Dans la zone de Rutshuru, frontalière entre la RDC, le Rwanda et l’Ouganda, où de nouveaux affrontements opposent depuis fin mars 2022 les FARDC aux rebelles du M23, le calme semblait être revenu progressivement 48 heures après. Selon les sources locales, après de violents affrontements, mardi 29 mars près de la cité de Bunagana, les rebelles avaient quitté la zone vers une direction non encore précisée et les troupes loyalistes ont conforté leurs positions à Rwangira sur la route de Bunagana notamment.
L’avancée du M23 des collines de Chanzu et Runyonyi, conquises qu’il occupait après l’attaque des positions FARDC lundi 28 mars semblait donc stoppée. Des sources croisées dans la région signalent l’abandon de leurs positions conquises depuis lundi, notamment Cherengerero, et Rwanguba dans le groupement de Jomba. Cependant que de nouveaux affrontements entre FARDC et M23 étaient signalés à Bigega, plus à l’Est de Bunagana vers le parc des Virunga.
Une chose était donc certaine, mercredi 30 mars en fin de journée : la cité de Bunagana demeurait bien toujours entre les mains des FARDC qui y maintenaient l’ordre et la tranquillité.
A Kiwanja et Rutshuru- Centre, des témoins font état de la reprise progressive des activités socio-économiques avec la réouverture des boutiques, cafés et autres officines de commerce dès mercredi à l’aube. Seules les écoles n’avaient pas rouvert leurs portes, en raison de la fuite des habitants devant l’avancée des rebelles lundi dernier.
Bunagana n’est pas tombé
Mercredi 30 mars dans la soirée, les rebelles du M23 s’étaient donc retirés de plusieurs villages qu’ils avaient assiégés précédemment sur la route Rutshuru-Bunagana pour installer de nouvelles positions vers Bugusa. Quelques heures plus tôt, les FARDC avaient entrepris de pilonner leurs positions à Bigogwe, les repoussant vers Rwanguba, Pont-Rwanguba et Kabindi.
A Chengerero, les rebelles ont pillé la localité mercredi en milieu d’après-midi avant d’abandonner leurs positions. Une cantine scolaire financée par World Vision, la paroisse ainsi qu’un couvent de soeurs catholiques et de nombreuses habitations privées en ont fait les frais.
L’offensive du M23 lundi dernier a néanmoins provoqué un énorme mouvement de populations, faisant redouter une catastrophe humanitaire, selon la société civile de Rutshuru. Le groupement de Jomba et les localités riveraines se sont vidées à 80 % de leurs habitants qui ont fui vers l’Ouganda et les citées mieux sécurisées de la région. Emmanuel Ngaruye, un député national de Rutshuru rapporte à ce sujet que les localités de Gikoro, Mukingo, Bunagana et Rubona ont été totalement désertées tandis que Nagasozi et Kibanda ne l’ont été que partiellement. Dans le groupement voisin de Busanza, la localité de Mungo s’est, elle aussi, partiellement vidée de sa population. Dans l’ensemble, ce sont quelques 5.000 personnes qui ont fui vers Gisoro en Ouganda, des milliers d’autres ayant trouvé refuge à Rutshuru- Centre, Kiwanja, Kisigari et d’autres villages riverains de Busanza en RDC.
Mouvements de populations
Mercredi 30 mars, la Croix Rouge ougandaise a indiqué que les réfugiés congolais initialement installés à l’école primaire Bunagana ont été déplacés vers le centre de transit de Nyakabande. Ceux parmi eux qui ont tenté de regagner Bunagana en ont été dissuadés par les autorités ougandaises estimant que la localité n’était pas encore suffisamment sécurisée. Jusque mercredi soir, en effet, les collines de Chanzu et Runyonyi, à seulement 4 km de la frontière, n’avaient pas encore été totalement reconquises par les forces loyalistes.
Les autorités coutumières du territoire de Rutshuru ont, quant à elles, trouvé refuge à Goma. Il s’agit notamment du Mwami Jean-Baptiste Ndeze Rekaturebe (chefferie de Bwisha), et 4 chefs de groupements arrivés dans la ville volcanique mercredi 30 mars dans la soirée.
