La guéguerre des leaders du FCC fait une victime dans la province du Sankuru
Lusambo, le chef-lieu de la province du Sankuru au centre de la RD Congo est, comme par miracle, propulsé sur le devant de la scène politique nationale depuis quelques jours. Non pas parce que des creuseurs artisanaux de diamant, la principale richesse de la province en dehors de l’agriculture et de la pêche, y auraient découvert une pierre particulièrement précieuse. Pas du tout. La petite bourgade au bord de la rivière Sankuru, qui abrite quelque 28.520 âmes (chiffres de 2014) ainsi que les institutions administratives de la jeune province fait l’objet d’un activisme politique d’importation, pour ainsi dire, qui la secoue dans les tous les sens.
Jusque mercredi 13 février 2019 dans la journée, la tension était perceptible parmi les populations de Lusambo-Ville après l’inhumation du corps du jeune Kalambay Ekonga (19 ans), décédé des suites de blessures par balles un jour plus tôt. Mardi 12, une marche pacifique de soutien de la plateforme kabiliste Front Commun pour le Congo (FCC) à la candidature du ministre de la Communication et Médias, porte-parole du gouvernement sortant, par ailleurs leader de l’Alliance CCU & Alliés Lambert Mende en ticket avec le PPRD Patrick Bekanga, avait dégénéré en bagarres rangées avec un groupe de contre-manifestants.
Les manifestants pro FCC, conduits par des élus provinciaux, notamment le REP & Alliés Justin Omokala et le CCU & Allié Me Lumbu, ont été attaqués par des hordes jeunes se réclamant d’un certain Mukumadi Joseph Stéphane, un candidat gouverneur à la tête de la même province que l’on dit issu de la diaspora congolaise en France. La marche a été interrompue par des jets de pierre, des échanges de coups ainsi que l’incendie d’au moins 6 habitations. Dans ces échauffourées, des policiers qui s’interposaient entre les deux groupes antagonistes ont tiré à balles réelles et blessé 5 manifestants dont un, Kalambay Ekonga, a succombé à ses blessures dans l’abdomen quelques heures plus tard à l’hôpital de Lusambo, selon les rapports de la police. Trois agents de police impliqués dans les incidents ont été mis aux arrêts par leur hiérarchie, selon la même source. Et un couvre-feu a été décrété sur Lusambo par les autorités locales réunies autour du Gouverneur Berthold Ulungu. Il n’était pas encore levé au moment où nous mettions sous presses.
Agitation insensée contre une candidature
Plusieurs jours de suite auparavant et particulièrement les lundi 11 et mardi 12 février 2019 à Lusambo, des groupuscules de jeunes instrumentalisés par des acteurs politiques avaient circulé dans la petite agglomération portant des banderoles appelant au rejet de la candidature de Lambert Mende Omalanga à l’élection de Gouverneur de province, provoquant le courroux des militants du FCC et particulièrement de ceux de l’Alliance CCU & Alliés acquis à la cause de l’autorité morale de leur parti. Dans cette circonscription électorale, en effet, la liste du regroupement de Lambert Mende emmenée par l’honorable Lobo Ngoyi Jean-De-Dieu a récolté le plus grand nombre des suffrages exprimés, soit 7.308 voix, suivie d’assez loin par la liste AABC (plus ou moins 6.200 voix). Les banderoles confectionnées pour obstruer une candidature à une élection au second degré (ce sont les députés provinciaux qui votent) ont été, dans ce contexte, perçues comme une réelle imposture et ont révolté les partisans du ministre de la Communication et Médias. Leur action s’est heurtée à l’hostilité des poseurs de banderoles des 11 et 12 février auxquels ils s’étaient résolus de répliquer.
Alors que des marches similaires d’appui à Lambert Mende et à sa liste FCC avaient été convoquées et s’étaient tenues sans incident à Bena-Dibele et Lodja, la capitale économique de la province, les détracteurs du FCC ont fait irruption sur celle de Lusambo, créant un drame qui empeste à mille lieux des atavismes tribaux et antidémocratiques dissimulés derrière un discours de surface de légitimité d’autochtones.
