Il ne se passe pas de jour sans qu’un(e) spécialiste des affaires congolaises en Europe ou en Amérique ne monte au créneau pour indiquer aux principaux décideurs issus des dernières élections générales de décembre 2018 en RDC le meilleur chemin pour atteindre le nirvana de la conservation ou de la (re)conquête du pouvoir suprême. Même au prix du développement, du bien-être collectif et de l’émergence du pays. Depuis l’alternance pacifique au ‘’top job’’, un premier épisode glorieux de l’histoire du pays de Lumumba piloté depuis l’intérieur, des « conseilleurs » – pas toujours payeurs – sont à la manœuvre autour du président Félix Antoine Tshisekedi et de son prédécesseur Joseph Kabila Kabange à cette fin. Derniers exemples en date : la campagne de deux officiels américains, l’envoyé spécial Grands Lacs Peter Pham et l’ambassadeur à Kinshasa Mike Hammer, engageant le président Tshisekedi à en découdre d’une façon ou d’une autre avec le sortant (et chef de la majorité parlementaire) Joseph Kabila et les propos acerbes de notre consœur belge Colette Braeckman qui vient d’asséner une volée de bois vert à ces deux leaders mais aussi au directeur du cabinet présidentiel Vital Kamerhe ainsi qu’aux FARDC. La glose venimeuse de cette éditorialiste bruxelloise exprime manifestement le dépit de la classe néo-libérale belge inconsolable d’avoir perdu son rôle directif sur la gouvernance du Congo. Dans un cas comme dans un autre, le cynisme qui le dispute à la mauvaise foi devrait alerter les Congolais. La mort suspecte ce 28 février 2020, dans des circonstances non encore élucidées du général major Delphin Kahimbi, chef d’Etat major adjoint chargé des renseignements militaires des FARDC, semble lié à cette opération de déstabilisation de la RDC par des groupes d’influence extérieurs que la montée en puissance de l’armée gouvernementale rd congolaise gêne aux entournures. Tout est parti d’une banale mesure « administrative » des services de migration qui ont empêché l’officier général de se rendre en Afrique du Sud selon un de ses proches sans que l’on ne sache si cela était dû au fait qu’il n’avait pas reçu l’autorisation de sa hiérarchie pour ce voyage ou qu’il faisait l’objet d’une restriction de déplacement judiciaire. Dès le lendemain, il était suspendu et interrogé sur procès-verbal pour des présomptions de subversion ou de mutinerie. L’ambassadeur américain Mike Hammer et l’envoyé spécial US pour la région des Grands Lacs Peter Pham se sont aussitôt bruyamment félicités des ennuis de l’officier général. Une attitude d’autant plus surprenante que rien jusque-là n’indiquait que ces mesures étaient consécutives à une procédure régulière. Que soixante ans après l’indépendance, des plénipotentiaires de pays qui avaient porté à bout de bras pendant plus de trois décennies un régime dictatorial en RDC se permettent de rééditer ainsi les prétentions qui ne sont pas sans rappeler la ‘’mission civilisatrice’’ des colonialistes en dit long sur leur mépris pour les Congolais, leurs aspirations et valeurs qu’ils sont prêts à sacrifier au profit de leurs intérêts. Que l’éditorialiste belge Colette Braeckman accuse sans le moindre début de preuve l’ex-président Kabila de s’approvisionner en armes de guerre pour briser une coalition dont le péché est de n’avoir pas été inspirée par ceux qui se prennent pour les maîtres du monde, sans épargner le nouveau président Félix Tshisekedi qui, selon elle ne ferait que « additionner les voyages pour conquérir sa légitimité au delà des frontières (sans) consolider ses alliances et assurer ses arrières (alors que) son parti, l’UDPS (…) n’a pas encore acquis l’expérience du pouvoir (que) son entourage recruté dans la diaspora, est soupçonné d’enrichissement rapide (et que) Kabila contrôle toujours le Sénat, l’Assemblée et garde son ascendant sur l’armée et dispose de cartes cachées comme ces armes de guerre qui arrivent nuitamment depuis la Tanzanie jusqu’au port de Tanganyika, sur les bords du lac du même nom, par l’entremise du gouverneur de la province qui n’est