Nos confrères de Télé 50, une des chaînes de télévision les plus suivies de Kinshasa en RD Congo, ont comme sonné l’alerte, mercredi 16 mai 2018 dans la mi-journée. Les services d’intelligence rd congolais ont mis à nu une nouvelle tentative d’agression armée ourdie avec la complicité de l’Ouganda et du Rwanda voisins impliquant les rebelles téléguidés depuis Kigali du M23 et le Rassemblement des Forces Politiques et Sociales Acquises au Changement Rassop/Aile Limete. L’information diffusée sur bande défilante a par la suite été développée au cours des bulletins de l’après-midi, sans surprendre les observateurs qui avaient déjà plus que pressenti une telle évolution de la situation politique et sécuritaire dans ce pays névralgique au centre de l’Afrique. Qu’en plus ses richesses minières indispensables dans le développement des nouvelles technologies, notamment le coltan et le cobalt, exposent à la convoitise vorace des puissances économiques de la planète.
Les derniers événements survenus en RD Congo indiquent que s’il n’est pas encore concrètement déclenché, les puzzles d’un plan d’embrasement généralisé du pays sont bel et bien en place. Seule la résilience notoire des populations rd congolaises, prouvée lors de la bien nommée « première guerre mondiale africaine » provoquée dans les années ’90 par les mêmes engeances boulimiques tentant de contrôler les riches minerais de colombo-tantalite (coltan) pourrait permettre au pays de Lumumba d’éviter d’être carrément rayé de la carte du monde. Ce n’est pas une vue de l’esprit, « Les États-Unis et leurs médias unipolaires affiliés aux ordres ont été occupés à pré-conditionner le monde à la perspective d’un désastre en RDC si le président en exercice, Kabila, ne démissionnait pas à la fin de son deuxième mandat, constitutionnellement en cours, à la fin de l’année et s’il retardait indéfiniment le vote à venir et / ou modifiait la Constitution une nouvelle fois », alertait déjà il y a quelques années, un chercheur américain, Andrew Korybko (Article ci-après).
De Kigali à Kampala, des montages qui ne cachent plus les souris de la balkanisation
Certes, nos confrères de Télé 50 se sont bien gardés de citer quelque puissance mondiale que ce soit derrière le complot éventré par les services d’intelligence rd congolais. Mais bien peu d’observateurs sont dupes : à eux seuls, Kigali et Kampala qui ne sont ni transformateurs ni consommateurs directs des richesses minières convoitées de la RD Congo ne peuvent être les vrais instigateurs des guerres hybrides qui ont endeuillé ce pays depuis la fin des années ’90. La guerre hybride, c’est ce nouvel-ancien mode de déstabilisation d’Etats qui consiste à susciter de multiples conflagrations qui écument les territoires convoités et en déciment les populations : guerre de religions, rébellions, confrontations interethniques manipulées, agressions, insurrections populaires télécommandées. « Le grand objectif derrière chaque guerre hybride est de perturber les projets transnationaux multipolaires connectés à travers des conflits d’identité provoqués de l’extérieur (ethnique, religieux, régional, politique, etc.) », en fait.
En RD Congo, ce n’est vraiment pas seulement Joseph Kabila et sa prétendue volonté de s’accrocher au pouvoir qui sont visés, même si c’est le prétexte déclencheur de la nouvelle hécatombe qui plane sur la tête de quelque 80 millions d’âmes dans ce pays. C’est la Chine, devenue par la force des choses leader mondial de la technologie des batteries électriques du fait du contrôle de 62% du marché mondial du cobalt qui a pris une avance sur le monde unipolaire en obtenant un contrôle influent sur l’avenir des systèmes de transport personnels, commerciaux et militaires, estime les experts pour qui le renouvellement à grande échelle des conflits au Congo pourrait facilement compromettre le commerce de cobalt de la Chine avec le pays et bloquer par la suite les plans de Pékin pour devenir le leader dans le domaine des batteries électriques et en récolter tous les avantages stratégiques.
