chaque option comportant des avantages et des inconvénients. Autre questionnement présenté aux Evêques, l’agencement des scrutins électoraux. Il est question pour la CENI de s’assurer que les acteurs politiques conviennent des priorités électorales du moment.
En attendant de savoir jusqu’où peuvent aller les évêques catholiques, une chose est claire : c’est dans une médiation qu’ils se sont lancés.
J.N.