autre que Zoé Kabila, frère de l’ex chef de l’Etat » conforte cette observation. Certains à partir de Washington et Bruxelles voudraient manifestement allumer le feu de la division et de la conflictualité au sommet de l’Etat congolais. Leur arme de prédilection est la manipulation et l’intoxication. Un haut gradé des FARDC récemment promu par le président Tshisekedi qualifie les allégations d’importation clandestines d’armes par le Lac Tanganyika de « pures affabulations car, parti volontairement et pacifiquement du pouvoir, Joseph Kabila n’est pas fou pour envisager de revenir au pouvoir par les armes pendant le mandat de son successeur ». Ces affabulations réflètent la surprise et le dépit d’une certaine classe politique occidentale nostalgique d’un Congo aux mains de dirigeants immatures qui, tels de grands enfants, ont toujours vécu dans l’attente des « orientations » de tuteurs étrangers. Pourtant en janvier 2019, alors qu’on attendait la prestation de serment de Félix Tshisekedi, Colette Braeckman écrivait que « Tshisekedi et Kabila (étaient) étrangement “unis par le sort” (en référence à un passage de l’hymne national de la RDC, Ndlr). Une cohabitation donc, qui, de manière surprenante, satisfait et rassure une grande partie de l’opinion congolaise. Nombre de nos interlocuteurs (…) assurent que ‘’personne n’a tout gagné, personne n’a tout perdu’’, autrement dit, personne n’a perdu la face. La réconciliation est possible, le spectre de la guerre civile est écarté, pour le moment en tous cas ». L’érosion de cet optimisme de façade qui donne tout son sens à l’incise « pour le moment en tout cas… » illustre bien que ce n’était que partie remise pour les prédateurs. L’implosion du Congo et sa balkanisation ainsi que sa mise sous coupe réglée restent à l’ordre du jour. Aujourd’hui plus qu’hier, ceux qui portent le sort du Congo et des Congolais sur leurs épaules doivent faire preuve de suffisamment de maturité pour déceler les pièges que leurs différents partenaires, qui ne cesseront jamais de convoiter leurs immenses potentialités économiques, parsèment leurs parcours respectifs. L’Histoire ne leur pardonnera pas si par négligence ou faiblesse d’esprit, ils se faisaient berner par des mascarades de faux vrais amis qui ont tout intérêt à les voir s’étriper indéfiniment pour pouvoir faire main basse sans contrepartie ou presque sur lesdites potentialités. On peut ne pas aimer Joseph Kabila, il faut reconnaître qu’il a eu le courage de refuser d’avaler la couleuvre de la coopération léonine que les partenaires « traditionnels » du Congo-Kinshasa outre- Atlantique et outre- Méditerranée ont tenté de lui imposer comme ils le firent naguère avec le maréchal-président Mobutu avant de le jeter comme un kleenex usé. En 1960 comme aujourd’hui, cultiver la haine et la suspicion entre les composantes les plus significatives du landerneau politique congolais en faisant croire à chacune d’entre elles qu’elle peut, en marge des normes régulant le vivre ensemble, écraser les autres a toujours été au cœur de la stratégie de ces groupes d’influence. Le « crime » de Kabila qui a fait mentir ces anticipations n’en est pas un. Ce serait un dommage irréparable pour ce grand pays au cœur de l’Afrique que le président Tshisekedi après un si bon départ prête une foi aveugle à la rhétorique malicieuse de ces « amis » qui prétendent mieux savoir ce qu’il faut au bonheur des Congolais que les Congolais eux-mêmes. Il lui appartient, à lui et à lui seul, à l’instar de son prédécesseur de relever ce défi et de donner corps à la volonté de son peuple de vivre en paix. Arrivé au pouvoir grâce à une alternance pacifique qui constitue la première phase de la normalisation de la vie démocratique et moderne de son grand pays, Fatshi aurait tort de faire marcher le train de l’Histoire à reculons à cet égard. Ainsi et ainsi seulement, l’incontournable coopération de la RDC avec ses partenaires cessera d’avoir les allures du mariage entre le pot de terre et le pot de fer qu’il a toujours eu depuis 1885.
AlfRed Mote