A quelque 3 mois des scrutins électoraux de décembre 2018, la situation sécuritaire dans région de Beni-Butembo-Lubero au Nord-Kivu se dégrade davantage. Dans la nuit de samedi 22 au dimanche 23 septembre 2018, les rebelles ougandais de l’ADF ont lancé une attaque en pleine ville de Beni, tuant et pillant des établissements de commerce au milieu d’une panique générale. Les terroristes qui écumaient les secteurs ruraux du territoire de Beni se rapprochaient de l’importante agglomération depuis plusieurs semaines, en fait, signe que dans cette partie du pays, le terrorisme devient carrément urbain et n’épargne plus personne.
Selon des témoignages locaux, c’est vers la tombée de la nuit, autour de 6 h 30 locales, que les crépitements d’armes à feu, légères et lourdes ont retenti dans la ville de Beni. Des assaillants identifiés comme des rebelles ADF avaient attaqué des positions FARDC dans la périphérie de la ville entraînant des affrontements qui se sont dangereusement rapprochés du centre commercial et d’affaires de Beni. L’enfer a duré jusque minuit, lorsque les FARDC ont pris le dessus et contraint les assaillants qui tentaient de progresser vers le Rond-Point Nyamwisi au repli. Les quartiers Kasinga, Païda, Kasanga-Païda, Kasabinyole et même le TCB Mupanda ont été durement affectés par les échanges des tirs, causant de nombreux décès parmi la population civile qui tentait désespérément de fuir. Au moins 16 morts ont été enregistrés, dont 12 civils et 4 militaires, mais aussi 6 blessés soignés à l’hôpital général de Beni, selon le rapport provisoire communiqué par le commandement militaire. Des sources indépendantes signalent 4 maisons d’habitation et 4 camions remorques incendiées, ainsi que des établissements de commerce pillés.
Dimanche 23 septembre 2018, Beni s’est réveillé dans un indescriptible émoi. Les corps des victimes amoncelés à la morgue de la ville ont suscité un sentiment de révolte et une manifestation plus ou moins spontanée a été maîtrisée de justesse, selon des sources locales. Mais le mal était fait et des voix se sont élevées pour déplorer le drame … en faire porter le chapeau au pouvoir en place à Kinshasa. Sur les antennes d’une radio très suivie à Kinshasa et en provinces, Arsène Mwaka, un élu de Beni, a exhorté le gouvernement à réévaluer son dispositif militaire dans la région. C’est quasiment le seul avis nuancé entendu autour du samedi noir de Beni. Pour le reste, dans les médias et les réseaux sociaux, c’est de plan d’extermination du peuple Nande ou de complot gouvernemental contre le même peuple que l’on parle, surtout lorsque les intervenants sont originaires de la région. Le président de la société civile de Beni, Kizito Bin Hangi, a déclaré dans les médias que ce qui se passe à Beni est une honte pour le gouvernement rd congolais et pour la MONUSCO. « Ce sont les ADF qui viennent attaquer la population et les militaires au lieu que ce soient les FARDC et la MONUSCO qui attaquent l’ennemi », a-t-il déploré. Une ville sans activité a ainsi été décrétée, par la société civile locale et un regroupement d’étudiants très virulent, qui dénonce « l’abandon de la population à elle-même » par les pouvoirs publics.
Dans ce chapitre des réactions à chaud, les postings hostiles au pouvoir d’un autre député national élu de Beni, Grégoire Kiro, ainsi que celui d’une activiste de Free Filimbi, ne sont pas passés inaperçus. Le premier profite de l’émotion suscitée par la mort de 16 personnes à Beni pour faire constater sur son compte Twitter que « les opérations militaires en cours sont un échec. Problème : le minDéfense échappe à tout contrôle parlementaire sous prétexte du ‘secret défense’ » a-t-elle écrit. Tandis qu’Egée Mapathi n’est pas loin d’affirmer la même chose en écrivant que « le sang continue à couler encore et encore sous l’impuissance des Fardc/Monusco et pendant ce temps silence radio du Raïs Kabila et son gouvernement. Cette nuit 16 vies fauchées dont 12 civils. Ça fait 4 ans que ce complot persiste, trop c’est trop. Régime incompétent. Dégagez ».
C’est clair, donc. Si les crimes commis à Beni et alentours ne profitent nullement aux populations civiles victimes des exactions et du terrorisme des rebelles Ougandais de l’ADF, on ne peut pas dire qu’elles profitent au pouvoir en place. Loin s’en faut, à en juger par la propension de nombre de leaders d’opinions de la région à en faire porter le chapeau au pouvoir en place à Kinshasa. Une attitude tellement généralisée que lorsqu’on évoque les victimes des affrontements de Beni, le bilan des éléments Fardc tués au combat est passé sous silence. Comme si ces hommes engagés sous le drapeau n’étaient pas des êtres humains dignes de la moindre compassion : c’est à peine si les agresseurs ADF ne sont pas bénis par ces pourfendeurs du « pouvoir » car ils servent à démontrer la prétendue incapacité des Fardc, donc du Gouvernement, à sécuriser la population.
Les crimes de Beni ne profitent guère à Kinshasa. Surtout pas en cette période pré-électorale. Bien au contraire.
J.N.