Il faut remonter aux incidents qui ont émaillé l’installation du bureau provisoire l’Assemblée provinciale, fin janvier 2019, pour mieux cerner les enjeux politiques à l’origine des incidents de Lusambo. Parce qu’ils avaient retardé de plusieurs jours le démarrage des activités de cet organe législatif provincial : un certain Ekesola, ci-devant secrétaire exécutif provincial près le bureau de l’Assemblée provinciale, avait unilatéralement décidé la modification de la décision de la CENI (Commission Electorale Nationale Indépendante) du 19 janvier 2019 portant annonce des résultats provisoires de l’élection des députés provinciaux pour la province du Sankuru. Aux termes de cet acte juridique, le bureau provisoire de l’Assemblée provinciale se composait du PPRD Léonard She Okitundu (l’élu provincial le plus âgé), secondé de deux de ses plus jeunes collègues, du REP & alliés Justin Omokala (32 ans) et du PALU & alliés Dambo Onayimbi (31 ans). Le préposé à l’administration désigna un autre élu provincial, également âgé de 32 ans pour siéger au bureau provisoire en remplacement de Justin Omokala, apparemment parce que ce dernier élu se trouve être (peut-être pour son malheur) le jeune frère de Lambert Mende. Ce furent les prémisses d’une lutte acharnée mais quelque peu tardive contre la candidature annoncée de Lambert Mende au gouvernorat du Sankuru. Selon des témoins contactés par Le Maximum à Lusambo, l’acharnement à éloigner tout proche de Lambert Mende du bureau provisoire visait à couvrir des manipulations dans le choix des autorités coutumières à coopter en qualité de députés provinciaux. Deux voix supplémentaires étant susceptibles de faire pencher la balance le moment venu. En vain puisque en fin de compte, ce sont des chefs coutumiers soutenus par le ‘joker’ de la plateforme FCC qui seront désignés par leurs pairs…
L’incident de janvier
L’incident fit grand bruit et étala au grand jour la guéguerre que se livrent entre eux des leaders politiques locaux, tous pourtant membres du Front Commun pour le Congo (FCC). Il est apparu, en effet, que sieur Ekesola n’était autre que l’homme de main du président PPRD sortant du bureau de l’Assemblée provinciale du Sankuru, le très conflictuel Charles Pongo Dimandja (PPRD). Et que la composition de ce bureau s’effectuait en fonction de la candidature annoncée de l’autorité morale de la CCU & alliés au gouvernorat du Sankuru. Les manifestations organisées à grands frais dans une petite bourgade enclavée plutôt réputée pour la précarité des ressources de ses habitants furent autant de tentatives pour conjurer l’incontournable, selon les observateurs avertis de l’arène politique sankuroise.
Au Sankuru, les tribulations de l’arène politique sont fratricides. Dans cette vaste contrée qui a vu naître le Héros National Patrice Emery Lumumba, l’opposition Lamuka n’a pu rafler qu’un seul des 23 sièges de l’assemblée provinciale, qu’elle doit au G7 Armand Matonga (Katako-Kombe). La bagarre autour de l’élection à la tête de la province se joue donc entre partis et regroupements politiques du FCC du Chef de l’Etat sortant, Joseph Kabila Kabange. Et parmi ces regroupements, c’est le PPRD qui, avec ses « partis satellites » s’en est sorti avec le plus grand nombre des sièges, soit 7 élus à Katako-Kombe (1), Lodja (2), Lomela (1), Lubefu (1), Lusambo-Ville (1), Kole (1). Ce chiffre peut être porté à 8 lorsqu’on y ajoute le siège obtenu par le PPPD, un parti politique connu pour être le double du PPRD, à Lubefu.
Les statistiques du plébiscitent Mende
L’ex. parti présidentiel est immédiatement suivi par l’Alliance CCU & alliés de Lambert Mende qui compte officiellement 4 sièges dont 1 à Katako-Kombe, 2 à Lodja, et 1 autre à Lusambo. Dans la réalité, ce nombre doit être porté au double ou presque, Lambert Mende ayant eu l’habileté politique de placer ses pions dans le REP & Alliés qui lui ajoute 3 sièges provinciaux supplémentaires dont 1 à Lodja, obtenu par son jeune frère Justin Omokala, 1 à Kole, et 1 à Lomela.
