Dans la région de Beni-Butembo-Lubero, l’ennemi-sorcier c’est l’étranger, le saint-sauveur c’est l’autochtone, même s’il est égorgeur patenté
Il n’y a vraiment pas lieu de se réjouir de la situation humanitaire dans la région rd congolaise dite du Grand Nord Kivu, Beni-Butembo-Lubero. La mort y cohabite trop allègrement avec la vie depuis plusieurs années maintenant. Aux tueries perpétrés par les rebelles Ougandais de l’ADF d’abord à Beni rural, et de plus en plus dans la périphérie de la ville de Beni elle-même, sont venus s’ajouter les décès provoqués par la fièvre à virus Ebola qui s’est déclarée dans la région, comme si le premier malheur n’était pas suffisant.
Il y a 2 ans, au mois d’août 2016, un rapport de l’Ong Human Rights Watch (HRW) estimait à 700 le nombre de civils tués depuis le début des tueries de civils à l’arme blanche deux années auparavant, donc en 2014. Dans la région de Beni, l’enfer durait depuis 4 ans, donc, mine de rien. Lorsque la fièvre à virus Ebola a choisi de s’abattre sur cette région déjà tant meurtrie. Selon le rapport épidémiologique rendu public le 19 septembre 2018, 66 des 142 personnes atteintes de la fièvre à virus Ebola sont décédées. Pas une bonne nouvelle, surtout lorsqu’on sait que même la terrible fièvre hémorragique n’a pas refroidi l’ardeur d’agresseurs ADF dont l’activisme meurtrier semble aller crescendo.
Les ADF résistent à Ebola
jeudi 20 septembre 2018, au moment où Le Maximum mettait sous presse, il était fait état d’intenses crépitements d’armes lourdes et légères dans le secteur de Mayangose, une immense zone forestière de Beni rural, autrement surnommé le triangle de la mort. Rien pour les 3 premières semaines du mois septembre, des quartiers périphériques à Beni, Ngadi et Matembo, ont subi les attaques des rebelles ADF qui ont fait de nombreuses victimes. Ça se battait effectivement. Les Fardc (Forces Armées de la République Démocratique du Congo) avaient lancé depuis dimanche 16 septembre des attaques visant à déloger les assaillants ADF du côté de Kidibwe et Mayangose, à l’est de Beni. Des opérations qui se sont poursuivies avec l’intervention d’unités commandos déployées au sol qui progressaient vers les repaires supposés des assaillants.
Seulement, dans la région de Beni-Butembo-Lubero, on doit aux acteurs locaux aussi bien la persistance de l’insécurité que les difficultés rencontrées par les équipes médicales dépêchées sur les lieux pour combattre Ebola. Ici, la mort et le deuil, exploitées dans tous les sens, font les affaires de certains dans cette région rompue aux pratiques commerciales et mercantiles. Même le commerce des émotions provoquées par la disparition d’être chers et aimés génère profits.
Rebelles Ougandais ADF ? Ils écument la région depuis quelques décennies et se sont incrustés dans le tissu économique et social, assurent la plupart d’études sur cette rébellion créée pour s’attaquer au pouvoir en place à Kampala, et non pas pour sévir contre les populations civiles dans le pays hôte. Pire, des autochtones rd congolais ont intégré le mouvement rebelle ou se sont associés à cette force déclarée négative par les Nations-Unies, et portent une grave responsabilité dans les tueries de leurs compatriotes à Beni et ses environs. Mais là-dessus, « pas touche à mon frère tribal» ! C’est l’omerta, la fameuse loi du silence inspirée de la tristement célèbre maffia italienne. L’ennemi ici, c’est l’étranger, le non autochtone qui « fourre son nez dans les affaires locales ». L’assassin de bébés, jeunes gens, femmes et vieillards sans défense, ce n’est pas tout à fait le rebelle ADF, ni le jeune désœuvré Nande recruté par la propagande islamiste des combattants Ougandais. Ce sont les pouvoirs publics, c’est l’Etat rd congolais et ses forces armées. Les mêmes qui sont au combat contre les ADF mais aussi les nombreuses milices mai-mai qui pullulent au vu et au su de tout le monde dans la région de Beni-Butembo-Lubero.
L’ennemi c’est l’étranger non autochtone
C’est la thèse soutenue par un parti politique issu d’une rébellion locale soutenue par Kampala à la fin des années ‘2000, le Rassemblement Congolais pour la Démocratie-Kisangani-Mouvement de Libération (RCD-K-ML) d’Antipas Mbusa Nyamwisi. Les anciens rebelles qui avaient qui avaient transformé la région en républiquette jusqu’en 2003 à la fin du dialogue intercongolais de Sun City présentent plutôt négativement la présence militaire Fardc dans la région. C’est à peine si les tueries récurrentes de Beni et ses environs ne sont pas expliquées comme un plan d’extermination du peuple Nande, mis en œuvre par Kinshasa. Dans l’imaginaire populaire ici, l’ennemi c’est d’abord l’autorité du gouvernement central présente à travers ses troupes.