Outre ce déplacement massif de populations, l’attaque des positions FARDC par les rebelles du M23 a occasionné la destruction «non accidentelle» d’un hélicoptère de la MONUSCO, qui s’est écrasé alors qu’il survolait la zone de Chanzu mardi 29 mars 2022. Selon les FARDC, l’aéronef qui avait à son bord 8 casques bleus dont 6 Pakistanais, 1 Russe et 1 Serbe, avait été abattu par les rebelles du M23 qui occupaient la colline de Chanzu depuis lundi 28 mars 2022. Une accusation démentie par les rebelles qui affirment à leur tour que ce sont les FARDC qui sont responsables du crash de l’hélicoptère onusien.
Le même mardi, Antonio Guterres, secrétaire général des Nations-Unies, a publié un communiqué annonçant le décès des casques bleus qui «effectuaient une mission de reconnaissance dans la région de Chanzu» ainsi que l’ouverture d’une enquête pour déterminer les causes exactes de l’accident.
La MONUSCO victime des affrontements
Mercredi dans un tweet, la mission onusienne a confirmé le décès de ses 8 membres dont les dépouilles avaient été retrouvées et ramenées à Goma sans avancer la moindre hypothèse sur la responsabilité de l’accident. Les officiels onusiens se sont limités à évoquer «un objet lumineux» dont la nature reste à déterminer, comme cause du crash. «Les premières remarques préliminaires de notre état-major de la force font état d’un crash qui aurait été causé par un objet lumineux», a déclaré en substance Khassim Diagne, représentant spécial adjoint pour la protection et les opérations de la mission onusienne en RDC Et, «une enquête est en cours et devrait permettre d’en savoir plus sur la nature de cet objet», a indiqué Ndèye Khady Lo, porte-parole adjointe de la MONUSCO pour qui donc la cause du crash semble extérieure, même si on ne peut conclure à un accident. La MONUSCO assure néanmoins n’exclure aucune piste, y compris celle «d’une attaque contre cet hélicoptère». Pour la mission onusienne aussi, « l’hélicoptère était en reconnaissance dans la zone de Chanzu, en territoire de Rutshuru».
Implication rwandaise ?
Même si en diplomates frileux, les onusiens se gardent bien de dramatiser outre mesure les contours du crash de l’aéronef qui a entraîné la mort de 8 casques bleus, les observateurs estiment que les conséquences de ces pertes pourraient s’avérer lourdes en cas de confirmation de la thèse d’un tir à l’arme lourde contre l’aéronef. Lundi 28 mars 2022, l’armée congolaise avait confirmé l’attaque de ses positions de Chanzu et Runyonyi par le M23 «soutenu par les Forces de Défense du Rwanda». En même temps qu’elle annonçait la capture au front de 2 militaires rwandais, l’adjudant Habyarimana Jean-Pierre et le soldat de rang Uwajeneza Muhindi John. Interrogés, les deux captifs ont livré des détails confirmant leur appartenance aux RDF rwandais, et indiquant qu’ils appartenaient à une unité chargée d’appuyer le rebelle congolais Sultani Makenga. Selon le communiqué lu à cet effet par le général Sylvain Ekenge, porte-parole des FARDC dans la région, ces deux militaires relevaient du 65ème bataillon de la 402ème brigade RDF commandésrespectivement par le lieutenant-colonel Ruringo Joseph et le général Nkubito Eugène basés à Jarama, au camp militaire Kibungo au Rwanda.
Des révélations accablantes pour le Rwanda qui a aussitôt démenti, comme à l’accoutumée.
Mardi 29 mars, un communiqué de François Habitegeko, gouverneur de la province rwandaise de l’Ouest, a soutenu que les deux hommes présentés par les FARDC comme des éléments RDF auraient déjà été évoqués par la partie congolaise lors d’une réunion du Mécanisme conjoint de vérification et de renseignement tenue le 25 février à Kigali. Sans convaincre puisque le même jour, Patrick Muyaya, ministre congolais de la Communication et porte-parole du gouvernement, de passage à Paris, condamnait en des termes clairs l’hypocrisie dans les relations entre le M23 et le Rwanda, sans élaborer.
Intervenant au «Journal Afrique» de TV5, Muyaya a en effet déclaré qu’«il faut condamner cette énième incursion parce que ce n’est pas la dernière fois. Je me souviens qu’en novembre dernier, il y a eu des attaques de ce genre. Je crois que l’armée qui suit et qui documente les actions sur le terrain nous donne des éléments et quoi qu’il en soit, nous condamnons cette attitude. Nous pensons qu’il est temps de mettre fin à cette forme d’hypocrisie ou cette forme de complicité qui existerait entre le M23 et le gouvernement du Rwanda. Parce que nous, nous voulons regarder le Rwanda comme un pays partenaire autant que nous regardons l’Ouganda».