Tests au Katanga, au Nord-Kivu et à Kinshasa
La cartographie des événements survenus en RD Congo, en une petite semaine, confirme les craintes d’un embrasement imminent. Si le gouvernement rd congolais a réussi, jusque-là, à contenir les tueries des populations civiles déguisées sans succès en affrontements interethniques dans la région de Djugu en Ituri, dans la région de Beni, au Nord-Kivu voisin, il semble encore loin du compte. Les tueries de civils innocents, jusqu’il y a peu circonscrites dans ce qu’on appelle Beni rural se rapprochent de plus en plus des quartiers périphériques de Beni, comme Boikene ou encore Mbau. Dimanche 20 mai 2018, au moins 10 civils ont été tués dans une agression des rebelles ADF, néanmoins repoussée par les commandos de la brigade d’intervention de la Monusco et les Fardc. C’est dans la même province du Nord-Kivu, en territoire de Nyiragongo entre Kilimanyoka et Kibumba, qu’un convoi à destination de Goma a été pris d’assaut par des hommes armés « non identifiés » qui ont enlevé deux touristes britanniques (relaxés par la suite, contre rançon). L’incident est survenu le 11 mai dernier, 3 jours avant qu’un véhicule de commerçants en provenance de la pêcherie de Vitshumbi ne subisse une attaque d’hommes armés qui a causé la mort d’un homme. Dans la même région, des malfrats avaient déjà eu l’audace de s’attaquer à un convoi d’une cinquantaine de véhicules, tuant 4 personnes et en blessant 4 autres. Une vingtaine d’années seulement après le déclenchement de la première guerre mondiale africaine entre 1997 et 2003, la mémoire collective est encore vivace ici : « c’est ainsi qu’ont commencé toutes les guerres qui ont endeuillé les Kivu », explique au Maximum un élu de Goma, le chef-lieu de la province du Nord-Kivu.
La généralisation de la violence au Nord Kivu vise manifestement la création d’une situation où un acteur prendrait le contrôle de toutes les richesses minérales locales et devienne une superpuissance dans ce domaine industriel d’importance mondiale. Ce qui, par ailleurs, empêcherait Kinshasa de regagner la pleine souveraineté sur ses territoires orientaux et de devenir rapidement une puissance continentale en exploitant correctement sa position de fournisseur de minerais stratégiques avec les avantages consécutifs.
Nouvelles manifestations estudiantines : contre le tarif étudiant ?
A Kinshasa, à quelques milliers de km de Goma ou de Beni, sous prétexte d’augmentation des frais de transports (de 500 à 600 et 750 FC !), des « étudiants » ont enclenché une série de manifestations le 10 mai 2018, en principe maîtrisées grâce à l’instauration d’un « tarif étudiants » dans les moyens de transports qui dépendent du gouvernement de la République. Mais dans la pratique et les faits, la mesure gouvernementale n’a pas empêché de nouvelles manifestations dont les objectifs demeurent peu connus. Lundi 14 mai 2018, des groupes de manifestants, présentés comme des étudiants de l’Institut Supérieur des Techniques Appliquées (ISTA), ont entrepris des marches bruyantes avant d’être dispersés par la police, qui a saisi au moins 7 armes blanches, des machettes essentiellement, et interpellé au moins 14 loubards. Le groupe composé de moins de 20 personnes, selon des témoins, avait déjà réussi à barricader la route qui borde l’aéroport de Ndolo à Barumbu non loin du centre des affaires à la Gombe en brûlant des pneus devant l’ISTA. Dans un tweet, le même lundi 14 mai, Steve Mbikayi, le ministre de l’Enseignement supérieur et universitaire, a dénoncé une manipulation : les troubles ont commencé lorsqu’un promoteur de cette agitation parmi la dizaine de jeunes attroupés devant l’ISTA a sifflé à l’approche d’une jeep de la police, écrit-il.
Lundi 21 mai 2018, la circulation des paisibles citoyens a manqué de peu d’être paralysée par une grève des taximens dont les raisons étaient peu connues jusqu’au milieu de la journée.