Réagissant à l’adhésion de jeunes Nande de Kinshasa à la candidature non Nande du FCC Ramazani Shadary, le 14 septembre 2018, Jean-Louis Ernest Kyaviro qui se présente comme le porte-parole d’Antipas Mbusa Nyamwisi les invitait à ne plus jamais présenter leur initiative « comme une initiative de notre communauté qui est victime à la fois d’une épuration ethnique, d’une agression économique et de l’épidémie d’Ebola ». C’est tout dire de cette propension d’élites autochtones à convertir des frustrations politiques individuelles en cause tribale. « Pour moi, par exemple, les Yiras du FCC sont comparables aux Tutsis proches de Habyarimama et aux juifs qui soutenaient Hitler », ponctuait cette « première épitre à mes frères Nande », signée par Ernest Kyaviro.
Fétichisme politique
Avant cet élu RCD-K-ML de la ville de Beni en 2006, un autre élu natif de la région, le G7 Muhindo Nzangi, avait soulevé un véritable tollé dans les milieux instruits du Nord-Kivu en répandant la thèse selon laquelle l’épidémie de fièvre à virus Ebola était, elle aussi, le fait d’étrangers adversaires du peuple Nande.
De même que de nombreux acteurs socio-politiques dans la région de Beni-Butembo-Lubero ont joué des pieds et des mains pour détourner en faveur de leurs activités locales la campagne déployée pour épargner les vies humaines guettées la terrible fièvre hémorragique. Entre des leaders locaux d’opinion qui vantent en des termes à peine voilés une sorte d’indépendantisme Nande, et ceux qui tentent de préserver le réflexe de l’unité nationale, beaucoup ont perdu tous les repères dans cette région. Comme ce groupe d’individus qui a plongé la ville de Butembo dans l’émoi, le 16 septembre dans la mi-journée. En défilant nus comme des vers, nantis d’armes blanches et d’un nourrisson tout aussi peu couvert, présenté comme le sauveur envoyé par Dieu le Père pour sauver la région.
Ça en faisait beaucoup, assurément, et certains autorités politico-administratives et religieuses locales ont dû taper du poing sur la table et appelé à mettre le holà à cette exploitation éhontée de la misère matérielle et spirituelle dans laquelle des personnes sans foi ni loi tentaient éperdument de maintenir les populations locales.
Trop c’est trop, surtout quand des innocents en meurent
Au cours d’un point de presse, le 13 septembre 2018 à Butembo, le Maire de la ville a mis en garde les acteurs politiques qui profitent de l’ampleur de la maladie à virus Ebola pour se faire connaître à leurs électeurs potentiels. « Certains candidats aux élections législatives nationales et provinciales du 23 décembre de l’année en cours évoquent un terrorisme médical dans le but d’exterminer les habitants aux côtés des massacres des civils dans cette région alors que d’autres impriment des affiches portant différents messages sur Ebola. Ces papiers imprimés sont affichés dans plusieurs coins de la ville », rapportaient nos confrères du Journal des Nations à ce sujet.
Dans une interview, mardi 18 septembre, Mgr Melchisédech Sikulu, l’evêque catholique de Beni-Butembo, est lui aussi monté au créneau contre les propagateurs des fausses rumeurs sur Ebola, condamnant particulièrement les acteurs politiques accusés d’intoxication des populations. Sa déclaration donne une idée de la gamme des mensonges distillées dans l’opinion, qui ont tant compliqué la tâche des équipes chargées de stopper l’épidémie : « C’est du pur mensonge. C’est de l’intoxication. On ne vaccine qu’à partir du moment où un cas a été suspecté ou déclaré à un endroit, alors il faut essayer de remonter la chaîne pour savoir qui peut l’avoir touché, qui peut l’avoir pour avoir été en contact. C’est ce cercle là que l’on vaccine. Aujourd’hui il n’y a pas de vaccin pour tout le monde et nous n’appellerons pas tout le monde ici à Beni pour se faire vacciner, ce n’est pas ça. Il n’y a pas de vaccin pour tout le monde; même avant de recevoir ce vaccin on vous demande de signer. Il y a eu de panique par ci par là parce qu’ils confondent dès qu’ils voient des vaccinateurs qui vont de maison à maison pour la polio et on est en train de confondre tout ça avec Ebola. Les ONG ne doivent pas s’étonner de la réaction des gens. On a eu des massacres ici. Je répète le vaccin ne tue pas, moi je l’ai reçu et je suis en bonne santé. Si un élu ou un politicien vient dire aux gens tout cela et si moi Sikuli j’étais l’État, je le mettrais en prison et s’il avait une immunité parlementaire je lui enlèverais d’abord cette immunité parlementaire ».
C’est clair : dans la région de Beni-Butembo-Lubero, le fétichisme politique fait de victimes, comme les ADF et la fièvre hémorragique à virus Ebola.
J.N.