Le bilan de l’extraordinaire incendie qui a ravagé le quartier Nyalukemba à Bukavu, dans la nuit de vendredi à samedi 18 août 2018, semble devoir être revu à la baisse. De 400 habitations consumées par les feux à 200 selon des sources, on chiffrait à une centaine de maisons (197, selon la VOA) de résidence détruites par un feu provoqué par une serviette malencontreusement jetée sur un matelas par un enfant. Ou, plus vraisemblablement, un court-circuit électrique dû aux raccordements anarchiques en énergie électrique, selon certaines sources. Dans ces maisons bâties à la hâte, en bois, comme il en pousse allègrement dans les agglomérations de la partie est du territoire de la RD Congo, l’enfer est vite arrivé. Ce sont des habitations précaires qui ne sont séparées que par des petits couloirs qui permettent de circuler, à pieds, entre-elles. Même si mort d’homme n’a pas été déplorée le week-end dernier au chef-lieu de la province du Sud Kivu, on dénombre quelque 400 familles jetées à la rue du jour au lendemain par l’incendie de Nyalukemba. Qui ont perdu jusqu’au dernier sous-vêtement du dernier né. Plus facile à rapporter qu’à subir.
Sinistre à Bukavu
Vendredi 17 août dans la commune d’Ibanda à Bukavu, c’est en fin d’après-midi que le drame est arrivé. Des sources parmi les autorités municipales rapportent que les flammes se sont répandues à une allure vertigineuse. Seule l’intervention des véhicules anti incendies de la MONUSCO (Mission des Nations-Unies pour la Stabilisation au Congo) ont pu maîtriser les feux vers 23 heures. Mais il n’y avait quasiment plus rien à sauver.
Ce n’était pourtant pas le premier incendie à Bukavu, et ce ne sera sûrement pas le dernier. Un jour plus tôt, jeudi 16 août 2018 donc, un incendie s’était déclaré dans la commune de Kadutu, qui a consumé une vingtaine d’habitations et causé la mort d’une fillette. Ajouté à celui survenu à Irambo dans la même ville de Bukavu, cela porte à 3 les sinistres subis par les administrés du gouverneur PPRD Jean-Claude Nyamungabo. Et cela révolte. Anselme Wimye, un résidant de Bukavu cité par la VOA plaide en faveur de l’élargissement de la ville. Mais ce ne serait qu’une demi-mesure, selon certains analystes. Certes, le chef-lieu de la province du Sud Kivu fait face à une extraordinaire surpopulation. La ville amoureusement bâtie à flancs de collines par le colonisateur belge n’en avait pas prévu autant, et cela pose problème, naturellement. Un nostalgique de l’une des plus belles villes rd congolaises de l’époque (avec Likasi dans la province du Katanga) suffoque à la vue d’images présentant une meute de mères de familles, bidons jaunes entre les mains, se disputant une voie d’eau potable. « C’est inimaginable, tempête-t-il. J’ai grandi dans cette ville, et j’utilise une salle de bain depuis ma naissance. Ce spectacle est insupportable ! ». A Bukavu, tous affluent, des agglomérations et villages riverains. Sans doute pour gouter aux facilités de la vie citadine, mais également pour des raisons de sécurité, aussi. « Ici, ça tire dès qu’on s’éloigne de quelques km des lieux agglomérés et éclairés. Impossible de se rendre aux champs : milices, inciviques, déserteurs, tous armés, sont là qui attendent les imprudents ». Conséquence : on accourt se mettre à l’abri là où la sécurité est assurée. Pas très loin des plus hautes autorités politico-administratives provinciales, donc.
