Impossible de ne pas s’en rendre compte. Quelques jours de retard dans l’enlèvement des immondices et la quarantaine de stations de transit des déchets ménagers kinois ont ostensiblement débordé. Impossible de ne pas s’en offusquer, non plus, parce que les désagréments ne se sont pas faits attendre : essaim de mouches, odeurs nauséabondes, espaces pollués. Au cours d’un point de presse, jeudi 19 novembre, une journaliste fait observer au porte-parole du gouvernement, Lambert Mende Omalanga, que l’Etat ne sait pas vider ses poubelles seul. C’est tout dire de ce dossier complexe dans lequel les responsabilités sont partagées : entre le gouvernement central, le gouvernement provincial de Kinshasa, et la Délégation de l’Union Européenne qui a assuré durant quelques années l’enlèvement d’une partie des immondices de la capitale dans le cadre du Projet d’Assainissement Urbain (PAUK).
70 millions d’euros de l’UE
Le PAUK a fait partie d’un projet plus vaste, le PARAU (Projet d’entretien et de réhabilitation des infrastructures routières en RDC et d’amélioration de l’assainissement urbain à Kinshasa), financé depuis 2008 à hauteur de quelque 70 millions d’Euros par l’Union Européenne à travers sa délégation de Kinshasa (1 million USD étaient dépensés par mois). Le PAUK consistait en l’évacuation et l’enfouissement de 11.000 m3 d’ordures (environ 9000 tonnes) de la ville de Kinshasa et visait l’amélioration des conditions de vie de près d’un million d’habitants de la capitale. 9 des 24 communes de la ville-province ont bénéficié du programme : Gombe, Barumbu, Kinshasa, Lingwala, Bandalungwa, Ngiri-Ngiri, Bumbu, Kasavubu, Kalamu, durant 6 ans. En 2014, 10 autres millions d’Euros ont été accordés au projet pour permettre la poursuite du programme durant une année supplémentaire en attendant que la Ville de Kinshasa ne prenne ses responsabilités.
Au mois d’août dernier, le projet d’assainissement des 9 communes est arrivé à échéance. Depuis septembre 2015, c’est à la partie rd congolaise que revient la tâche d’assurer l’assainissement de la capitale en décaissant le million USD/mois pour les 9 communes qui ont bénéficié du projet PARAU. Sans compter les 15 autres communes qui elles aussi doivent être assainies. Néanmoins, des urbanistes interrogés par Le Maximum reproche à l’UE de n’avoir pas conduit le projet dans les règles de l’art en la matière. Dès le départ, l’UE aurait dû associer les partenaires rd congolais en charge de l’assainissement et les mutualités kinoises au projet. Ces dernières, particulièrement, auraient ainsi pu initier les kinois producteurs de déchets ménagers à se prendre en charge. En prenant en charge une partie des dépenses d’évacuation par pousse-pousseurs des domiciles à la décharge publique. Des réflexions sur l’après-PARAU auraient dû être organisées dès le lancement du projet en 2008.
800.000 USD/mois pour assainir
L’affaire paraissait à la fois sérieuse périlleuse, les caisses de l’Hôtel de Ville ne pouvaient, simplement pas, réunir le montant dû. De plusieurs réunions entre experts du ministère des finances (gouvernement central) et de l’Hôtel de Ville, fin juillet-début août 2015, il s’est dégagé la nécessité d’accorder une période transitoire d’un an à l’Hôtel de Ville avant de permettre à sa régie (la RAPTK) de se charger des immondices. Durant cette année transitoire (du 21 août 2015 au 21 août 2016), les deux parties ont convenu de disponibiliser 800.000 USD/ mois pour la poursuite de l’assainissement des 9 communes, à raison de 80 % par le ministère des finances et 20 % par l’Hôtel de Ville de Kinshasa. C’est, manifestement, ici que les romains s’empoignèrent.
6.000 tonnes d’immondices x 30 jours
Dans une correspondance datée du 12 août 2015, le Premier ministre, Augustin Matata dénonce quasiment les termes de l’entente issue des réunions d’experts convoquées par son ministre des finances, Yav Mulang. « Au regard de l’état actuel de la trésorerie et des perspectives électorales, le Gouvernement de la République n’est pas en mesure de prendre en charge la quotité mensuelle lui proposée, dans le cadre de cofinancement de la première phase de mise en œuvre de la pérennisation du PARAU. Aussi, afin de permettre à l’exécutif de la ville de se préparer en conséquence, j’autorise la prise en charge d’un mois, par le Trésor Public, à dater de ce 21 août 2015 », écrit le Premier ministre. La quotité de 640.000 USD semble donc avoir été libérée fin août, puis plus rien.
Dans un communiqué rendu public au plus fort de la guerre des immondices entre l’Hôtel de Ville et l’Hôtel du Gouvernement, le 19 novembre 2015, le service de presse de Matata Ponyo rappelle que l’assainissement, la collecte et l’évacuation des immondices dans toutes les provinces reviennent aux gouvernements provinciaux. Mais aussi, que Kinshasa bénéficie déjà d’un traitement de faveur parce que 1,4 millions USD/mois sont mobilisés par l’assainissement de 5 communes et du boulevard Lumumba.
Ce n’est pas le point du gouverneur Kimbuta et de ses services. De retour d’une mission à l’étranger, le gouv’ de la ville a indiqué sur une télévision de la place que l’argent des immondices était disponible au BCCO. En fait, le 25 août dernier, en réponse au courrier de Matata, le Gouv’ Kimbuta faisait savoir que l’accord de cofinancement intervenu « … a tenu compte des contraintes financières respectives du Gouvernement de la République et de la Ville de Kinshasa » et proposait « … le financement du projet par un prélèvement sur ses crédits d’investissement inscrits dans le budget de l’Etat ». Quant à la somme de 1,4 million USD/mois du communiqué de la primature, il s’agirait de fonds qui ne sont pas gérés par l’Hôtel de Ville mais par le BCCO, selon une source à l’Hôtel de Ville.
Crédits d’investissements inscrits au budget de l’Etat ? Si c’est de la fameuse rétrocession aux provinces qu’il s’agit, et dont on sait qu’elle est encore problématique, la guerre des immondices a encore des sales jours devant elle.
J.N.