C’est l’imbroglio généralisé au sein de la plateforme Lamuka, née début novembre 2018 à l’hôtel Warwick de Genève (Suisse), lorsque Moïse Katumbi, Jean-Pierre Bemba, Adolphe Muzito, Freddy Matungulu et Martin Fayulu décidèrent contre le bon sens d’accorder leurs préférences sur le dernier cité dans la lutte pour la conquête du top job dans leur pays. Aujourd’hui, près de 4 ans après Genève, non seulement tous courent encore derrière l’accès à la magistrature suprême tant convoitée mais en plus, la plateforme née dans les circonstances traîtresses que l’on connaît tend carrément vers sa disparition. Pour avoir achoppé au mode de gestion décliné en présidence rotative, qui n’a pas résisté à l’épreuve du temps et à l’évolution de la politique de la RDC à l’interne, marquée par l’élection de Félix Tshisekedi à la présidentielle de décembre 2018.
Deux ailes
Divisée en deux ailes depuis plusieurs mois, Lamuka n’arrête pas de se morceler. Depuis notamment que l’aile composée de Moïse Katumbi et Jean- Pierre Bemba s’est réduite en peau de chagrin avec leur adhésion à l’Union sacrée de la Nation (USN) de Félix Tshisekedi. Elle implique la renonciation à la prochaine présidentielle à laquelle l’ancien gouverneur du Katanga n’entend renoncer pour rien au monde. A la différence de Jean-Pierre Bemba, exclu de toute compétition électorale en raison de ses démêlés avec la justice internationale.
L’autre aile Lamuka, animée par Martin Fayulu et Adolphe Muzito semble devoir, elle aussi, céder aux soubresauts de la division. Depuis notamment que le dernier cité a dénoncé l’adoubement sans autre forme de procès de caciques du FCC de Joseph Kabila dans un nouveau regroupement, le bloc patriotique. Sans en référer outre mesure à son collègue de la coalition, Adolphe Muzito et le Nouvel Elan, son parti, ont dénoncé l’alliance avec «ceux qui sont à l’origine du hold-up électoral de 2018» qui, selon Lamuka, a fait perdre à Martin Fayulu son candidat le top job convoité au profit de Félix Tshisekedi. Le combat politique est aussi une question de respect de valeurs, clame-t-on chez cet ancien 1er ministre PALU passé à droite avec armes et bagages il y a 4 ans : pas question de s’acoquiner avec les kabilistes, donc.
Muzito se fâche
La décision de Muzito est tombée au plus mauvais moment. Lorsque le bloc patriotique, le nouveau regroupement créé pour mener la vie dure à Félix Tshisekedi, préparait sa première manifestation de rue pour réclamer une loi électorale consensuelle, prévue le 6 mai 2022. Elle bénéficiait du renfort des organisations chrétiennes catholiques et protestantes, le CALCC et le MILAPRO, de Ensemble pour la République de Moïse Katumbi et de nombreuses structures dites de la société civile, en plus du FCC, récemment admis dans le groupe. Les cadres du parti de Muzito n’ont pas tari de commentaires sur le sujet, tous acerbes : «si certains membres de la coalition Lamuka croient que nous pouvons nous mettre avec les kabilistes, mieux avec Joseph Kabila, dans ce cas, nous devons demander pardon au peuple congolais pour lui avoir menti en lui disant que notre candidat avait remporté la présidentielle 2018», pestait l’un d’entre eux. Et cet autre militant de Lamuka de s’interroger: «si nous avons eu tort d’accuser Joseph Kabila à l’issue de la présidentielle de décembre 2018, à quoi aura servi notre combat pour la vérité des urnes ?».
Vérité des urnes ?
Conséquence de ces contradictions internes, le sit-in du 6 mai devant le Palais du peuple s’avéra un fiasco parfait : à peine une centaine de manifestants, selon les chiffres de la police nationale congolaise (PNC).
L’affaire ne semble pas avoir beaucoup plu à Martin Fayulu, connu pour être peu regardant sur les principes de regroupement dès lors qu’il peut tirer son épingle du jeu en accaparant la coalition pour son compte personnel. Ou tout au moins de sa dénomination et des titres qui vont avec. Mardi 11 mai, l’autre patron de Lamuka a reçu avec ostentation Augustin Matata Ponya, l’ancien 1er ministre Kabila qui vient de créer son propre parti politique et paraît être en quête d’alliances-choc. C’en fut trop pour Muzito qui, au détour d’une prestation médiatique, dénonça la nouvelle alliance en gestation. «On se trouve en face des gens qui se marient sans s’être fiancés au préalable. Les alliances doivent se faire entre partis politiques», a-t-il asséné. Preuve supplémentaire qu’entre les deux leaders bandundois, la lune de miel appartient au passé. Sans doute autant que la fameuse lutte pour la vérité des urnes, que son désormais ex alter ego projette dans le futur, à l’issue de la présidentielle 2023. «Le peuple doit veiller à ce que la vérité des urnes ne lui soit pas volée à la prochaine présidentielle», professe en effet, désormais Martin Fayulu.
Double jeu
Mardi 17 mai, le Nouvel Elan de Muzito a confirmé les dissensions avec Martin Fayulu et l’opposition à Félix Tshisekedi en annonçant son retrait du bloc patriotique. Parce que certains membres du regroupementjouentdouble jeu, selon Albert Mukulunudu, porte-parole du parti. «Nous rejetons le fameux bloc patriotique parce qu’il ressemble à l’Union sacrée. Et puis, il ne dispose d’aucun acte constitutif et regorge en son sein les auteurs du hold-up électoral du 30 décembre 2018», a-t-il rappelé. Nouvel Elan n’est plus le seul à récuser le bloc patriotique, du reste. De nombreux autres membres du nouveau regroupement ont décidé de quitter la barque, en raison notamment de la duplicité de certains parmi eux, qui assistent à la fois aux réunions du bloc et à ceux de l’USN. «Ceux de Ensemble pour la République de Moïse Katumbi, par exemple. Ils font même parti du gouvernement que nous combattons», avance l’un d’entre eux.
L’affaire semble mal engagée, à l’évidence.
J.N.