Le reste des sièges reviennent respectivement au PALU & alliés (2), à l’AABC (2), au G18 (1), à l’AAAC (1), à l’ABCE (1) et à l’AAAC.
Sur le terrain politique également, le ministre sortant de la Communication et médias pèse de loin plus que tout éventuel challenger, ainsi qu’en attestent les statistiques électorales.
Dans la circonscription de Lodja, la plus peuplée de la province du Sankuru (411.552 électeurs) où sont également élus à la députation nationale Jean-Charles Okoto (PPRD) et Adolphe Onusumba (G18), c’est la liste CCU & alliés qui vient loin en tête aux provinciales avec 47.395 voix, suivie de la liste REP & alliés de Justin Omokala, 25.401 voix. La liste PPRD arrive en 4ème position (14.672 voix), assez loin après la liste AAAC (18.387 voix). Le leadership politique de Mende dans son Lodja natal est nettement incontestable. Au plan national, le leadership de Mende au Sankuru est confirmé par son score personnel : plus de 55.000 voix, le faisant accéder au « Top 5 » des meilleurs élus de la RDC…
Leadership incontestable
A Katako-Kombe, la deuxième circonscription en importance après Lodja (4 sièges pour 220.536 électeurs), la liste CCU & alliés caracole également en tête des partis et regroupements politiques engagés avec 18.129 voix, contre 7.279 voix pour le PPRD, et 7.373 voix pour le PALU & alliés. Les leaders FCC locaux (le PPRD Léonard She Okitundu, le PALU Lokola Elemba…) trahissant de surcroit la faiblesse d’avoir abandonné 14.642 voix au juriste Christophe Lutundula, dont le candidat G7 local à la provinciale a été élu.
Même dans la circonscription de Lusambo (2 sièges), la liste CCU & alliés se comporte mieux que toutes les autres avec ses 7.200 voix qui la place assez loin devant l’AABC (6.088 voix). Ici, le PPRD sauve cependant la mise grâce à l’élection de Léonard She Okitundu en qualité de député provincial dans la circonscription voisine de Lusambo-Ville avec… plus ou moins 2.000 voix.
Selon ces chiffres de la CENI, sur l’ensemble de la province du Sankuru, la liste CCU & alliés représente à elle seule quelques 72.821 voix ; contre 59.407 voix pour le PPRD ; 33.522 pour le REP & alliés ; 18.186 pour le PALU & alliés ; 18.076 pour le PPPD ; 13.225 pour l’AABC … De ce point de vue également, les données chiffrées sont claires : aucun leader politique n’approche « moralement » le fondateur de la CCU. Simplement. Ci-git peut-être le vrai problème au Sankuru, qui se manifeste par des manifestations d’hostilité… et qui trahissent en fait l’impuissance rageuse de manipulateurs qui se recrutent certainement parmi certains leaders du FCC qui n’ont pas eu les faveurs des « primaires » organisées au sein de cette plateforme au Sankuru, à n’en pas douter.
Réaliste, Lambert Mende s’est composé un ticket CCU & alliés – PPRD, et se présentera devant les élus provinciaux vers fin mars 2019 avec un co-listier, Patrick Bekanga, originaire du territoire de Lomela. 13 voix suffiront pour que le tandem soit élu, et il le sera sans doute, ainsi que chacun le sait au Sankuru. Naturellement, cela n’arrange pas les affaires de tout le monde dans la classe politique locale, ce qui peut expliquer les pressions « d’arrière garde » orchestrées à Lusambo. Elles ne sont pas destinées à l’opinion locale, parce que le poids politique et la popularité du ministre sortant de la Communication et Médias ne font l’ombre d’aucun doute ni d’aucune réelle contestation à la base, comme on l’a vu. Elles sont destinées à la hiérarchie, au sommet du FCC, dernier et ultime ressort susceptible de modifier la donne. Rien de plus.
J.N.