Surpopulation, insécurité
Autre conséquence, logique, il faut bien trouver où se loger. « A l’époque, on ne construisait pas comme on voulait. Les quartiers étaient lotis et pré-dessinés. On n’achetait moyennant un plan de construction avalisé par l’autorité. Ça ne pouvait donc être une habitation en bois, vous vous en doutez », explique cet ancien de BKV. C’est du lointain et nostalgique passé, désormais. Ici, quelques bois de planches suffisent pour bâtir abri pour femmes et enfants. Très vite. Même si, c’est connu, la région est sismique ! Les constructions en bois, c’est bien l’affaire de tous ces gagnes petits qui ne peuvent pas des miracles pour s’abriter des intempéries. Et, à Bukavu, dans ces quartiers à habitations érigées sur les flancs des collines, la saison pluvieuse n’est pas la meilleure de l’année. « Il déboule des torrents d’eau capable d’emporter homme vers … le lac », témoigne ce citadin, qui en parle comme s’il s’agissait d’un fait anodin.
Mais il y a les autres. Tous les nouveaux riches, hommes d’affaires, marchands prospères affublés de la qualité de commerçant, exploitants miniers, creuseurs de matières minérales. Aussitôt la première dizaine de milliers de dollars US gagnée, ils accourent vers la ville basse, à la recherche de terrain pour construire en matériaux durable. Ça fait plus bourgeois. Seulement, des espaces à bâtir, à Bukavu comme dans la plupart des agglomérations de l’immense RD Congo, il n’en existe plus. Il faut donc les faire pousser, miraculeusement, s’il le faut. Le miracle immobilier, il est rendu possible grâce à un enchevêtrement de réseaux maffieux qui ont trouvé dans la vente et le morcellement des parcelles déjà cadastrées, leur pain quotidien.
Ruée sur l’immobilier
A Bukavu, depuis des années, le secteur immobilier est des plus anarchiques. C’est la loi de la jungle. La maffia immobilière bukavienne a rongé et épuisé les propriétés relevant du domaine public. Il n’y a pas jusqu’aux camps militaires, dont le célèbre Camp Saio, qui n’ait pas été re-loti. Tout au moins partiellement. « Ces gens ont même vendu le Mess des officiers de la ville », s’étrangle un natif de la ville. Mais il n’y a pas que cet espace qui ait été re-loti et vendu, il y a aussi le terrain de l’Office Congolais de Contrôle (OCC), et tant d’autres … La ruée vers l’immobilier à Bukavu n’a même pas eu d’égard à l’endroit d’une propriété présidentielle, selon de récentes informations parues dans la presse.
Terrains et espaces relevant du domaine public épuisés, à Bukavu, on peut acheter, de gré ou de force, des propriétés privées. On les morcelle à l’infini : des terrains de 4 m x 4 sont quérables. Il suffit d’y construire, en hauteur. Dans Bukavu ainsi redessiné, les fosses septiques sont creusées à même le salon et enfouis sous les divans en cuir. Quitte à placer tuyaux d’évacuation d’air et autres sur la rue, déplore-t-on. C’est faisable, il suffit de s’allier quelques autorités-clés de la ville : le procureur de la République, le président du tribunal de grande instance, l’auditeur supérieur militaire, l’incontournable conservateur des titres immobiliers … et l’autorité politique suprême ici, le gouverneur de province.
Un certain Ibuka, procureur de la République à Bukavu, a ainsi sévi durant 3 ans, engageant la République sans que son supérieur hiérarchique, le Procureur Général de la République local, ne se rendre compte que l’homme était un parfait faussaire et n’avait, d’études de droit, jamais rien entrepris nulle part au monde. Le gaillard a morcelé et vendu à tours de bras à Bukavu, avant de disparaître dans la nature. Il est vrai que dans les services de la conservation immobilière, le faussaire avait trouvé malfrats à sa taille, grâce à des complicités politiques. L’avant dernier conservateur des titres immobiliers, un agent de bureau de 2ème classe placé là par la ministre provinciale ayant les affaires foncières en charge, ne valait pas un clou. Mais il était protégé. Au prix d’un conflit de compétence et d’autorité entre le gouvernement central, dont le ministre des affaires foncières avait nommé un « vrai » conservateur, et l’autorité provinciale qui avait imposé son « client ».
Conséquence : Bukavu est anarchiquement redessiné. Et les dégâts ne font que commencer, peut-être.
J.N.