Kinshasa et Kigali en chiens de faïence
Sur les antennes de RFI, mercredi, le porte-parole du gouvernement de la RDC a légèrement assoupli sa position sans vraiment renier l’essentiel. «On ne va pas aller dans cette rhétorique de militaire pour lequel il existe des mécanismes de vérification entre les deux pays et qui seront activés. Vous avez vu que le président de la République a rencontré le président Kagame il y a quelques jours en Jordanie. Des contacts diplomatiques vont se faire pour que ces choses, si elles s’avèrent, puissent être clarifiées, et c’est cela la volonté du président», a déclaré Patrick Muyaya en réponse à une question de Christophe Boisbouvier sur les dénonciations de l’armée congolaise. Et ce, après avoir rappelé que «il y a eu une incursion des militaires M23, c’est la deuxième fois et c’est les mêmes méthodes. On connaît plus ou moins la proximité qui a toujours caractérisé ces forces rebelles avec le pays dont vous parlez. Evidemment, si les militaires en parlent, sûrement qu’il y a des éléments de terrain qui peuvent l’attester, mais aujourd’hui nous ne voulons pas nous focaliser sur ces choses parce que nous pensons qu’il est temps de construire une relation de paix dans la sous-région …».
Démenti de Kigali
Justifiant son incursion dans le groupement de Buhumba en territoire de Nyiragongo le 18 octobre dernier, Kigali reconnaît que ses troupes avaient «involontairement» pénétré en territoire congolais «en poursuivant les contrebandiers qui portaient des paquets non-identifiés, soupçonnés d’être des armes». Alors que l’armée congolaise affirmait que «les éléments qui ont fait incursion à Kibumba sont bien connus et identifiés. Ce sont des éléments de RDF. Ils sont arrivés jusqu’à 200 mètres de la route nationale n° 2. C’est après l’arrivée des FARDC qu’ils ont rebroussé chemin».
Un vent d’apaisement souffle, néanmoins, sur les relations entre Kinshasa et Kigali, sans doute influencé par les condamnations tous azimuts de la nouvelle agression du M23 manifestement soutenus par Kigali. Mardi 29 mars, le secrétaire général des Nations-Unies, Antonio Guterres, s’était déclaré «profondément préoccupé par la résurgence des activités du M23 dans la zone des trois frontières autour du Rwanda, de la RDC et de l’Ouganda, ainsi que par l’impact continu de la violence impliquant des groupes armés sur les civils». Tout en réitérant «l’engagement des Nations-Unies à soutenir le gouvernement et le peuple congolais dans leurs efforts pour ramener la paix et la stabilité dans les provinces orientales du pays».
Un communiqué de la porte-parole de l’Union européenne publié le même mardi appelait à la «reddition immédiate et inconditionnelle du M23 et de tous les groupes armés en RDC» et encourageait «la saisine des mécanismes de gestion des différends par les instances régionales et internationales compétentes».
Condamnations
Convoqué mercredi 30 avril au ministère congolais des Affaires étrangères au sujet de l’implication des éléments des forces armées rwandaises dans l’attaque des positions FARDC en territoire de Rutshuru, l’ambassadeur rwandais en RDC, Vincent Karega, a adopté un profil bas. Tout en niant les accusations des FARDC. «A travers notre conversation, nous avons rassuré le vice-premier ministre, ministre des Affaires étrangères, que le Rwanda n’a aucun intérêt à épauler le M23. Par contre, ensemble, en tant que pays voisins en bonne coopération, nous devons travailler pour nous assurer qu’li n’y ait pas insécurité à nos frontières», a-t-il déclaré. Kinshasa et Kigali ont convenu de vérifier ensemble les accusations avancées par l’armée congolaise et d’interroger ensemble les deux personnes capturées et présentées comme membres de l’armée rwandaise, a-t-on appris de l’entrevue entre les deux hommes d’Etat. «Par rapport à ces allégations, nous nous sommes convenus que nous pouvons faire une mission conjointe de vérification et de restauration de la confiance et de la coopération », a indiqué en substance Karega, confirmant toutefois les dénégations rwandaises au sujet des captifs présentés par les FARDC. «Ils n’ont pas été capturés hier. Cela fait un mois qu’ils sont entre les mains des congolais. Par rapport aux numéros matricules donnés, nous n’avons pas de telles unités dans notre armée. Nous n’avons aucun plan ou projet à appuyer une cause qu’on ne maîtrise pas», a-t-il cru devoir préciser.