Nombre d’observateurs voient derrière cette agitation dans la capitale, le Comité Laïc de Coordination (CLC), un groupe d’extrémistes politiques proche du cardinal archevêque de Kinshasa, Laurent Monsengwo Pasinya qui n’est pas à une excentricité près. Entre décembre 2017 et février 2018, ce fameux comité a mis en œuvre trois tentatives insurrectionnelles en organisant des marches dites des chrétiens partant de partout vers nulle part à Kinshasa et dans certaines agglomérations de la RD Congo. Peu suivies par les chrétiens parce que trop politisés, avant d’être quasiment mis à nu par l’inénarrable Jean-Marc Kabund secrétaire général de l’UDPS/Tshilombo, le principal fournisseur des manifestations en supplétifs déguisés en fidèles catholiques, ces tentatives insurrectionnelles ont toutes échoué. Néanmoins, le groupe est revenu à la charge le 1er mai 2018, appelant les populations rd congolaises à la mobilisation et à « se prendre en charge » et annonçant « … le démarrage des préparatifs des (…) actions pacifiques d’envergure, de protestation et de revendication sur l’ensemble du territoire national ». Et le 16 mai, le CLC a publiquement annoncé son soutien aux manifestations de la capitale contre ce qu’il qualifie de « mesure antisociale ».
Ex Katanga : Tentation sécessionniste
Lubumbashi, l’autre pool explosif s’il en est du vaste territoire rd congolais n’est pas demeuré en reste ces derniers jours. Mardi 15 mai, des échauffourées qui ont tourné en quasi affrontements entre la police et des habitants du quartier Zambia ont été observées. Les incidents sont survenus après que des voleurs se soient introduits dans plusieurs habitations à la fois aux petites heures de la journée, provoquant le courroux de la population qui les a pris en chasse, avant de s’en prendre à la police arrivée sur les lieux avec plusieurs heures de retard. Les manifestants ont brûlé des pneus et jeté des projectiles sur les agents de l’ordre, d’autres s’attaquant aux commerces des … chinois dans ce qui prenait des allures de pillages en règle. Interrogé par la presse, le porte-parole du gouverneur de province, Rodrigue Katulu, a déclaré que « … ce qui se passe à Lubumbashi n’est pas du banditisme au vrai sens du mot mais un sabotage, car on ne peut pas comprendre qu’un bandit entre dans une maison, prenne les biens et finalement viole une fille ».
Comme si cet incident qui rappelle les pires années rebelles dans les régions du Kivu ne suffisait pas, des médias ont rapporté, mercredi 16 mai, qu’un convoi de casques bleus béninois a été pris d’assaut par des bandes armées de couteaux et flèches. Au moins une dizaine de soldats de la paix a été pris en otage avant d’être libérés, probablement parce que les commanditaires n’ignorent pas que les crimes commis contre les onusiens sont imprescriptibles.
L’insécurité dans l’ex province du Katanga vise, à terme, la reproduction du scénario sécessionniste des années ’60, estiment les observateurs. Extrême, cette solution serait sérieusement envisagée au cas où la révolution orange (une insurrection généralisée genre Burkina Faso) instiguée dans la capitale venait à échouer. Le « Plan B » américain consistera à raviver les revendications sécessionnistes historiques du Katanga, permettant à Moïse Katumbi de retourner dans la région pour diriger l’insurrection aux côtés d’une « armée » de mercenaires étrangers. « Un renouveau de la campagne séparatiste du Katanga serait régionalement aussi déstabilisante pour cette partie de l’Afrique que les aspirations territoriales révisionnistes de Daech l’ont été au Moyen-Orient, conduisant potentiellement à un conflit militaire impliquant de nombreuses factions et ouvrant la voie à une seconde Guerre mondiale africaine » », écrit Korybko à ce sujet.
En RD Congo, tous les ingrédients pour une nouvelle guerre hybride sont réunis. Seule inconnue, la résilience de Kinshasa et des populations passablement averties de ce qui les attend.
J.N.