Jusque jeudi 14 juin 2018 dans la mi-journée, Jean-Pierre Bemba Gombo, était encore retenu dans un Hôtel de la Haye au Pays-Bas, sous étroite surveillance policière. Ce n’est que tard le soir que des informations rapportant son arrivée à Bruxelles en Belgqiue sont parvenues à Kinshasa. Acquitté le 8 juin 2018 des crimes guerre et crimes contre l’humanité pour lesquels il avait été détenu durant 10 ans, l’ancien seigneur de guerre et ancien vice-président de la RDC, attendait le prononcé relatif à l’infraction de subornation de témoins pour laquelle il avait également été condamné par la CPI (Cour pénale internationale). Mais il était clair, depuis le prononcé de la sentence du 8 juin que le leader du Mouvement de Libération du Congo et commandant de la défunte Armée de Libération du Congo (ALC) qui s’était illustrée par des exactions particulièrement odieuses en Centrafrique en 2002 et 2003 recouvrirait la liberté sans coup férir. Pour la bonne et simple raison qu’en droit, « le principal tient l’accessoire en l’état », comme on dit. « Innocenté » des crimes de guerre et crimes contre l’humanité, on voit mal comment la subornation des témoins dans le cadre de l’instruction principale pourrait ramener dans les geôles de la Haye un condamné acquitté après avoir été reclus durant dix ans.
Dans la saga judiciaire Jean-Pierre Bemba Gombo, la CPI se contorsionnait en fait pour donner une forme acceptable à une décision judiciaire fort controversée, pour sauver ce qui peut encore l’être de la réputation irrémédiablement compromise d’une instance judiciaire internationale à la solde de puissances occidentales plus ou moins occultes. Car, à Bangui et ses environs, fin 2002 et début 2003, les troupes de l’ALC de Bemba ont notoirement pillé, violé et tué des civils. Plus ou moins 5.000 victimes de ces exactions de la soldatesque de l’alors chef rebelle congolais envoyés à la rescousse du défunt président centrafricain Ange-Félix Patassé ont été inventoriées qui s’étaient constituées parties civiles au procès. L’arrêt acquittant le seigneur de guerre rd congolais fait l’impasse sur ces victimes qui existent pourtant bel et bien en ne désignant aucun responsable de ces crimes de guerre et crimes contre l’humanité avérés.
Ce n’est donc pas sans raison qu’à Bangui, l’acquittement de Jean-Pierre Bemba a fait l’effet d’une bombe dans l’opinion et surtout parmi les victimes des « Banyamulenge », ainsi qu’on surnommait les soldats particulièrement cruels de l’ALC. « Les juges n’ont même pas pensé aux victimes », a déploré une banguissoise interrogée par nos confrères de la radio internationale allemande Deutschewelle (DW). « En tant que femme, je considère que c’est une décision politique (…) ils tiennent à chasser Kabila du pouvoir et ont donc libéré Bemba dans l’espoir qu’il revienne au Congo exécuter cette tâche … », a-t-elle encore déclaré, dégoûtée.
Mais, comme pour atténuer cet oubli inique s’il en est, des réparations sont subitement envisagées en faveur des 5.000 victimes centrafricaines des exactions des « banyumulenge », qui auront attendu 10 ans et l’acquittement quasi miraculeux du principal accusé pour en bénéficier. A défaut de réparations infligées au coupable, puisqu’il n’y a pas de coupable, ni en Centrafrique ni nulle part ailleurs à travers le monde, une Trust Fund For Victims (FPV) s’est avisée de pourvoir à la carence judiciaire. Depuis mercredi 13 juin 2018, elle a décidé d’établir un capital de départ de 1 million d’Euros en faveur d’un programme d’assistance en République Centrafricaine. Le fonds appelle également tous les Etats parties (à la CPI) et les donateurs privés de fournir une aide utile en contribuant au profit des victimes en RCA. Mais la pilule a bien du mal à passer.
Réagissant à l’arrêt de la chambre d’appel de la CPI qui a acquitté Jean-Pierre Bemba le 8 juin 2018, Fatou Bensouda, la procureure près la très politique cour pénale internationale, ne s’est pas retenue de dénoncer avec déception « … un écart inexplicable de la jurisprudence … », autant que « l’emploi de nouveaux critères (…) incertains et non vérifiés ». Emises par un haut fonctionnaire de la CPI astreint à veiller au respect de l’intégrité des procédures de la Cour et d’en accepter l’issue, ainsi qu’elle le rappelle elle-même, la critique de Mme Bensouda traduit dramatiquement l’instrumentalisation dont cette cour a été l’objet. « Ecart de jurisprudence », « emploi de critères incertains et non vérifiés » … ces artifices judiciaires pour flouer remontent à longtemps avant l’arrêt du 8 juin 2018, lorsqu’il avait été décidé que les crimes commis par ses soldats en RCA étaient imputables à l’ancien vice-président de la RD Congo. L’homme qu’il fallait punir pour l’exemple et non pas pour les faits déplorés. L’arrêt rendu par la CPI en 2010 flouait déjà les victimes centrafricaines des exactions des « banyamulenge » parce qu’il laissait ainsi courir les vrais responsables, en RCA et sans doute aussi de l’autre côté de la rivière Oubangui, en RD Congo. Ce n’était déjà pas un arrêt en faveur des victimes. La décision judiciaire de 2010 était favorable à une certaine communauté internationale, autant d’ailleurs que sa révision le 8 juin dernier.
En République Centrafricaine comme en RD Congo se nouent et se dénouent des intrigues politiques dont les enjeux n’ont rien à voir avec les intérêts nationaux. Au pays de Patrice-Emery Lumumba, particulièrement, se prépare une alternance au sommet de l’Etat d’ici décembre 2018. La relaxation en mode « express » d’un ancien vice-président de la République réputé plus crédible et « coriace » que les Moïse Katumbi et autres Félix Tshilombo Tshisekedi portés à bout de bras par les milieux impérialistes occidentaux pour ramener le Congo-Kinshasa dans le giron néocolonialiste révèle crument l’intention des puissances politiques, suffisamment influentes pour manipuler la CPI, de peser sur l’avenir politique immédiat du pays.
J.N.