Quadrature du cercle
Dans ce dossier des mouvements rebelles tentaculaires soutenus par Kigali, c’est donc la quadrature du cercle entre les agressions de la RDC, les dénégations rwandaises et la complicité manifeste d’une partie de la communauté internationale qui appuie les dénégations rwandaises. Les revendications du M23, comme celles du CNDP de Laurent Nkunda ont en commun le fait d’être exogènes. Elles semblent en effet destinées à neutraliser une partie des territoires congolais de l’Est, carrément, pour permettre à Kigali d’assouvir ses intérêts économiques ou ses appétits expansionnistes. C’est de cela qu’il s’agit lorsqu’on évoque les «causes profondes» du conflit congolais.
Mardi 29 mars 2022 devant les membres du conseil de sécurité des Nations-Unies, c’est la position que Bintou Keita a défendue en appelant à une stratégie pour s’attaquer auxdites causes profondes. La représentante spéciale du secrétaire général de l’ONU et cheffe de la MONUSCO a présenté un tableau plutôt sombre de la situation sécuritaire en RDC malgré les opérations militaires conjointes contre les groupes armés. «C’est la preuve des limites inhérentes à la stratégie qui consiste à n’avoir que des opérations de sécurité pour résoudre les conflits », a-t-elle souligné, ajoutant que «sans une approche combinée s’attaquant à la fois aux causes et aux symptômes, les efforts des forces onusiennes et congolaises resteront insuffisants».
Les fameuses causes profondes
On peut rappeler que les causes et les symptômes de l’insécurité dans les territoires de l’Est de la RDC, notamment ont été listées dans l’Accord de Lemera, conclu entre le Rwanda, le Burundi, l’Ouganda et L’AFDL de Laurent-Désiré Kabila en 1996. On prétend dans certains milieux sans le prouver que l’article 4 de ce document également signé côté congolais par André Kisase Ngandu, Anselme Masasu Nidaga et Déogratias Bugera stipulerait que «l’Alliance s’engage à céder 300 km aux frontières du pays, pour sécuriser ses voisins ougandais, rwandais et burundais contre l’insurrection rebelle».
Kigali, mais aussi Kampala s’appuient sur ces allégations pour justifier leurs intentions d’annexer des pans entiers de la RDC à leurs pays et conforter les rentes que leurs régimes politiques tirent de la prédation et du pillage des ressources naturelles de leur voisin congolais.
Les revendications du M23, exprimées au cours des négociations avec la partie congolaise fin 2013 à Kampala sont, elles aussi, éloquentes à cet égard. Elles exigeaient du gouvernement de la RDC de déclarer le Nord-Kivu, l’Ituri, le Sud-Kivu, le Haut-Uélé, le Maniema et le Tanganyika ‘‘zones sinistrées’’ avec un statut administratif particulier, un plan de développement spécial, une large autonomie fiscale et financière, un programme spécifique de sécurisation afin de concrétiser différents accords régionaux. Sans compter la sempiternelle question des réfugiés, dont le retour en RDC doit être facilité à travers des mécanismes de réconciliation et de cohabitation. Le M23 revendiquant le contrôle de ladite zone en menant des opérations contre les FDLR rwandais et les ADF ougandais durant 5 ans renouvelables.
Mardi dernier en visio-conférence avec les membres du conseil de sécurité de l’ONU, Bintou Keita n’y est pas allée de main morte en soutenant que «le gouvernement congolais devrait mettre en oeuvre des stratégies globales pour s’attaquer aux causes profondes et structurelles de la détérioration sécuritaire dans l’Est du pays. Des stratégies qui prennent en compte notamment, des mesures et réformes susceptibles de s’attaquer aux causes profondes et structurelles de ces conflits». Des mots qui sonnent comme un appel subtil à la renonciation par la RDC de sa souveraineté sur une partie de son territoire qui ne serait rien moins qu’un acte de haute trahison selon la constitution congolaise auquel Félix Tshisekedi à l’instar de son prédécesseur Joseph Kabila n’est pas prêt à souscrire.
LE MAXIMUM